SCÈNE I. Mme de Saint-Prix, Blondeau. Mme de Saint-Prix. Bonjour, Monsieur Blondeau. Blondeau. Bonjour, Madame. Toujours travaillant! Eh bien! votre chef-d'œuvre avance-t-il? Mme de Saint-Prix. Ah! à propos, il faut que je vous gronde. Me gronder! Et à quel-sujet? Mme de Saint-Prix. Au sujet de votre dernier article de journal. Vous trouvez que je n'ai pas dit assez de bien? Loin de là! Vous m'avez gâtée! Comment? Parler de moi comme d'un peintre du premier ordre! Aller dire que j'ai du talent! Eh bien? Blondeau. Mme de Saint-Prix. Eh bien mais c'est absurde! Moi, du talent! - Du goût, des dispositions, tout au plus. Je ne veux pas de çà, vous entendez? Mais, Madame. Blondeau. Mme de Saint-Prix. Traitez-moi en véritable artiste. Au lieu d'éloges fort aimables et fort bien exprimées du reste, je vous demande une critique sévère.... Blondeau. Pourtant je ne puis dire que ce que je pense. Un journaliste se doit à sa conscience, à la vérité.... Mme de Saint-Prix. Oh! pendant que j'y pense, envoyez donc prendre un de ces matins, les deux coupes antiques que vous admiriez l'autre jour. Blondeau. Comment, Madame! Ah! par exemple, non! Eh bien! n'allez-vous pas faire l'enfant? Allons, voyons, c'est convenu. Blondeau. On ne peut rien vous refuser. Mme de Saint-Prix. A propos, étiez-vous au dernier bal de Mme de Lucenay? Blondeau. Pour mon malheur, car je m'y suis terriblement ennuyé. Mme de Saint-Prix. Cela ne m'étonne pas. Cette femme est réellement insupportable. Je suis décidée à m'en éloigner. Blondeau. Tiens! mais la voilà justement. SCÈNE II. Les mémes, Mme de Lucenay. Mme de Saint-Prix. Eh! arrivez donc, chère amie! Quelle charmante surprise! Je me plaignais à l'instant même de ne plus vous voir. Mme de Lucenay. C'est votre faute. Pourquoi donc n'êtes-vous pas venu à mon bal? Mme de Saint-Prix. Oh! une migraine affreuse!.... suite d'un excès de travail.... Mme de Lucenay. Vous vous tuerez, ma chère. Mme de Saint-Prix. J'ai été bien chagrine de ne pouvoir me rendre à votre aimable invitation. Joseph, entrant. Madame de Lestrelle fait demander si madame est visible. Mme de Saint-Prix. Ah! quel ennui! Faites monter. Blondeau. Je gage qu'elle vient encore vous tourmenter pour ses souscriptions. Mme de Saint-Prix. Ne m'en parlez pas!.... Elle vous accable de visites, de demandes.... Mme de Lucenay. Et notez bien que toute cette belle générosité.... Mme de Saint-Prix. Mais non! mais non! il n'y a ici que des amis qui, comme moi, seront charmés de vous voir. Mme de Lucenay. Certainement. Blondeau. Mme de Lestrelle. Trop heureux, madame! Ah! cette chère madame de Lucenay aimable journaliste. Mme de Saint-Prix. Combien je vous sais gré de votre gracieuse visite! Toujours bonne, n'est-ce pas ? Ah! si je fais quelque jour un portrait de la charité, je vous prierai de me servir de modèle. Mais asseyez-vous donc. Mme de Lestrelle. Merci, ne faites pas attention. Mme de Saint-Prix. Vous permettez que je reprenne mes pinceaux ? Comment donc, chère amie! ne vous gênez pas. Les artistes sont toujours libres. Mme de Lestrelle. Je suis bien aise de vous rencontrer, monsieur Blondeau.... car, j'ai des reproches à vous faire. Blondeau. Vous aussi, madame? C'est une conspiration! Pourquoi donc avoir cité mon nom à propos de ces bonnes œuvres auxquelles on m'associe? Je fais le bien pour le seul plaisir de le faire et non pour en tirer vanité dans un journal. Blondeau. Oh nous savons cela de reste.... Mme de Saint-Prix, peignant. Tout le monde connait votre désintéressement.... Mais Monsieur Blondeau est un homme terrible! Il n'y a pas moyen avec lui de conserver son obscurité. Blondeau. Moi je ne dis après tout que la vérité. Mme de Lestrelle, regardant le tableau. Ah! charmant! admirable! Vous trouvez? Mme de Saint-Prix. Mme de Lestrelle. C'est parfait! n'est-ce pas, monsieur Blondeau? Blondeau. Certainement. Quelle richesse de tous! Quel coloris! Comme cette tête de femme est belle! Mme de Lucenay. Et ces draperies! . . regardez un peu ces draperies! C'est superbe. Mme de Lestrelle. Mme de Lucenay. En vérité, elle peint comme Delacroix! |