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Albert.

Prendre l'air.... et tâcher d'oublier! Quoi! voilà les grands hommes que l'on proclame et que l'on encense? et dont vos journaux, échos complaisants ou soldés, répètent chaque jour les noms en criant: Proster

nez-vous!....

Bouvard.

Mais, de grâce, à qui en avez-vous?

Albert.

A qui? A vous d'abord, qui ne craignez pas de donner cent écus à une pauvre veuve, pour un manuscrit de son mari, que vous vendez vingt mille francs! Bouvard.

C'est la chance du commerce!

Albert.

A vous, qui pour avoir édité les ouvrages d'un grand seigneur, pour n'être jamais sorti de votre boutique, quai Malaquais, pour avoir remué ou ficelé des ballots de livres.... aspirez à la croix d'honneur.

Bouvard.

Je la demande.... seulement,

Albert.

C'est déjà trop d'oser la demandez! J'ai cinq blessures, Monsieur, et je ne la demande pas.... j'attends!

Bouvard.

Eh bien!.... vous verrez, Monsieur; vous verrez ! je ne vous dis que ça.

Albert,

Adieu!....

SCENE VII.

Bouvard, Maxence, Albert.

Maxence, l'arrêtant.

Eh! Dieu me pardonne!.... Albert d'Angremont.

Maxence!

ans?

Albert.

Tiens! ils se connaissent!....

Bouvard.

Maxence.

Toi de retour!.... Qu'es-tu devenu depuis cinq

Albert.

Je n'ai pas quitté l'Afrique.

Maxence.

Je n'ai pas quitté Paris. (à Bouvard.) Tous deux élèves de Saint-Cyr, nous sommes sortis ensemble de l'Ecole. Albert.

Et nous devions ensemble faire nos premières campagnes....

Maxence.

C'est vrai! mais dès que j'ai eu essayé de la vie parisienne, j'ai renoncé à la gloire militaire.... j'aime trop mes aises, et j'ai dit adieu à la patrie de Jugurtha et d'Abd-el-Kader.

Albert.

Où tu commençais bien cependant, et où il y avait pour toi de l'honneur à acquérir!

Maxence.

Je ne dis pas non! mais il y faisait trop chaud!.... tandis qu'ici....

Bouvard.

Monsieur le vicomte de la Roche-Bernard a raison!

quand on est comme lui gentilhomme, quand on a une haute naissance et une immense fortune....

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Il faut bien s'occuper! A propos, Bouvard, voici ce qu'on m'a demandé pour vous.... deux promesses de chemin de fer.

Bouvard.

Que deux! j'en espérais dix! car c'est de l'or en barres.

Maxence..

Je n'en ai pas davantage. Je n'en ai plus, je venais le dire à M. de Marignan; on m'avait assuré, à son hôtel, que je le trouverais encore ici.

Bouvard.

Il nous quitte pour le conseil d'Etat où je dois même lui remettre le reste de ses épreuves.

Maxence.

Eh bien! vous lui direz en même temps que je vais, de ce pas, porter les derniers coups; voir notre homme, notre grand capitaliste!

Bouvard.

Celui dont le nom, disait-il, doit faire réussir l'affaire.

Précisément.

Maxence.

Bouvard.

J'y cours!.... Quel dommage!.... rien que deux actions! Il n'y aurait pas moyen.... d'en avoir une demi-douzaine de plus.

Maxence.

Impossible!.... Je vous dis qu'on se les arrache.
Bouvard.

C'est bien fait pour cela. (Il sort.)

SCENE VIII.

Albert, Maxence.

Albert.

Ma foi, je m'estime heureux de t'avoir rencontré ici au passage.... car tu me parais si occupé....

Maxence.

C'est vrai, j'ai tant d'affaires....

Albert, souriant.

Un gentilhomme devenir homme d'affaires!

Maxence.

Que veux-tu? il le faut bien. Crois-moi, mon ami, avant tout, il faut s'enrichir. Eh tiens! voici pour toi une occasion; écoute-moi! Il est question d'une nouvelle ligne de chemin de fer.... en laquelle moi et quelques capitalistes nous avons espoir. Si nous l'emportons, nos actions auront triplé leur valeur primitive. Albert.

Et si vous ne l'emportez pas?

Maxence.

Rien de fait chacun reprend son argent.... nous aurons manqué à gagner.

Albert.

Ainsi rien à perdre.......... rien à risquer...

Maxence.

Qu'un immense bénéfice en cas de succès!.... et ces actions.... elles sont dans mes mains; je puis t'en donner.

Albert.

Quelle bonté! mais tu disais là tout-à-l'heure.... que tu n'en avais plus?

Maxence.

Il le faut bien. C'est le seul moyen de les faire monter.... et d'en élever de prix!

Albert.

Mais c'est un mensonge!

Maxence.

D'où sors-tu donc ?

Albert.

Du bivouac!.... et il me semble que la délica

tesse....

Maxence, avec ironie.

Hein!.... tu n'as donc jamais été à la Bourse!.... Ce que tu appelles mensonge et tromperie..... c'est l'habileté, c'est le génie financier! Sois tranquille, tu peux accepter.... tu ne risques rien que d'être salué et honoré!

Albert.

Je t'avoue.... qu'une telle manière de faire fortune me répugnait un peu.... mais puisque tu la trouves permise et loyale, toi, gentilhomme, j'accepte!.... qu'aije à faire?

Maxence.

Rien qu'à prendre cent.... deux cents actions......

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