Page images
PDF
EPUB

ria! s'écria la mariée, tant qu'il y aura un pain dans cette maison, la moitié vous appartiendra." Le voleur serra la

main de tous les convives, celle même du otaire, embrassa toutes les femmes, puis sautant lestement en selle il regagna les montagnes. Alors seulement le notaire respira liorement. Une demi-heure après arriva un détachement de miquelɩts. mais personne n'avait vu l'homme qu'ils cherchaient.

Le peuple espagnol, qui sait par cœur les romances de douze pairs, qui chante les exploits de Renaud de Montaubar, doit nécessairement s'intéresser beaucoup au seul homme qui, dans un temps aussi prosaïque que le nôtre, fait revivre les vertus chevaleresques des anciens preux. Un autre motif contribue encore à augmenter la popularité de Jose Maria, il est extrêmement généreux. L'argent ne ui coûte guère à gagner, et il le dépense facilement avec es malheureux. Jamais, dit-on, un pauvre ne s'est adressé à lui sans en recevoir une aumône abondante. Un muletier me racontait qu'ayant perdu un mulet qui faisait toute sa fortune, il était sur le point de se jeter la tête la première dans le Guadalquivir, quand une boîte contenant six onces d'or fut remise à sa femme par un inconnu. Il ne doutait pas que ce ne fût un présent de Jose Maria, à qui il avait indiqué un gué un jour qu'il était poursuivi de près par les miquelets.*

MÉRIMÉE.

LES COMPAGNONS D'ULYSSE.

LES Compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,
Erraient au gré du vent, de leur sort incertains.

Ils abordèrent au rivage
Où la fille du dieu du jour,
Circé, tenait alors sa cour.

Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d'un funeste poison.

*Au mois de janvier 1833, l'Infant don Francisco voulait se rendre en Andalousie. Comme cette province était infestée de brigands, il s'a dressa à Jose Maria pour lui demander à prix d'argent une sorte de saufconduit. Jose Maria voulut lui même escorter le prince; et, suivi d'une troupe de ses plus fidèles compagnons, tous richement équipés, il le con duisit à sa destination. Don Francisco fut tellement enchanté de sa conversation attrayante, qu'il lui proposa de demander sa grâce au roi son frère, et de lui faire cbtenir une pension. Le gouvernement lui accorda une pension de 24,000 réaux qu'il dépense maintenant à Séville. + Fille du jour et de la nuit, et fameuse magicienne.

D'abord ils perdent la raison;

Quelques moments après, leur corps et leur visage
Prennent l'air et les traits d'animaux différents :
Les voilà devenus ours, lions, éléphants:

Les uns sous une masse énorme,

Les autres sous une autre forme;
Il s'en vit de petits, exemplum ut talpa.
Le seul Ulysse en échappa ;

Il sut se défier de la liqueur traîtresse.
Comme il joignait à la sagesse

La mine d'un héros et le doux entretien,
Il fit tant que l'enchanteresse

Prit un autre poison peu différent du sien.
Une déesse dit tout ce qu'elle a dans l'ame:
Celle-ci déclara sa flamme.

Ulysse était trop fin pour ne pas profiter
D'une pareille conjoncture:

Il obtint qu'on rendrait à ses Grecs leur figure,
Mais la voudront-ils bien, dit la nymphe, accepter?
Allez le proposer de ce pas à la troupe.

Ulysse y court, et dit: L'empoisonneuse coupe
A son remède encore; et je viens vous l'offrir:
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir?
On vous rend déjà la parole.

Le lion dit, pensant rugir,
Je n'ai pas la tête si folle :

Moi renoncer aux dons que je viens d'acquérir !
J'ai griffe et dents, et mets en pièces qui m'attaque:
Je suis roi; deviendrai-je un citadin d'Ithaque !
Tu me rendras peut-être encore simple soldat:
Je ne veux point changer d'état.

Ulysse, du lion, court à l'ours: Eh! mon frère,
Comme te voilà fait ! je t'ai vu si joli !
Ah! vraiment nous y voici,

Reprit l'ours à sa manière:

Comme me voilà fait! comme doit être un ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre !
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?

