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HARMONIES

DE

LA NATURE.

SUITE

DES HARMONIES VEGETALES.

Si j'ose dire ce que je pense, c'est aux plantes, et sur-tout à leurs racines, qui leur fournissent des fils, des cordes, des arcs, que les Sauvages doivent les premiers modèles des spirales de leurs meubles, et de leur écriture hieroglyphique. Je suis d'autant plus porté à adopter cette opinion, que les Chinois, le peuple le plus ancien de la terre, y ont puisé leur premier alphabet. Suivant Kircher, c'est des formes des racines, auxquelles ils attribuent les plus grandes vertus des plan

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tes, qu'ils ont composé les premières lettres qui servirent à l'écriture vulgaire et à faire des livres. Ils y joignirent ensuite d'autres alphabets, formés d'étoiles, d'ailes d'oiseaux, de tortues, de coquillages, de vermisseaux, de reptiles, de poissons, suivant les sujets qu'ils voulaient traiter. Ils groupaient plusieurs de ces animaux pour exprimer le caractère d'un objet. Par exemple, voulaientils offrir l'image de la rapidité d'un fleuve qui se précipite comme un torrent ils représentaient plusieurs poissons qui nageaient dans différents sens. Le cours ordinaire d'un fleuve était rendu par un seul poisson nageant dans une seule direction. Une agrégation d'animaux forma un caractère, désigné aujourd'hui par des points ou par de simples traits. C'est, suivant Kircher, la seule différence qui existe entre leurs caractères anciens et leurs caractères modernes : ainsi, une lettre est chez eux une pensée. Ils eurent, dans l'origine, seize alphabets, qui n'en composent plus qu'un seul aujourd'hui; mais celui de la végétation est le plus ancien et le fondement de tous les autres.

C'est à la forme des racines des plantes qu'il faut attribuër, à mon avis, ces grands traits déliés, roulés et enchevêtrés qu'on trouve dans leur écriture et dans celle des autres peuples de l'Orient, qui adoptèrent sans doute les mêmes modèles. Nous retrouverions, peut-être, ces caractères radicaux dans nos lettres romaines; car les trois jambes de l'M, les deux perpendiculaires de İ'N, les deux inclinées de l'A, les deux renversées du V, de l'X, le Z, etc., ressemblent aux racines végétales de l'alphabet chinois. Les lettres E, F, I, L, Y, représentent peutêtre des tiges d'arbres, les unes toutes nues, les autres avec des branches, d'autres avec des racines, d'autres avec des branches et des racines. Notre T sur-tout est une abréviation du fameux Tau des Égyptiens. Il imite, comme lui, le tronc d'un arbre avec ses branches horizontales, désigné ainsi dans les caractères de la Chine †. Cette forme de croix qui, suivant nos voyageurs les plus éclairés, représente un arbre dans l'écriture chinoise, a fait imaginer bien des commentaires à quelques missionnaires, qui ont cru y voir

le signe de la rédemption ainsi que dans le Tau des Égyptiens. Il y a apparence que notre S a été tirée de la figure du serpent, d'autant qu'elle fait siffler tous les mots où elle se trouve. Nous citerons en preuve ce vers de Racine dans la bouche d'Oreste furieux, qui croit voir le spectre sanglant de sa mère après l'avoir poignardée :

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos tétes?

La lettre C, qui a une partie de la figure de l'S, ou d'un serpent à demi levé, produit aussi souvent le même sifflement. Quant à l'O, je suis porté à croire qu'il doit sa forme à celle du soleil, d'autant que le son qu'il exprime est, dans toutes les langues, celui de l'admiration : c'est le sentiment qu'a dû produire chez tous les peuples l'astre du jour. L'O donne de la majesté à tous les mots, en les rendant plus sonores. Il se trouve fréquemment dans les langues méridionales de l'Europe, comme dans celle des Espagnols. Aussi Charles-Quint, s'arrêtant aux divers accents des langues européennes, disait que l'anglaise était propre à parler aux oiseaux,

l'allemande aux chevaux, l'italienne aux dames, la française aux hommes, l'espagnole à Dieu. Ce qui prouve encore que la figure de la lettre O doit son origine à la forme ronde du soleil, et son expression à celle de l'admiration, c'est qu'elle se trouve très-répandue dans les langues simples des peuples de la zone torride, auxquelles elle donne une harmonie et une dignité que n'ont pas souvent celles des peuples savants et civilisés des autres climats. C'est ce qu'on peut voir surtout dans les noms de la plupart des royaumes de l'intérieur de l'Afrique, tels que ceux d'Angola, des Jolofs, de Tombuto, de Bournou, de Majombo, de Gingiro, de Macoco, de Loango, de Congo, de Loando, de Monoémugi, de Monomotapa, de Mozambo, etc. D'un autre côté, j'ai observé que dans les pays froids, comme en Russie, la plupart des terminaisons des noms sont en A, telles que celles du lac Ladoga, en Finlande; de la cascade d'Imatra, de la ville de Riga, ainsi que celles de quantité de noms vulgaires. La bière s'y appelle piva ; l'eau, vauda ; le pain, gleba; la mère, matouska; le père, batouska.

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