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vois ce que j'ai emporté avec moi. J'en ai lu une partie en route .... Et puis, le voyage, la rapidité de la course ont donné, malgré moi, une autre direction à mes idées .... le papier est tombé de mes mains, le présent a disparu; je me suis retrouvé au milieu de nos souvenirs de jeunesse, dans la cour du collége, le jour de mon premier prix. Mes amis, mes camarades m'entouraient, m'applaudissaient, tandis que mon vieux père me serrait en pleurant dans ses bras. Ah! mon ami, j'etais heureux, j'avais tout oublié, je n'etais plus ministre! ....

Lucien.

Et ton rêve va continuer, ici, avec vous.

Raymond.

Oui, j'ai laissé là-bas les ennemis et les haines; j'ai congé pour vingt-quatre heures. A propos, tu as vu mon évaporée de sœur.

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Justement. Je t'ai défendu contre ta sœur et son mari, qui t'attaquaient vivement.

Raymond (souriant)

En vérité! c'est amusant .... et le sujet de l'attaque?

Lucien.

Elle prétend pue tu ne fais rien pour ta famille.

Raymond.

Et ce que j'ai fait obtenir dernièrement à son mari....
Lucien.

Précisément, lui confier une opération aussi importante, c'était déjà un tort, ou du moins une faiblesse à toi d'avoir cédé

....

Raymond.

....

Oui, si, parmi les concurrents, il y avait eu des hommes de mérite. Mais ceux que l'on me proposait, je te le prouverai, n'étaient point d'honnêtes gens de plus, ils étaient tous aussi nuls, et j'ai cru pouvoir, sans grande injustice, accorder à mon beau-frère la palme de la nullité .... et de la probité!

Lucien.

N'importe! tout autre choix valait mieux

car c'était celui-la qui devait exciter contre toi le plus de clameurs.

Raymond.

Un pareil motif est bon pour toi, que les clameurs effraient: mais, pour moi, c'est tout le contraire. Tu sais bien que, dans le jours de combat, elles m'excitent et m'encouragent.

Lucien.

....

Tu ignores donc ce que l'on a dit et imprimé! On prétend que cet emprunt vaut des sommes immenses, et que tu les partages avec ton beau-frère.

Raymond.

Vraiment! Ils disent cela? J'en suis charmé, et tu me fais grand plaisir. Est-ce tout?

Lucien.

En vérité, je t'admire avec ton sang-froid. Une pareille attaque me ferait bouillir le sang dans les veines.

Raymond.

Toi, je le crois bien, tu n'y es pas fait, tu n'y es

pas habitué. Je marche sur la calomnie et l'attaque de front, tandis que toi, tremblant à son approche, tu courbes la tête pour la laisser passer. Soins inutiles! Tu ne la désarmeras pas plus que moi, mon pauvre Lucien. Tu as beau prodiguer les caresses et les poignées de main, t'abonner à tous les journeaux, être aimable avec tout le monde

Lucien.

....

....

Je défends ce que le monde approuve je repousse ce qui est blâmé par lui, et toi, au contraire, tu prends à tâche de le froisser dans ses opinions, de le heurter dans ses jugements! Frondeur et misanthrope, tu sembles estimer les gens en proportion du mal que l'on en pense! S'il est, au contraire, quelqu'un que tout le monde s'accorde à louer et qui réunisse tous les suffrages

....

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Parce qu'il y a vingt à parier contre un que ces suffrages sont usurpés. L'approbation universelle est impossible. Les jugements humains se composent de blâme plus que de louanges, d'erreurs plus que de vérités, et celui dont le mérite et le talent sont en discussion, celui qui a quelques amis et beaucoup d'ennemis, celui-là, je l'estime, je l'aime et je le défends.... mais l'ami de tout le monde doit être, selon moi....

Un réprouvé!

Lucien, riant.

Raymond.

Oui, sans doute, car, pour être l'ami de tout le monde, il l'a donc été des méchants, des sots, des

intrigants . . : non, non, il faut avoir ceux-là pour antagonistes, pour adversaires; il faut se faire honneur de leur haine et comme chez nous, tu ne peux pas le nier, les méchants sont en grand nombre, en immense majorité, j'en conclus que celui qui a le plus d'ennemis....

Lucien, riant.

Est le plus honnête homme!

Raymond.

Certainement! je m'en vante, et à chaque nouveau pamphlet, à chaque nouvelle injure, je me frotte les mains et je me dis: "Courage! j'ai donc marché sur quelque reptile, puisqu'il siffle et qu'il mord."

Lucien.

Et ces morsures multipliées te laissent toujours invulnérable!

Raymond.

Autrefois, dans les commencements, je ne dis pas que j'eusse la force d'âme d'y rester insensible; mais, quand j'ai vu comment se forgeaient et se propageaient les calomnies.... quand j'ai vu les gens les plus raisonnables accueillir des absurdités, par cela seul qu'elles étaient en circulation, j'ai pris le parti de n'y plus faire attention. Si tu savais quelle a été ma vie! Je ne te parle pas de ma carrière politique, qui appartient à tout le monde! Je ne te rappellerai pas les reproches dont ils m'accablent! Avilir ma patrie, la livrer à l'étranger! comme si cela était possible!.... Moi, qui donnerais ma vie pour la prospérité et la gloire de mon pays. Enfin, ils l'ont dit.... peu importe! . . . .

Lucien.

Cette idée seule t'ément.

Raymond.

vu,

Non, non, cela m'est indifférent; mais ce qui ne pouvait pas l'être, çà a été de me voir attaqué dans mes sentiments les plus chers. Si j'ai réussi dans ma carrière comme tu l'as c'est à mon père, honnête vigneron de la Bourgogne que je le dois; c'est aux sacrifices qu'il a faits pour mon éducation. Aussi, ma première pensée fut-elle pour lui, lorsque j'entrai dans le somptueux hôtel du ministre. J'allai le chercher et voulus l'emmener avec moi.... „Non, me dit-il, je suis bien vieux! le séjour de Paris m'effraie; je préfère mon repos et ma retraite.... c'est mon désir, mon fils." Ce désir, je devais le respecter.... cette retraite, je l'embellis de mon mieux, et un matin je lis dans un journal que moi, sorti de la classe du peuple, je rougissais de devoir le jour à un paysan et que j'avais chassé mon père de mon hôtel.

Chassé!

Lucien.

Raymond.

C'était imprimé!.... et mille voix le répétaient à ma honte. Hors de moi, je courus chercher mon père. Je l'amenai, je le présentai dans mon salon à l'élite de la société de Paris, et m'inclinant devant lui, je m'écriai: „Dites-leur, mon père, si votre fils vous respecte et vous honore."

Lucien.

C'était bien.... très-bien .... il n'y avait rien à répondre à cela.

Raymond.

Ah tu le crois! tu crois que l'on peut imposer silence

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