Page images
PDF
EPUB

sa pensée est que la France a besoin de lui. Il estime peu toute opinion qui ne se range pas à celle-là. Tel il était sous la monarchie, tel il est sous la république. Beaucoup pensent d'eux ce qu'il pense de lui-même. Mais ce sentiment si répandu, il le laisse trop voir, et cette négligence le rend plus plaisant qu'il ne croit l'être. A son avis, l'opinion qui se prononce contre la trop longue durée de l'Assemblée est factice. Ce que le pays veut, c'est que les lois organiques soient faites, et surtout que le Ministère soit défait. Voilà ce que le commerce attend, voilà ce que l'agriculture demande, voilà ce que la fabrique réclame, voilà ce que le crédit exige. Mais quoi! le Ministère n'a point d'initiative, le Ministère ne propose aucune loi, le Ministère se croise les bras, et les affaires languissent! Bravo! crie la Montagne. M. Billault reprend ce thème, le tourne, le retourne, le développe. Il le saupoudre de déclarations tendres pour le président de la République. La Montagne redouble ses bravos. Hélas! Monsieur Billault, il faut mourir, et l'on n'est pas sûr de ressusciter!

M. Barrot a terminé la discussion en relevant le gant que M. Billault lui avait jeté. Il a nettement déclaré à l'Assemblée que, tout considéré, elle ferait bien de s'en aller. Cela n'a pu passer sans orage. M. Barrot n'est point adroit. Il a de vieilles attitudes et de vieilles emphases d'opposition qui ne réussissent nullement aux ministres. Il le sent, il cherche à copier quelques-unes des fiertés simples et grandes de M. Guizot, et ce n'est qu'un surcroît d'enflure. On l'a interpellé grossièrement, on lui a montré le poing, on a voulu le faire rappeler à l'ordre, on l'a forcé à répéter vingt fois des paroles qui n'avaient rien d'offensant, mais dont ses adversaires voulaient

:

absolument s'offenser; ceux-ci contrefaisaient sa voix, ceux-là sa pose, d'autres le huaient d'un rire brutal.... Ces symphonies ne sont pas nouvelles, il a dù se les rappeler la vieille opposition les a jouées plus d'une fois; alors il tenait le bâton et menait l'orchestre. Voilà le retour des choses d'ici-bas. Néanmoins, si M. Barrot connaît aujourd'hui l'amertume de ces offenses, il en aura aussi le bénéfice, et le pays ne lui saura pas mauvais gré des paroles qui l'ont constitué en état de rupture avec la Chambre. On pensera comme lui que l'inactivité du Ministère ne saurait avec justice lui être imputée. Les interpellations mettent bon ordre à ce qu'il fasse quelque chose.

La Chambre s'est partagée en deux parties égales. La proposition, repoussée par 401 voix, a été prise en considération à la majorité de trois voix. On dit qu'il y a eu erreur dans le dépouillement du scrutin. Cette erreur ne saurait avoir la moindre importance, dùt-elle changer la majorité. L'Assemblée ne rejettera la proposition Rateau, si elle la rejette, que pour en adopter une autre qui aura le mème effet. En somme, l'Assemblée a fait son œuvre et son temps. Avoir vécu dix mois, c'est beaucoup! Elle a largement épuisé sa sève constituante. Nous ne nous étonnons pas cependant qu'un grand nombre de ses membres se refusent encore à le reconnaître. Le fabuliste (ce n'est pas M. Lachambaudie) en a donné la raison :

Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.

L'ESCLAVE VINDEX.

Ce pamphlet, inspiré par les disputes qui s'élevaient sans cesse entre les journaux républicains et les journaux socialistes, parut à la fin de janvier 1849, lorsque l'on se préoccupait déjà des élections par suite de la proposition Rateau. Je recueillis, à cette occasion, des approbations assez flatteuses de la part de quelques chefs du parti de l'ordre, entre autres celle du maréchal Bugeaud, dont je fus infiniment honoré. Aujourd'hui la situation paraît changée, et les conservateurs rassurés ne m'applaudiraient plus. Cependant la vérité que j'essaie de faire comprendre est la même, et les bons esprits la trouveront, je crois, encore plus évidente qu'en 1849.

