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Le comte.

Il y a même une ordonnance de police qui les défend.

Bertrand.

Pourtant Lescure, Charette, La Rochejaquclein, tous ces messieurs en avaient dans le temps.... et celui qui leur aurait mis la main sur le collet auraient vu s'ils savaient en jouer.

Melle des Tournelles.

Les propos de cet homme font frémir. (haut.) Il faudrait que le manche du poignard fût blanc, en ivoire ou en nacre, avec des enjolivements en argent. Et sur la lame il faudrait graver le mot Fidélité en latin. Cela serait de bon goût, n'est-ce pas?

Bertrand.

Bah! tenez, vos poignards en nacre ou en ivoire, c'est bon pour la montre; mais parlez-moi d'un bon gros outil comme celui-ci. (Il tire un grand couteau.) C'est grossier, mais cela ne coûte pas cher. Un jour, je me heurte contre un caillou, me voilà à bas. Un officier républicain me met le genou sur l'estomac, et sabre levé, il me disait de me rendre. Moi je lui dis, comme disait Jean Chouan; „Il n'y a pas de danger!" et je lui plante mon couteau dans la bouche. Il l'a avalé tout d'un trait. Tenez, on voit encore la marque de ses dents sur la lame.

Melle des Tournelles.

Oh! retirez cet affreux poignard! il me semble le voir tout couvert de sang.

Le comte.

Il ne s'agit pas de cela, mon ami. Occupons-nous de nos affaires.

Bertrand.

Eh bien, donc! quand faudra-t-il sonner le tocsin?
Le bon de Machicoulis.

Le tocsin! y pensez-vous? et la gendarmerie, et la garnison.

Le mis de Malespine.

Et le préfet qui nous enverrait tous en prison?
Le cher de Thimbray,

C'est un fou!

Le cte de Fierdonjon.

La poire n'est pas mûre, bonhomme.

Bertrand.

Elle serait pourrie que vous n'oseriez pas la cueillir?
Le comte.

Voilà notre société organisée; quels seront ses premiers travaux?....

Le bon de Machicoulis.

Le mieux serait de travailler sourdement les esprits pour les détacher de l'usurpateur. Si l'on pouvait trouver le moyen d'imprimer clandestinement les courtes réflexions....

Le mis de Malespine.

On pourrait imprimer en même temps mon dis

cours....

Le comte.

Oui, et le mien quand je l'aurai trouvé. Je ne puis croire qu'il soit perdu,

Le cher de Thimbray.
L'embarras serait de trouver un imprimeur honnête

homme.

Le mis de Malespine.

A la rigueur on pourrait faire circuler des copies manuscrites.

Le cte de Fierdonjon.

Oui, mais on connait nos écritures.

Le mis de Malespine.

Si mademoiselle voulait se donner la peine.... Une écriture de femme, cela n'est pas suspect.

Le comte.

Gardez-vous en bien. Tout le monde ici connait l'écriture de ma sœur.

Le cher de Thimbray.

Un autre inconvénient, c'est que peu de gens dans ce pays savent lire.

Bertrand.

Voulez-vous m'écouter un instant? Je vois que l'affaire tourne mal, et que parmi nous il y en a peu qui soient disposés à risquer leur cou pour la bonne cause. Une idée me vient. Moi, je suis un pauvre paysan. Je me fais vieux, je ne suis plus bon à grand' chose . pourtant...

....

Le cte de Fierdonjon. Pourtant vous savez encore fort bien tuer des perdrix partout où vous en trouvez.

Bertrand.

Or

Je ne dis pas non. Je tire encore assez bien. donc, je me dis: Ce qui empêche notre roi de revenir, c'est cet autre qui a pris sa place. Cet autre là pourtant n'est pas immortel. Sa peau n'est pas si dure qu'une planche de chêne, et j'en ai vu, des lurons, qui traversaient d'un coup de couteau une planche de chêne épaisse de deux pouces.

Le comte.

Où voulez-vous en venir?

Bertrand.

Voici; je me dis donc: Je suis vieux, oui, mais je

nourris quoique cela ma femme et mon fils. Si je meurs, les voilà qui sont à demander leur pain. Si ces messieurs veulent me signer un écrit comme quoi ils leur feront une pension de douze cents francs après ma mort, voici ce que je leur promets de faire. Je pars pour Paris; je tâche de voir l'empereur; si je puis l'approcher à longueur de bras, j'en réponds, il est mort. Si je le manque, eh bien! un autre pourra faire ce que j'aurais voulu faire. On me fusille, bien; mais je me dirai: Au moins la bonne femme et mon fils auront du pain.

Le cte de Fierdonjon.

Mais il y aurait là de quoi nous faire fusiller tous!
Nangis.

Miséricorde! Assassiner l'empereur! Il est pire qu'un

moine espagnol.

Le bon de Machicoulis, bas au comte des Tournelles.
Ne serait-ce pas un espion que ce coquin-là?

Bertrand.

L'écrit, bien entendu, serait mis en lieu sûr. On ne le montrerait qu'après ma mort.

Melle des Tournelles.

Cet homme m'effraie au dernier point. C'est un affreux brigand!

Le comte.

Mon ami, votre proposition est des plus étranges, et il faudrait que nous eussions en Vous une confiance....

Tiens! Vous ne

Bertrand.

risquez que douze cents francs à

vous tous, et moi je risque mon cou!

Le cte de Fierdonjon.

Oui; mais, mon brave, une fois arrivé à Paris, si

vous vous laissiez graisser la patte par la police pour tout dire?....

Le mis de Malespine.

Et la promesse de pension qui témoignerait contre

nous!

Bertrand.

Ah! ça! me croyez-vous capable de vous dénoncer? Eh bien! messieurs, vous allez voir quel homme je suis.

Lisez ce papier, vous qui savez lire, lisez!

Nangis.

Il est un peu gras, le papier, n'importe: (I lit.) ,,Nous, lieutenant-général des armées du roi, certifions. à tous que Joseph Bertrand, dit Sanspeur, major dans notre armée, s'est toujours comporté loyalement et bravement dans toutes les occasions où il s'est trouvé. Son courage et son dévouement sont au-dessus de tout éloge. En foi de quoi nous lui avons délivré le présent certificat, espérant qu'il pourra lui être utile un jour.

Signé. Henri de la Rochejaquelein."
Bertrand.

Qui de vous peut montrer un papier signé d'un honnête homme qui réponde de son honneur et de sa fidélité?

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