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Si vous ne croyez qu'à ce que vous avez vu, et si vous doutez de tout ce dont les bouffons de M. Perrée (1) se raillent, vous êtes un homme à part dans ce vaste univers. Le public est plus facile, heureusement pour vous. Quand les électeurs de Paris vous ont nommé, quand les actionnaires de l'Ordre vous ont apporté leurs fonds, votre talent de publiciste et d'orateur n'était pas attesté par soixante mille témoins. Ces électeurs, ces actionnaires ont fait l'acte de foi le plus gratuit qui fut jamais.

Et vous-même, il y a des miracles que vous acceptez. Si l'on vous demandait de les nommer, vous seriez embarrassé peut-être. N'en acceptassiez-vous qu'un seul, l'avez-vous vu? Si vous croyez un miracle, un seul, sans l'avoir vu, quel témoignage plus croyable en avezvous que du miracle de Rimini, quand ce miracle sera vérifié par le souverain Pontife?

Votre grande raison, c'est que le catalogue des faits merveilleux est bien assez chargé. Mais si Dieu trouve qu'il n'y en a pas assez et s'il lui plaît d'y ajouter, qu'avez-vous à dire?

Il ne suffit pas de s'écrier lourdement : Je ne crois pas, et d'essayer quelques plaisanteries qui ne sont plus du goût des honnêtes gens; il faut tâcher de raisonner. Rappelez-vous donc que vous êtes sérieux et cherchez quelques raisons, puisqu'aussi bien vous n'avez pas don des grimaces, comme la bande légère de M. Perrée. C'est M. Perrée qui est plaisant et qui fait rire; vous, vous êtes un publiciste « sérieux ». Les électeurs ont ren

le

(1) M. Perrée, propriétaire du Siècle, était aussi propriétaire du Charivari.

voyé M. Perrée à la foire et vous ont conservé à la législature. Faites honneur à vos électeurs; dites-nous pourquoi vous ne croyez pas aux miracles, ou pourquoi vous croyez à ceux-là et point à ceux-ci, aux anciens et point aux nouveaux; prouvez-nous que l'ère des miracles est passée; dites-nous à quelle époque elle a fini et comment elle ne renaîtra point; prouvez-nous que Dieu n'oserait pas manifester ainsi sa puissance dans le siècle où vit M. Chambolle, ni rétablir la propriété, la religion, la famille, et sauver le monde par d'autres moyens que ceux qui sont indiqués et employés avec un si rare succès dans l'Ordre, « journal consacré à la défense des principes conservateurs de la société, — rédacteur en chef, M. Chambolle, prix: 32 fr. par an. »

Et si vous ne pouvez pas faire cette preuve, si vous ne pouvez ni croire ni donner la raison de votre incrédulité, taisez-vous, pauvre voltairien qui n'osez plus être voltairien et qui ne savez pas être autre chose! Faites humblement votre petit métier d'incapable; frappez silencieusement des lois par assis et levé, tant que durera la machine; faites courir des nouvelles, brocantez des feuilletons, ratiocinez sur le cours de la Bourse, — et attendez ce que l'Eglise ou le socialisme, entre qui vous n'avez pas l'énergie de choisir, décideront de vous.

II.

LE TYPE.

26 juin 1850.

L'Ordre semble ne pas se douter de l'importance que nous lui attribuons : « L'Univers, dit-il, s'occupe encore » de nous. » Encore? qu'il sache que nous nous occupons de lui toujours. M. Chambolle est à nos yeux un des personnages les plus considérables de ce monde; il est un type, une nation, une époque ; il est plus que tout cela, et nous ne craignons pas de dire que l'Homère qui voudrait écrire une Chambollade en vingt-quatre chants aurait à faire le poème de l'humanité.......... au point de vue comique. Le génie des vers noùs manque, voilà l'unique raison qui nous empêche d'entreprendre cet ouvrage ; car nous sommes d'ailleurs pleins du sujet, et nous avons vraiment M. Chambolle sur le nez. Que nous le nommions, que nous ne le nommions pas, presque tout ce que nous écrivons le regarde, ou le cherche. Nous ne savons plus quand nous avons commencé, nous n'aurons jamais fini. C'est un travail de nos ancêtres que nous léguerons à nos neveux. Il y a donc des gens qui prennent M. Chambolle pour un simple mortel? Il est plus âgé que le Juif

