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aussi parfaitement au sein des ondes, que leurs modèles qui sont dans l'air. Le paysage paraît double; il y en a un droit et un renversé. Ici, une forêt s'unit par sa base à la même forêt; là, un pont forme avec luimême un autre pont, et avec ses propres arcades des cercles entiers, entourés de voussoirs. On y voit à-la-fois deux cieux, deux soleils, et celui qui est au fond des eaux n'est pas moins éblouissant que celui qui brille dans la profondeur des cieux.

La terre, à son tour, offre de nouvelles consonnances par les couleurs de ses terras

ses,

dont les sombres roches et le rouge brun s'harmonient si bien avec la verdure. Mais c'est sur-tout par ses vallées profondes, ses montagnes à croupes arrondies et à sommets escarpés, qu'elle offre les plus magnifiques amphithéâtres à toutes les richesses de la végétation. On y voit toutes ses tribus rangées par ordre, depuis le roseau, d'un vert glauque, que le souffle du zéphyr agite sur le bord des eaux, au fond des vallons, jusqu'au cèdre qui s'élève au haut d'une atmosphère empourprée, sur les cimes des monts lointains,

autour des glaciers, où il brave les tempêtes et les hivers. La terre, couronnée d'arbres, paraît plus élevée et plus majestueuse.

Enfin, les végétaux sont si nécessaires, qu'on peut dire qu'il n'y a point de paysage proprement dit, là où ils manquent. On ne peut donner ce nom aux vastes plaines de la mer, à ses écueils, aux rochers nus et arides du Spitzberg, aux neiges et aux glaciers du Nord, ni aux déserts sablonneux de l'Afrique. Au contraire, les végétaux seuls suffisent pour former un paysage très-varié dans une plaine, même circonscrite. Les herbes, les arbustes, les sous- arbrisseaux, les arbrisseaux, les arbres, y peuvent être disposés en amphithéâtre, et y figurer des vallons, des collines, des eaux, des rochers, des perspectives. Chaque arbre porte avec lui un caractère particulier qui en varie les scènes, et y exprime, pour ainsi dire, une passion. L'if noir et hérissé présente quelque chose de hideux; le cyprès, de funèbre; et le saule de Babylone, de mélancolique, par sa longue chevelure.

Le rosier paraît l'emblème du plaisir par ses fleurs éclatantes et passagères, mêlées

d'épines cachées et permanentes; le myrte, celui de la volupté, par ses rameaux flexibles et odorants. Le chêne a un caractère athlétique dans son tronc noueux et ses branches tortueuses; le sapin majestueux, dans sa haute et sombre pyramide, ressemble à un grand rocher planté sur les montagnes; le peuplier, aux feuilles tremblantes et murmurantes, imite le mouvement et le gazouillement des eaux.

Les végétaux, par leurs contrastes, produisent entre eux une multitude d'harmonies naturelles tels sont les rosiers avec les lis; le liseron aquatique à feuilles en cœur et à fleurs en cloches blanches, appelées chemises de Notre-Dame, avec le saule; les ébéniers à fleurs jaunes avec les sapins sombres et pyramidaux; la vigne avec l'orme......

Les animaux ajoutent encore au sentiment moral des végétaux auxquels ils sont ordonnés. Chaque arbre, chaque plante a, pour ainsi dire, une ame dans un volatile, qui l'habite, va, vient, saute, chante ou murmure autour de lui. L'abeille est en harmonie avec le cytise, le papillon avec le rosier, la

tourterelle amoureuse avec le myrte. Le hibou fait son nid dans l'if des cimetières; l'écureuil revêtu de fourrure, dans le sapin du Nord; et le rossignol plaintif, dans le peuplier murmurant. Virgile a bien senti ces convenances, et sur-tout les dernières, lorsqu'il a comparé Orphée pleurant la perte d'Eurydice, à un rossignol qui déplore, l'ombre d'un peuplier, celle de ses petits encore sans plumes, qu'un dur laboureur aux aguets a arrachés de leur nid :

Qualis populeâ morens Philomela sub umbrâ
Amissos queritur fœtus, quos durus arator,
Observans nido, implumes detraxit: at illa
Flet noctem; ramoque sedens, miserabile carmen
Integrat, et moestis iatè loca questibus implet.

Le poëte achève la beauté de cette image par des vers dont l'harmonie imitative est inimitable à ma faible prose. Il oppose la

douleur de cette mère infortunée à la cruauté du laboureur. « Pour elle, dit-il, elle se >> plaint toute la nuit; posée sur un rameau, »elle continue son chant lamentable, et rem>>plit au loin les solitudes de ses tristes gé

>> missements. »>

Virgile compare l'amour conjugal d'Orphée à l'amour maternel du plus harmonieux des oiseaux, comme le seul qui en puisse exprimer les regrets. Il a senti que les consonnances des passions humaines, bien plus expressives que les animales, ajoutaient encore au caractère des végétaux ; il emploie fréquemment celles des enfants et des roses, des adolescents et des lis, des jeunes filles et des myrtes. Avec combien de grace il représente, dans ses Eglogues, le vendangeur qui chante au haut de l'orme, soutien de la vigne. Pour moi, je ne vois point sans un nouvel intérêt, le long des rivières, le saule porter la nasse du pêcheur sur les mêmes rameaux dont elle est formée. Si je lui trouve préférable le saule de Babylone, c'est que je me rappelle la lyre que les Israélites, dans leur captivité, y avaient suspendue. Plus l'harmonie morale des végétaux et des hommes s'étend, plus elle produit d'effet. Mon ame s'agrandit quand je vois, à travers les campagnes, ces longues avenues qui font communiquer les empires. Bien des gens n'y voient que des ormes; pour moi, j'y sens les

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