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qu'Attila et même que Guillaume-le-Bâtard. On dépossédait le prince, on ne dépossédait plus le sujet. Qui avait amené une modification si favorable à l'humanité? Nous connaissons des gens qui disent: C'est la philosophie. Rousseau dit : C'est le Christianisme! « Nos gouverne»ments modernes doivent incontestablement au Chris» tianisme leur plus solide autorité et leurs révolutions >> moins fréquentes: il les a rendus eux-mêmes moins sanguinaires; cela se prouve par le fait, en les compa» rant aux gouvernements anciens. » Et Montesquieu : « Nous devons au Christianisme, et dans le gouverne>>ment un certain droit politique, et dans la guerre un >> certain droit des gens que la nature humaine ne saurait >> assez reconnaître. » Ce que, pour le remarquer en passant, Rousseau et Montesquieu n'auraient jamais eu l'occasion d'écrire, s'ils ne s'étaient pas trouvé de tout temps, comme aujourd'hui à Rome et à Turin, des papes et des évêques pour résister aux réactions païennes des puissances temporelles et pour empêcher le Christianisme de devenir ou l'Arianisme, ou le Protestantisme, ou le Gallicanisme, ou le Siccardinisme.

Mais, pendant que l'Eglise catholique, quoique notablement affaiblie par la défection du xvi° siècle, donnait cette preuve politique de la vérité de ses doctrines, son empire, depuis longtemps ouvertement combattu par des doctrines contraires, était enfin miné et allait crouler. La Révolution, fille de la philosophie, fille elle-même du protestantisme, éclata. Du premier coup elle mit la division et le feu dans l'Europe; la civilisation recula d'un bond jusqu'à la barbarie. Le sang et les têtes coupées furent les principaux dons offerts à la Raison, déesse de la liberté et de la fraternité universelles. En même temps

que la guerre civile multipliait les meurtres sur le sol de la patrie, la politique des chefs du mouvement prenait à tache de raviver les haines de peuple à peuple et de souffler dans chaque pays cette féroce aversion de l'étranger, l'un des caractères les plus rudes de la vieille Rome, où le mot étranger était synonyme d'ennemi.

Nous ferions injure à M. Chambolle si nous le soupconnions ou de ne pas reconnaître en tout ceci les conséquences du protestantisme, ou de les reconnaître et de les vouloir pousser jusqu'au bout. A moins donc qu'il ne nous déclare formellement le contraire, nous croyons qu'il désire sincèrement voir la France et l'Europe revenir à l'unité de croyances; - et nous allons lui indiquer tout de suite un moyen d'y travailler honorablement et efficacement.

Il y a parmi les rédacteurs de l'Ordre un plaisant qui feint de se promener en Suisse et qui, sous le pseudonyme de Bias, publie des impressions de voyages où il cherche à imiter Voltaire, sans même atteindre jusqu'au compère Matthieu. Cela consiste en narrations dialoguées sur différents points de religion et d'histoire. Ils sont trois principaux interlocuteurs: un Anglais, sir John, moulé sur les Anglais raisonneurs des romans du xvIII° siècle, esprit fort, n'ayant aucune religion positive, mais ayant toutes les vertus et doué d'une dialectique invincible; miss Arabelle, anglicane tolérante; et maître Bias, qui fait semblant d'être catholique. Ces trois personnages causent des choses qu'ils voient et font causer les gens qu'ils rencontrent. S'ils rencontrent un catholique, c'est un imbécile, infailliblement : sir John l'écrase, miss Arabelle le prend en pitié, Bias le moque, et voilà un chapitre pour l'Ordre. En somme, ce sont des lieux

communs de philosophisme et de libéralisme, arrosés d'une érudition de 1825. Bias doit avoir servi sous le colonel Touquet. Le mal est que tout cela s'adresse à une classe intellectuelle totalement incapable d'en soupçonner le danger et l'ineptie. Mais M. Chambolle peut y veiller et va voir qu'il doit le faire.