Je m'en rapporte aux yeux d'une ourse mes amours
Te déplais-je ? va-t'en; suis ta route, et me laisse
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse;
Et te dis tout net et tout plat:

Je ne veux point changer d'état.
Le prince grec au loup va proposer l'affaire :

Il lui dit au hasard d'un semblable refus:
Camarade, je suis confus

Qu'une jeune et belle bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t'ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t'eût vu sauver sa bergerie;
Tu menais une honnête vie.
Quitte ces bois, et redevien,

Au lieu de loup, homme de bien.

En est-il? dit le loup: pour moi, je n'en vois guère
Tu t'en viens me traiter de bête carnassière;

Toi qui parles, qu'es-tu? N'auriez-vous pas, sans moi
Mangé ces animaux que plaint tout le village?
Si j'étais homme, par ta foi,
Aimerais-je moins le carnage?

Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous:
Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des loups?
Tout bien considéré, je te soutiens en somme
Que, scélérat pour scélérat,

Il vaut mieux être un loup qu'un homme:
Je ne veux point changer d'état.
Ulysse fit à tous une même semonce,
Chacun d'eux fit même réponse,
Autant le grand que le petit.

La liberté, les pois, suivre leur appétit,
C'était leurs délices suprêmes :
Tous renonçaient au los des belles actions.
Ils croyaient s'affranchir suivant leurs passions:
Ils étaient esclaves d'eux-mêmes.

LA FONTAINE,

L HABIT DU CHEVALIER DE GRAMMONT.

[LAHARPE, dans son jugement sur les Mémoires du chevalier de Grammont, a dit: "L'art de raconter les petites choses de manière à les faire valoir beaucoup, y est dans sa perfection. L'histoire de l'habit volé par Termes est en ce genre un modèle unique. Ce livre est le premier où l'on ait montré souvent cette sorte d'esprit qu'on a depuis appelé persiflage, que Voiture avait mis quelquefois en usage avant qu'il fût connu Bous ce nom, et qui consiste à dire plaisamment les choses sérieuses, et sérieusement les choses frivoles. Lorsque le C. de Grammont dit, en parlant de son valet-de-chambre Termes, je l'aurais infailliblement tué, si je n'avais craint de faire attendre mademoiselle d'Hamilton, il dit une chose très folle du ton le plus sérieux, et n'en est que plus gai. Mais

cet esprit demande beaucoup de mesure et de choix...." J'ajoute que cet esprit ne devrait jamais être l'esprit de tout un livre, encore moins de toute une vie.]

Le roi,* qui ne cherchait qu'à faire plaisir au chevalier de Grammont, lui demanda s'il voulait être de la mascarade, à la charge de mener mademoiselle d'Hamilton. Il ne se pi. quait pas d'être assez danseur pour une occasion comme celle. Cependant il n'avait garde de refuser cette proposition. Sire, dit-il, de toutes les bontés qu'il vous a plu me témoi gner depuis que je suis ici, cette dernière m'est la plus sensible."

“Je vous laisse, dit le roi, le choix des nations. Si cela est, reprit le chevalier de Grammont, je m'habillerai à la française pour me déguiser; car l'on me fait déjà "'honneur de me prendre pour un Anglais dans votre ville de Londres. J'aurais, sans cela, quelque envie de me mettre à la romaine: mais de peur de me faire des affaires avec le prince Robert, qui prend si chaudement les intérêts d'Alexandre, contre milord Janet qui se déclare pour César, je n'ose plus m'habiller en héros. Du reste, quoique j'aie la danse cavalière, avec de l'oreille et de l'esprit j'espère me tirer d'affaire de plus, mademoiselle d'Hamilton mettra bien ordre qu'on n'aura pas trop d'attention pour moi. Quant à mon habillement, je ferai partir Termes demain matin; et si je ne vous fais voir à son retour l'habit le plus galant que vous ayez encore vu, tenezmoi pour la nation la plus déshonorée de votre mascarade.’

