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les journalistes et les médecins en font la consommation la plus habituelle et la plus forte.

Albert.

Mais s'il en est ainsi, Monsieur, c'est indigne, c'est horrible!

sait.

Desgaudets.

Eh! non.... c'est sans danger.... tout le monde le

Eh! qui trompe-t-on ?

Albert,

Desgaudets.

Personne! C'est une convention tacite, un échange franc de mensonges, dont personne n'est dupe et dont tout le monde se sert.

Albert.

A ce compte, Monsieur, la vérité serait donc maintenant bannie de tous les rapports sociaux.

Desgaudets.

A peu près! et je ne sais pas trop si c'est un mal.
Albert.

Vous osez soutenir un système pareil.

Desgaudets.

C'est un fruit de l'expérience. J'approuve le philosophe qui disait: „J'aurais la main pleine de vérités que je ne l'ouvrirais pas!" Il avait bien raison, à quoi servent-elles? qui est-ce qui en veut? qui est-ce qui les aime? personne!.... au contraire, on en a peur, et ce que je puis vous affirmer, c'est que de nos jours, il est plus facile de réussir par le mensonge que par la

vérité.

„Les exemples fameux ne me manqueraient pas !"

Albert.

Les exemples, quels qu'ils soient, ne sauraient me

faire changer de sentiments. Dussé-je vous paraitre absurde ou ridicule, je vous avouerai, Monsieur, que la loyauté me parait le premier des devoirs; que tromper ou mentir, n'importe dans quel but, me semble indigne d'un galant homme, et je jure pour ma part....

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C'est une manière comme une autre de se faire remarquer! A qui ai-je l'honneur de parler.... vous ne pouvez me refuser le plaisir de connaitre mon sauveur!

Albert.

Un pauvre capitaine de cavalerie, à qui cinq ans de campagnes en Afrique et cinq blessures on fait obtenir....

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Non, Monsieur, mais un congé de quelques mois dont j'ai profité pour venir à Paris.

Desgaudets.

Votre nom, de grâce?

Albert.

Albert d'Angremont.

Desgaudets.

J'ai connu, à Metz, un d'Angremont, un camarade

d'enfance, vieux et infirme.... que j'ai perdu l'année dernière....

Albert.

C'était mon oncle, Monsieur! un second père!

Desgaudets.

Il n'avait pour subsister, qu'une petite pension qui lui était envoyée chaque mois.... par une main inconnue que je crois deviner aujourd'hui.... (à Albert qui fait un signe négatif.) Prenez garde?.... Vous juriez tout-à-l'heure de dire toujours la vérité.

Albert, souriant.

Je ne crois pas qu'on y soit obligé dans ce cas-là.

Desgaudets.

....

C'est convenir déjà qu'il y a des exceptions, et mieux encore.... que cette main généreuse était la vôtre; cela ajoute encore à l'estime que j'avais conçue pour vous; car du premier coup-d'œil.... vous m'avez plu je vous ai aimé .... vrai! malgré mon système, vous pouvez m'en croire!.... et vous venez à Paris, c'est tout simple, pour solliciter quelque avancement, quelque faveur.

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Ce n'est pas pour moi! mais pour la veuve de mon général! le général de Saint-Avold, sous lequel j'ai

servi et que j'ai vu tuer sous mes yeux! le seul ami que j'aie connu au monde!.... le seul!....

....

Desgaudets.

Jusqu'ici! mais non pas maintenant!....

Ah! Monsieur!....

Albert.

Desgaudets.

Vous disiez donc que votre général..........
Albert.

Le plus brave officier! le plus honnête homme.... ne pensant qu'à son pays et à ses soldats! jamais à lui! mort sans fortune, laissant une veuve et trois enfants! Je demande un supplément à la modique pension qui leur donne à peine de quoi vivre. Depuis hier je me suis présenté à toutes les portes.... j'ai raconté à tout le monde les faits tels que je viens de vous les dire.... tels qu'ils sont.... en un mot!

Desgaudets.

Tels qu'ils sont! c'est peut-être un tort! si vous aviez embelli la chose j'ai vu des actions si simples devenir héroiques.... en y aidant un peu.

....

Albert.

La vérité, en pareil cas, ne parle-t-elle pas assez

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....

C'est ce que je voulais dire.... enfin je verrai.... j'ai peu de crédit .. encore moins de fortune! mais j'ai quelques connaissances assez haut placées, et grâce à elles, il me sera peut-être possible..........

Albert.

De faire triompher la vérité.

Desgaudets.

Qui sait! le hasard!.... Je suis, Monsieur, un philosophe qui marche avec son siècle.... C'est vous dire que je biaise parfois pour arriver.... mais j'arrive, en prenant le monde comme il est, et des amis quand j'en trouve!.... Voici mon nom et mon adresse, heureux, quand je vous dois la vie, de pouvoir quelque jour reconnaitre le service que vous m'avez rendu.

SCÈNE III.

Les Précédents, Bouvard.

Bouvard.

Voilà, Monsieur, l'omnibus qui passe.
Desgaudets.

Je vous suis obligé et je retourne chez moi, où l'on est sans doute inquiet.

Bouvard.

Monsieur, je vous conseille de vous hâter.

Desgaudets.

Bah! je vois tout avec calme et sang-froid.

Bouvard.

Tout! Eh bien! vous pouvez voir d'ici l'omnibus .... qui est déjà loin.

Desgaudets.

Vraiment! Ce n'est pas un mal!.... Autant marcher, quand on vient d'éprouver une secousse.... et puis il n'y a pas de petites économies.... Adieu, mon jeune ami.... (à Bouvard.) Adieu, Monsieur....

Bouvard.

Napoléon Bouvard, libraire-éditeur.

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