Errant, il vivra jusqu'à la fin des siècles. On le trouve dans l'histoire sacrée et dans l'histoire profane. Nous le voyons paraître pour la première fois en Idumée, déjà très vieux; il était l'un des trois amis du saint homme Job, et celui de tous qui l'ennuya le plus. Il brille à la cour de Pharaon; il y défend les principes conservateurs de la société en faisant rage contre la liberté de l'Eglise, et il conteste les miracles, tout en promettant d'en opérer lui-même, toujours comme aujourd'hui. Citoyen de Rome, on le voit constamment du parti contraire à son opinion, ou de l'opinion contraire à son parti, le plus zélé des conservateurs et le plus utile agent des Gracques. Bourgeois d'Athènes, il promène de boutique en boutique les dictons, les axiomes et l'air de la Béotie. Socrate ne s'est pas moins occupé de lui que nous ne le faisons nousmêmes; mais il ne se rendait pas compte de l'intérêt que lui portait ce philosophe et il ne l'aimait pas. Socrate, disait-il, manque de sérieux; il ne sait répondre à mes raisonnements que par plaisanteries, il a l'air de se moquer de moi; je le soupçonne de ne respecter point la divinité. Oui, c'est un faux dévot! Dans le NouveauTestament, ces lépreux guéris par une parole du Sauveur, qui s'éloignèrent aussitôt et qui plus tard réclamèrent la délivrance de Barabbas, nous font bien l'effet d'avoir été des lecteurs de M. Chambolle. Est-ce que M. Chambolle lui-même, en se consultant bien, ne se souviendrait pas d'avoir conseillé à l'honnête Pilate la mesure si politique par laquelle cet homme d'Etat a immortalisé sa mémoire? Il se rappelle du moins son premier jugement contre saint Pierre, lorsqu'il le fit battre et l'emprisonna, lui enjoignant de ne plus prononcer à l'avenir le nom du Crucifié et de ne plus séduire les

peuples par des miracles qui faisaient tomber à ses pieds une pluie d'argent. On trouve dans ce mémorable arrêt le même génie qui inspire aujourd'hui le « journal des >> principes conservateurs de la société et des libertés pu» bliques. » Nous croyons que M. Chambolle a été païen longtemps. Avec quelle foi profonde il a dù opposer à tout ce que l'on rapportait des chrétiens, les miracles cent fois plus vraisemblables d'Apollonius de Thyane! C'est ainsi, disait-il, c'est par la vertu qui fait ces prodiges que nous rétablirons les vieilles mœurs et que nous sauverons l'empire. Le bon païen conservateur et modéré, c'était le même homme qui, de nos jours, n'a pas assez de mépris pour les supercheries catholiques et qui, dans l'intérêt des saines doctrines, offre en prime à ses lecteurs « la valeur de trente-six volumes par an dus à >> nos plus célèbres romanciers: Alexandre Dumas, » EUGÈNE SUE, George Sand, de Balzac, etc., » les priant de remarquer qu'il fait un rabais que personne n'a fait encore, et que seul il donne tout cela pour 32 fr. par an. Mais il y joint sa prose.

Vers le siècle, M. Chambolle n'y tint plus : il se rendit au Christ.... et se fit arien. Cependant, si l'on nous disait qu'il a commencé par être un peu cérinthien, un peu ébionite, un peu carpocratien, un peu marcionite, et le reste, nous n'en serions guère étonnés. Ce qui se peut affirmer, c'est qu'il n'a manqué, depuis Arius, aucune hérésie, et que de toutes il a retenu quelque chose. Peut-être qu'il n'en sait rien; mais penchez un peu ce vase, l'hérésie s'en échappe en filets gluants. S'agit-il de doctrine chrétienne? il est indifféremment pélagien, semi-pélagien, éclectique, et tout le reste. S'agit-il des droits du Siége apostolique? il est arien, vaudois, albi

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