Termes partit avec des instructions réitérées sur le sujet de son voyage; son maître redoublant d'impatience dans une conjoncture comme celle-là, le courrier ne pouvait pas encore être débarqué, qu'il commençait à compter les moments dans l'attente de son retour. Il s'en occupa jusques à la veille du

bal.

Le jour du bal venu, la cour, plus brillante que jamais, étala toute sa magnificence dans cette mascarade. Ceux qui devaient la composer étaient assemblés à la réserve du cheva lier de Grammont. On s'étonna qu'il arrivât des derniers dans cette occasion, lui dont l'empressement était si remar quable dans les plus frivoles: mais on s'étonna bien plus de e voir enfin paraître en habit de ville, qui avait déjà paru La chose était monstrueuse pour la conjoncture et nouvelle pour lui. Vainement portait-il le plus beau point, a perruque la plus vaste et la mieux poudrée qu'on pût

* Charles II, roi d'Angleterre.

voir.

la fête.

Son habit, d'ailleurs magnifique, ne convenait point ɛ

Le roi, qui s'en aperçut d'abord: "Chevalier de Gram mont, lui dit-il, Termes n'est donc point arrivé :" "Pardonnezmoi, sire, dit-il, Dieu merci. Comment; Dieu merci ? dit le roi, lui serait-il arrivé quelque chose par les chemins? Sire, dit le chevalier de Grammont, voici l'histoire de mon habit et de M. Termes, mon courrier.' A ces mots, le bal tout prêt à commencer fut suspendu. Tous ceux qui devaient danser faisaient un cercle autour du chevalier du Grammont; il poursuivit ainsi son récit :

[ocr errors]

Enfin,

"Il y a deux jours que ce coquin devait être ici, suivant mes ordres et ses serments. On peut juger de mon impatience tout aujourd'hui, voyant qu'il n'arrivait pas. après l'avoir bien maudit, il n'y a qu'une heure qu'il est arrivé, crotté depuis la tête jusqu'aux pieds, botté jusques à la ceinture, fait enfin comme un excommunié. Eh bien! monsieur le faquin, lui dis-je, voilà de vos façons de faire; vous vous faites attendre jusques à l'extrémité; encore est-ce un miracle que vous soyez arrivé. Oui, mor. . . ., dit-il, c'est un miracle. Vous êtes toujours à gronder. Je vous ai fait faire le plus bel habit du monde, que monsieur le duc de Guise lui-même a pris la peine de commander. Donne-le donc, bourreau, lui dis-je; monsieur, dit-il, si je n'ai mis douze brodeurs après, qui n'ont fait que travailler jour et nuit, tenez-moi pour un infâme. Je ne les ai pas quittés d'un moment. Et où est-il, dis-je, traître qui ne fait que raisonner dans le temps que je devrais être habillé? Je l'avais, dit-il, empaqueté, serré, ployé, que toute la pluie du monde n'en eût point approché. Me voilà, poursuivit-il, à courir jour et nuit, connaissant votre impatience, et qu'il ne fait pas bon lanterner avec vous... .Mais où est-il, m'écriai-je, cet habit si bien empaqueté ? Péri, Monsieur, me dit-il en joignant les mains. Comment! péri, lui dis-je en sursaut. Ŏui, péri, perdu, abîmé. Que vous dirai-je de plus? Quoi! le paquebot a fait naufrage? lui dis-je. Oh! vraiment, c'est bien pis, comme vous allez voir, me répondit-il. J'étais à une demilieue de Calais hier au matin, et je voulus prendre le long de la mer pour faire plus de diligence: mais, ma foi, l'on dit bien vrai, qu'il n'est rien tel que le grand chemin; car je donnai tout au travers d'un sable mouvant, où j'enfonçais jusques au menton. Un sable mouvant auprès de Calais, lui dis-je. Oui, monsieur, me dit-il, et si bien sable mouvant, que je me donne au diable, si on me voyait autre chose que le

« PreviousContinue »