Grand apôtre de la tolérance, l'aimable Bias n'admet aucune vérité religieuse. Il estime que le Catholicisme et le Protestantisme se valent bien. Comme tous ceux qui font ce partage équitable entre Rome et Genève, il ne manque pas de trouver que Rome a toujours tort et Genève toujours raison. Chemin faisant donc, il réhabilite les protestants et extermine les catholiques. Les catholiques sont idiots, les catholiques sont intolérants, les catholiques sont féroces. Voilà les impressions de notre homme au milieu de la Suisse, perdue de discordes civiles depuis l'avènement du protestantisme; telle est son équité en présence des protestants devenus radicaux et faisant ployer sous leur joug sauvage les cantons catholiques écrasés. Il y ajoute, à propos des dogmes catholiques, cent fleurettes compilées dans Pigault-Lebrun.

Puisque M. Chambolle prie Dieu de nous rendre l'unité des croyances, il admet sans doute que ces grossièretés sottes ne peuvent nous y acheminer, et il prendra soin d'en purger son journal.

Discuter une croyance religieuse, c'est déjà beaucoup, surtout lorsqu'on l'ignore; mais l'insulter, quel intérêt moral et politique y trouve-t-on?

Si l'appétit des abonnés de l'Ordre, démembrement de l'ancien troupeau du Siècle, exige des ragoûts de ce genre, il faut laisser à d'autres le soin de les assouvir. Un publiciste sérieux ne peut pas permettre que, sous

prétexte d'achalander son journal, des plaisants d'un ordre très inférieur y viennent ridiculiser ce qu'il estime, lui, digne de tous les respects.

Dans le même numéro où M. Chambolle regrette avec tant de bon sens l'ancienne unité des croyances, son collaborateur Bias fait un éloge pompeux de Zwingle. Quoi! dit sir John à un pauvre diable de catholique, vous damnez ce grand homme? « Un homme qui aime mieux >> mourir que de se confesser et que d'invoquer les Saints » avait de respectables scrupules sur la confession et le » culte des images (?). Et quand on donne sa vie pour ses » convictions, et que ces convictions, d'ailleurs, n'ont >> rien de contraire à la morale universelle, il est douteux, >> Monsieur, que pour cela on aille en enfer. »

Que M. Chambolle examine où ce papotage va. Si Zwingle, moine débauché et curé apostat, était un grand homme, et si c'est par « d'honorables scrupules » qu'il a allumé la guerre dans sa patrie, nous demandons ce que l'on peut reprocher aux socialistes? Les plus coupables d'entre eux le sont certainement beaucoup moins que le curé d'Einsiedlen. Et ceux qui sont morts sur les barricades de Juin ont droit à tous les hommages des rédacteurs de l'Ordre; car « ils ont donné leur vie pour leurs >> convictions. >> Placez donc dans vos bureaux, en lieu d'honneur, le portrait de ce Larroque, rédacteur du Père Duchesne, qui périt sous les balles intolérantes des fanatiques défenseurs de la famille et de la propriété ! faites un pèlerinage à Belle-Ile-en-Mer, pour y vénérer les pontons où les transportés ont expié ce qu'on appelle leur crime!

Et il ne faut pas équivoquer; il ne faut pas dire que

ces malheureux avaient des convictions contraires à la

morale universelle. Premièrement, on risquerait de ne les troubler que fort peu par cette raison-là; et ensuite, dans la bouche d'un apologiste de Zwingle et de Luther, qu'est-ce que c'est que la morale universelle? Nous défions le galant Bias de nous le dire, et surtout de nous montrer que Zwingle n'y a pas manqué.

Encore une fois, M. Chambolle fera bien de censurer les écritures de M. Bias et de ne plus permettre que ce plaisant contredise l'excellent instinct qui le fait soupirer après l'unité.

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Si les protestants ont eu raison, les socialistes ont raison; il n'y a de vérité ni en religion ni en politique; et quand M. Chambolle demande l'unité, il demande ce qu'il ignore, ou ce qu'il ne voudrait pas obtenir.

VI.

SUR LE RESPECT DE LA LOI.

18 novembre 1850.

Lorsqu'il n'y a pas de grosse affaire qui l'occupe exclusivement et consécutivement, comme la « question Neumayer, » par exemple, ou l'imbroglio créé par

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