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V.

SUR L'UNITÉ.

22 août 1850.

Nous avons lu dans l'Ordre une phrase que nous voulons noter, car elle fait infiniment d'honneur à M. Chambolle, qui s'en déclare expressément l'auteur. Si l'Ordre nous faisait lire plus souvent des articles, ou même tout simplement (nous ne sommes pas si difficiles qu'on le pense) des phrases de ce ton-là, nos polémiques prendraient tout de suite un autre caractère; l'ironie s'éloignerait de nos lèvres et nous raisonnerions, parce qu'il y aurait place pour le raisonnement.

Remarquant les divisions qui existent partout dans le pays, M. Chambolle y voit « un sujet de méditation, et peut-être de tristesse, mais point de sujet d'alarme, ni surtout de colère. » Nous n'aurions pas dit cela tout-àfait de la même façon; ces divisions sont certainement fort tristes et fort alarmantes. Cependant il est certain qu'elles ne peuvent exciter la colère d'aucun esprit sérieux contre aucun homme actuellement vivant. Nous n'avons que des morts à maudire. M. Chambolle, personnellement, semble assez disposé à maudire les mêmes. noms que nous. « Oui, poursuit-il, notre pays, ou plu

» tôt, à vrai dire, le monde est divisé. Cela vient de loin, et l'unité de croyances, que les révolutions reli» gieuses et politiques ont détruite, quoi qu'on dise et qu'on fasse, ne se rétablira pas en un jour; il y faudra » le secours du temps et la main de Dieu. »

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Nous regrettons que M. Chambolle finisse là son article. Il tenait un filon que nous aimerions à lui voir creuser, et nous le pressons d'y revenir. Si, à ses yeux, la division est un grand mal, et l'unité de croyances un grand bien, M. Chambolle doit à ses lecteurs et se doit à luimême de rechercher au plus vite comment, par quelles voies, sur quel terrain nous reviendrons à l'unité.

La chose est difficile, nous le savons; il y faut du temps, il y faut la main de Dieu, et l'homme aussi a quelque chose à faire. Pour que Dieu le sauve, il faut que l'homme s'y emploie. Cela est vrai de la société comme de l'individu, et M. Chambolle ne récusera pas, sur ce chapitre, la parole de saint Augustin: Celui qui vous a créé sans vous, ne vous sauvera pas sans vous: Qui te fecit sine te, non te salvabit sine te. Si saint Augustin paraissait tenir de trop près au « parti clérical, nous avons encore la sagesse des nations, qui dit fort justement: Aide-toi, le Ciel t'aidera. Dieu ne nous ramènera pas à l'unité, sans un effort de notre part.

Or, qu'est-ce que le retour à l'unité, sinon le retour à la vérité? On pourrait défier les siècles et Dieu lui-même de nous unir autrement que dans le vrai. Ce défi serait simplement absurde, puisque ce serait défier Dieu de faire l'œuvre du démon.

Il y a une vérité, et il n'y en a qu'une. L'expérience le démontre, d'accord avec la raison. Le monde n'est divisé que pour être tombé depuis quelques siècles dans

l'aberration et dans le malheur de croire à l'existence de plusieurs vérités.

Cette vérité unique, cette vérité nécessaire à l'homme, indispensable aux sociétés, cette vérité de Dieu, en un mot, où la trouverons-nous?

M. Chambolle accorde bien que nous n'avons pas à étudier longuement les différents prophètes de ce temps-ci, M. Cousin, M. Pierre Leroux, M. Cabet, M. Considérant, M. Louis Blanc, M. Proudhon, pour savoir lequel nous apporte la vérité. Aucun d'eux ne s'annonce capable de réunir la France et le monde.

Trouverons-nous ce que nous cherchons en remontant un peu plus haut? Le lien des esprits et des cœurs est-il sorti irrésistible et indestructible des mains de Luther et de tous ceux qui, à son exemple et contre lui, ont doté le monde moderne de ce que l'on appelle la liberté de penser? M. Chambolle éprouverait non-seulement une vraie difficulté, mais encore une très forte et très honorable répugnance à soutenir cette thèse; car, en ce cas, l'unité de croyances, loin de lui paraître un bien à implorer de la bonté céleste, lui paraîtrait le plus grand des maux ; il féliciterait l'esprit humain d'en être délivré.