DÉDICACE

AU CITOYEN GRIBOUILLE,

PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE A CHIGNAC,

Ci-devant membre de la Société des Droits de l'homme.

CITOYEN,

Du temps de Louis-Philippe, lorsque, ayant présidé ta section des Droits de l'homme, tu te rendais au bal de la Femme affranchie, tu passais entre deux statues qui se font face dans le jardin des Tuileries, devant le pavillon de l'Horloge. L'une, en bronze, représente l'esclave Vindex accroupi, aiguisant sa serpe, au moment où il surprend la conjuration des fils de Brutus; l'autre, en marbre, représente Spartacus, debout, les bras chargés d'un débris de chaîne, la main droite armée d'une épée.

Le bronze est fort beau. Cet esclave maigre et nerveux écoute avec une expression maligne. Son visage déjà ridé, son front chauve, montrent qu'il a eu le temps de souffrir. Physionomie intelligente, mais sauvage. S'il dénonce à Brutus la conspiration qui menace Rome, ce sera pour obtenir une récompense, peut-être pour se venger, et non par aucun souci de Rome, de Brutus ou de la liberté patricienne.

Le marbre est médiocre et ne fait pas du tout entendre ce que le statuaire voulait dire. A quel signe reconnaître l'esclave dans ce joli

:

garçon potelé, coquet, dont le visage heureux s'efforce inutilement d'exprimer la fureur? L'œuvre est datée du 23 juillet 1830, comme un entrefilet de journal contre les ordonnances de Charles X, et elle a bien le caractère des libéraux de ce temps-là quelque chose de déclamatoire et de faux; un opprimé nanti de bons petits gages, qui fait son chemin par l'opposition. Ce n'est pas l'esclave qui se redresse, c'est le démagogue qui pose. L'artiste a pris au palais ou à la tribune ce visage composé, et dans quelque bain public ce corps oisif et bien. nourri. Il n'a su ni amaigrir, ni défriser son modèle. Copiant servilement la molle nature, il n'a pas même vu que ce modèle avait froid. Spartacus a la chair de poule : il ne demande pas la liberté, il implore une chemise. Regarde Vindex: il ne songe non plus au grand air que s'il portait double vêtement.

D'honnêtes gens s'étonnent qu'on ait planté ce Spartacus devant le palais du roi. A mon avis, Louis-Philippe connaissait assez les hommes, en particulier l'espèce de juillet, pour ne rien craindre de celui-ci, et pour s'en faire même, de quelque façon, un garde-du-corps. Il le laissait à la porte, symbole expressif du démocrate qui sollicite un emploi de Cour.

D'autres honnêtes gens, en moindre nombre, ont plus de peine à comprendre ce système de décoration des jardins publics, qui expose partout, aux regards d'une nation monarchique et chrétienne, des héros si républicains et des dieux si déshabillés.

A droite et à gauche de Spartacus, tournés comme lui vers les fenêtres du palais où Louis-Philippe, ce modèle des pères bourgeois, élevait des enfants destinés à porter une couronne catholique, se dressent en file de grands vilains bons hommes, totalement inconnus du peuple français, des Phidias, des Philopomen, des Caton d'Utique, des Cincinnatus, vêtus d'un casque ou d'un baudrier. Quatre nymphes leur font face, produits d'un art plus élégant, mais en toilette aussi sommaire. Tout ce qui les habille tiendrait dans le képi d'un garde mobile.

La meilleure société parisienne, la société conservatrice et mariée, se promène tous les jours en famille entre cette double rangée d'ombilics... Je n'y comprends rien, et seul tu me parais propre à m'expliquer cela, toi, ancien coq de la Femme affranchie, maintenant gardien de la morale publique. Fais-le quand tu seras de loisir. Pour moi, je ne m'y arrête pas davantage. Ce n'est point le sujet que je veux trai

« PreviousContinue »