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Bouvard.

On me les avait promises pour ce matin. Courez vite chez l'imprimeur; les épreuves de M. de Marignan. Quoi! vous daignerez les corriger vous même.... Le comte.

Pendant la séance du conseil.... c'est mon habitude ..... cela occupe....c'est commode!

Bouvard.

Et c'est charmant d'être conseiller d'Etat en service ordinaire. Quinze mille francs de traitement.

Albert, à part.

Pour corriger des épreuves!

Le comte.

Je n'ai pas d'ailleurs de temps à perdre.... après le succès de mon premier volume, il faut que demain le second paraisse..... car l'élection a lieu après-demain!

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Vous! grand seigneur! membre déjà de deux académies! vous qui brillez aux Beaux-Arts, comme aux Sciences morales et politiques.... qu'avez-vous besoin de l'Académie Française? à votre place, je la laisserais à de pauvres diables d'hommes de lettres, qui n'en ont pas d'autres!

Le comte.

Non pas! il n'y a que celle-là qui compte!
Bouvard.

C'est si vieux!

Le comte.

Raison de plus! en fait de noblesse, je n'estime que les anciennes.... du reste, toutes les chances sont pour moi.

Bouvard.

Sans contredit!.... lancé comme vous l'êtes! c'est pour cela que si j'osais vous donner un conseil.... je ne ferais pas paraître ce second volume.

Le comte.

Ne le trouvez-vous pas bon?

Bouvard.

Excellent..... ravissant..... j'en suis dans l'extase.
Le comte.

Vous semble-t-il par hasard inférieur au premier?

Bouvard.

Bien au-dessus.... Mais ce premier volume luimême qui est admirable, je ne l'aurais peut-être pas fait paraître. Les grands seigneurs se gardent bien de donner des armes à la critique.... Ils ne lui offrent rien.... qu'eux-mêmes! Je suis monsieur le duc, monsieur le marquis, monsieur le prince un tel! ce qui est vrai!.... Que répondre à cela? rien! La critique ne sait où se prendre!.... Tandisque vous, même avec un chef-d'œuvre.... Car c'est un chef-d'œuvre!

Le comte.

Je le sais bien; et tes observations ne manquent pas de justesse.... Mais rassure-toi.... je suis sûr d'obtenir la majorité.

Bouvard.

Monsieur le comte n'a pas oublié ses promesses? Le comte.

Des promesses de chemin de fer! Tu en auras.

J'en ai parlé à Maxence de la Roche-Bernard qui est, ainsi que moi, à la tête de la nouvelle ligne.....

Bouvard.

J'accepte.... mais ce n'est pas cela.

Le comte.

Ah! une invitation pour mon bal.... tu la recevras! nous hâtons la chose.... Il faut que je sois marié avant mon ambassade. Je suis riche, j'en conviens mais richesse oblige....

Oblige à quoi?

Bouvard.

Le comte.

A l'augmenter! Et ne fut-ce que pour mes frais de représentation, comme ambassadeur, il me faut pour une riche héritière, et bientôt tu assisteras à mon mariage, je te le promets

Bouvard.

C'est trop d'honneur, et j'accepte.... Mais ce n'est pas cela....

Le comte.

Eh! qu'est-ce donc encore?

Bouvard.

C'est moi qui vous ai fourni pour votre histoire de l'Algérie le manuscrit du général de Saint-Avold.... ce manuscrit si rare.... si authentique....

Le comte.

Dont je t'ai payé l'authenticité vingt mille francs!

Qu'en ends-je?

Albert, à part.

Bouvard.

Et qui vous aura valu gloire et réputation, sans compter deux académies.... Que dis-je? trois, devant

lesquelles vous vous ouvrage à la main!

Eh bien!

serez présenté toujours le même

Le comte.

Bouvard.

Eh bien! est-ce trop exiger que de demander une petite participation à tant d'honneurs. Si l'on pouvait dire: „Bouvard, éditeur des Oeuvres de Marignan, vient d'être décoré".... Cela fait très bien dans un comptoir et cela fait parler de l'ouvrage.

Le comte.

C'est juste. Nous verrons.

Albert.

Ah! c'est trop fort!

Le comte.

Qu'est-ce?

Bouvard.

Un de mes clients (apercevant un commis qui entre). Ah! enfin!.... les épreuves de M. le comte, ce n'est pas sans peine!

Tout n'est pas

feuilles....

Le comte.

là..... il manque les dernières

Bouvard.

Elles seront tirées dans un quart-d'heure.... et j'aurai l'honneur de vous les porter moi-même au conseil d'Etat.... Vous donnerez l'ordre qu'on me laisse entrer.... Bouvard.... éditeur des Oeuvres de M. de Marignan!

C'est convenu.

Le comte.

Bouvard.

Et vous n'oublierez pas....

Le comte.

Nous penserons à tout.

Bouvard.

Ce sera beau.... ce sera grand.... ce sera sublime comme tout ce que vous faites, et l'on dira de vous, comme dans Sémiramis:

„Il a laissé tomber, de son char de victoire

„Au front de son libraire, un rayon de sa gloire!"

SCENE VI.

Bouvard, Albert.

Bouvard.

J'aime à citer.... cela vous donne un vernis de littérature qui sied bien.... même à un libraire. Pardon, Monsieur, de vous avoir fait attendre. Revenons à vous et à votre roman écrit en Algérie.... au bivouac.... et au milieu des coups de fusil.

Albert.

C'est inutile, Monsieur, j'y renonce!

Bouvard.

Et pourquoi donc? quand vous venez d'entendre....
Albert.

Ce que c'était que la gloire.... et comment on en faisait....

Bouvard.

Ce n'est pas plus difficile que cela!

Albert, à part.

Ah! mon vieux monsieur avait raison!.... Adieu.

Où allez-vous done?

Bouvard.

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