Où est-elle donc, la vérité qui peut nous réunir? où est-elle, et qui l'a connue?

M. Chambolle va peut-être s'écrier que nous ne lui proposons rien de nouveau; mais nous le prions de remarquer combien, de son propre aveu, les nouveautés sont peu solides, peu séduisantes et même peu nouvelles.

La vérité, c'est le Christianisme; et quand nous disons le Christianisme, comme il y en a malheureusement plusieurs, M. Chambolle sait bien duquel nous voulons

parler. Ce n'est pas celui qui règne à Moscou, ni celui qui règne à Genève, ni celui qui règne à Berlin, ni celui qui règne à Londres: c'est celui qui régnait dans tous ces lieux-là avant que l'esprit de division ne vint morceler en sectes ennemies le grand corps catholique et détruire cette merveilleuse unité dont M. Chambolle confesse assez l'excellence en invoquant la main de Dieu pour la rétablir.

et

Si M. Chambolle était tenté de nous répondre qu'il ne regrette pas du tout l'avénement de la liberté de penser, que le Catholicisme n'est nullement, à ses yeux, l'unique terrain de l'unité de croyances, nous le supplierions d'y réfléchir. Il y a là un « sujet de méditation » très digne d'occuper ses vacances législatives.

Vouloir chercher la vérité en dehors du Catholicisme, ou un terrain de réunion en dehors de la vérité, c'est le labeur de tous ceux qui veulent faire de l'ordre avec du désordre. M. Chambolle nous a dit une parole trop vraie pour pouvoir demeurer dans la foule déraisonnable et obstinée des chasseurs du merle blanc. Il arriverait bientôt à conclure, ou contre ses assertions, que le Catholicisme est le lieu de l'unité, ou contre sa conscience, que l'unité des croyances serait une plaie sociale à laquelle nous devons préférer, quoi qu'il arrive, la permanence et l'éternité de nos divisions.

Avant de le croire résigné à cette conclusion, nous voulons l'entendre de sa bouche, bien nette et bien articulée.

Nous voulons que, jetant un coup-d'œil à la manière de Bossuet sur l'histoire de la civilisation européenne, il nous montre que cette civilisation ne s'est pas formée par l'affirmation unanime de la doctrine catholique, et n'est

pas entrée en travail de dissolution depuis qu'elle a écouté les protestations hérétiques.

Il y eut un temps où la France n'était qu'une famille et l'Europe qu'un grand empire. Dans la famille, tous les enfants, quels que fussent leurs dissentiments, reconnaissaient le même père, obéissaient à la même loi, suivaient le même drapeau, et chacun y possédait en paix sa part petite ou grande du sol commun. Dans l'empire, il n'y avait également qu'un chef, et ce chef était le Roi des rois. En signe de dépendance envers lui et d'union entre eux, tous les chefs particuliers des grandes subdivisions de cet empire, lieutenants du Roi suprême, portaient sur leur front le symbole de sa toute-puissance, et la croix couronnait toutes les couronnes. La croix, entendez-bien! la croix de Dieu fait homme et mort du dernier supplice pour tous les hommes, pour les racheter tous, pour les délivrer tous de l'esclavage de l'homme et de l'esclavage du péché; la croix du Sauveur Jésus qui, nous enseignant à prier Dieu, nous a dit de l'appeler NOTRE PERE!-Et certes, les socialistes auront le temps de barbouiller d'imbéciles syllabes les murs de nos édifices, avant de trouver rien qui parle de liberté, d'égalité et de fraternité, comme cette croix qui brillait sur les diadèmes.

Ce n'était pas un signe vain. La croix avait fait son œuvre et l'agrandissait chaque jour. Graduellement l'Europe arrivait aux mêmes habitudes, aux mêmes mœurs, à la même politique, et, gràce à l'universalité de la langue française, elle parlait la même langue. Si l'esprit de conquête n'était pas étouffé, l'esprit des conquérants du moins s'était singulièrement adouci; l'on avait vu Louis XIV et même Frédéric se comporter autrement

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