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Voltaire dit que ses mémoires sont plus d'une femme occupée d'elle-même, que d'une princesse témoin de grands événemens. Mais on y rapporte une quantité d'anecdotes très-intéressantes. Son style est simple et concis; on

y

admire la facilité avec laquelle elle exprime tout ce qu'elle veut dire. On en jugera par quelques exemples:

« J'appris, dit-elle, que la reine de Suède (*) >> devoit partir de Fontainebleau; je devois » la trouver sur mon chemin dès que je sus

(*) Christine, reine de Suède, née le 8 février 1626, succéda à son père Gustave Adolphe, mort dans le sein de la victoire, à Lutzen, le 16 novembre 1652. Elle abdiqua la couronne, le 16 juin 1654, en faveur de son cousin Charles Gustave. Elle traversa le Danemarck, l'Allemagne, les Pays-bas, la France. Elle embrassa la religion catholique à Bruxelles. Elle se rendit à Rome : mais ne trouvant pas dans sa vie privée le bonheur qu'elle avoit espéré, elle laissoit échapper quelquefois d'inutiles regrets d'avoir quitté le trône; et à la mort de Charles, elle fit de vains efforts pour y remonter. Christine avoit beaucoup d'esprit, de la littérature, et des connoissances dans diverses sciences; mais elle étoit violente, capricieuse, inégale, inconstante, et sans pudeur dans ses propos comme dans sa conduite. L'assassinat de Monadelschi, son grand écuyer, et selon plusieurs son amant, qu'elle fit commettre sous ses yeux, dans la galerie des Cerfs, à Fontainebleau, en 1654, inspira à tout le monde

qu'elle étoit à Essonne, je m'habillai et m'y » en allai. Comme j'arrivois, M. de Guise, >> Cominges, et tous les officiers du roi qui » étoient à la servir, vinrent au-devant de moi; » elle étoit dans une belle chambre à l'ita>> lienne, où elle alloit voir un ballet: ainsi » elle étoit entourée d'un nombre infini de » gens; de sorte qu'elle ne pouvoit faire que » deux pas pour venir au-devant de moi. J'a>> vois tant ouï parler de la manière bizarre » de son habillement, que je mourois de peur » de rire lorsque je la verrois. Comme on cria » gare, et que l'on me fit place, je l'apperçus: » elle me surprit, et ce ne fut pas d'une ma»nière à me faire rire. Elle avoit une jupe » grise, avec de la dentelle d'or et d'argent; » un juste-au-corps de camelot couleur de feu, » avec de la dentelle de même que la jupe; >> au cou, un mouchoir de point de Gênes noué » avec un ruban couleur de feu; une perruque

une juste horreur. Elle ne fut regrettée de personne, lorsqu'elle termina sa bizarre carrière à Rome, le 19 avril 1689, dans sa soixante-troisième année. Le cardinal Azolini passoit pour être son amant.

Mais d'Azolin dans Rome

Sut charmer ses ennuis, etc.

Voyez Chansons de Coulange.

:

>>blonde, et derrière, un rond comme les » femmes en portent, et un chapeau avec >> des plumes noires, qu'elle tenoit. Elle est >> blanche, a les yeux bleus; dans des momens >> elle les a doux, et dans d'autres fort rudes; >> la bouche assez agréable, quoique grande; » les dents belles, le nez grand et aquilin: >> elle est fort petite; son juste-au-corps cache >> sa mauvaise taille. A tout prendre, elle me >> parut un joli petit garçon. Elle m'embrassa, >> et me dit j'ai la plus grande joie du monde >> d'avoir l'honneur de vous voir; je l'ai souhaité » avec passion. Elle me donna la main pour » passer sur le banc, et me dit, vous avez » assez de disposition pour sauter. Je me mist » dans la chaise à bras que l'on m'avoit des>> tinée; je m'amusai à causer avec les gens qui » étoient autour de moi. La reine me demanda » combien j'avois de sœurs, des nouvelles de » mon père, de quelle maison ma belle-mère » étoit (*), me fit plusieurs questions et cajo»leries infinies. Lorsque je lui eus présenté » la comtesse de Fiesque, elle me dit tout bas :

(*) Gaston, duc d'Orléans, après la mort de sa première femme, mère de mademoiselle de Montpensier, épousa en secondes noces une princesse de Lorraine.

>> elle n'est pas si belle, pour avoir fait tant de >> bruit; le chevalier de Grammont est-il tou

jours amoureux d'elle? Quand je lui pré>> sentai madame de Béthune, elle lui parla » de ses manuscrits: elle étoit bien-aise de faire >> paroître qu'elle connoissoit tout le monde, » et qu'elle en savoit des nouvelles. Après le >> ballet nous allâmes à la comédie : là elle » me surprit pour louer les endroits qui lui >> plaisoient; elle juroit Dieu, se couchoit dans » sa chaise, jettoit ses jambes d'un côté et de >> l'autre, les passoit sur les bras de sa chaise; >> elle faisoit des postures que je n'ai jamais >> vu faire qu'à Trivelin et à Jodelet, qui sont >> deux bouffons, l'un italien, l'autre français; » elle répétoit les vers qui lui plaisoient. Elle >> parla sur beaucoup de matières; et ce qu'elle » dit, elle le dit assez agréablement. Il lui » prenoit des rêveries profondes: elle faisoit » de grands soupirs, puis tout d'un coup elle >> revenoit comme une personne en sursaut. » Elle est tout-à-fait extraordinaire. Après la >> comédie, on apporta une collation de fruits » et de confitures; ensuite on alla voir un feu >> d'artifice sur l'eau. Elle me tenoit par la main » à ce feu, où il y eut des fusées qui vinrent » près de nous j'en eus peur; elle se moqua

» de moi, et me dit: Comment, une demoi» selle qui a été aux occasions, et qui a fait » de si belles actions, a peur? Je lui répondis » que je n'étois brave qu'aux occasions, et que >> c'étoit assez pour moi. Elle disoit que la plus » grande envie qu'elle auroit au monde, seroit » de se trouver à une bataille, et qu'elle ne >> seroit point contente que cela ne lui soit >> arrivé; qu'elle portoit une grande envie au » prince de Condé, de tout ce qu'il avoit fait. » Elle me dit, c'est votre bon ami; je lui dis: » Oui, madame, et mon parent très-proche. » C'est le plus grand homme du monde, dit» elle; on ne lui sauroit ôter cela. Je lui ré»pondis qu'il étoit bien heureux d'être si >> avantageusement dans son esprit. Quand le » feu fut fini, elle me prit en particulier, et >> elle me dit qu'elle vouloit s'employer par » toute voie pour me raccommoder à la cour » et avec S. A. R.; que je n'étois pas faite pour » demeurer à la campagne; que j'étois née » pour être reine; qu'elle souhaitoit avec pas»sion que je la fusse de France; que c'étoit » le bien et l'avantage de l'état; que j'étois la >> plus belle, la plus aimable et la plus grande >> princesse de l'Europe; que la politique vou>>loit cela; qu'elle en parleroit à M. le cardinal.

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