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ruptrice; s'il avait revendiqué, comme membre de la famille chrétienne, les droits qu'il tient de la charité du Seigneur Jésus, que d'entraves seraient tombées aussitôt que de plaies saignantes, inguérissables, auraient été fermées en peu d'instants! Car quelle n'eût pas été la force de ce véritable homme du peuple, et qu'eùt-il demandé de juste sans l'obtenir?

Mais le suffrage universel n'a envoyé que des politiques, des hommes de parti, des avocats, des rhéteurs; ces envoyés ont représenté tous les drapeaux, toutes les ambitions, toutes les classes, tous les systèmes, toutes les folies, tout, excepté le peuple! Parmi eux, nul n'a vu l'homme qui aurait pu pleinement et avec une autorité entière parler pour le peuple, parler comme lui, prendre en main et porter toute sa cause.

Non, cet homme n'existe pas! cherchez dans l'Assemblée, et prononcez le nom dont il se nomme. Est-ce M. de Flotte? est-ce M. Sue? est-ce M. de Lamennais? est-ce M. Esquiros? est-ce M. Pierre Leroux? est-ce M. Agricol Perdiguier, le menuisier publiciste, ou M. Nadaud, le maçon penseur? Nous ne voyons là que des bourgeois, et de la pire espèce, plus ignorants, plus sceptiques que les autres, ou plus envieux.

Le suffrage universel n'a pas su trouver un homme du peuple, ou il l'a trouvé et il l'a écarté au profit des journalistes, des avocats et des intrigants. Qui pèsera cette raison la trouvera forte; et qu'on la pèse ou non, le suffrage universel devra compter avec elle quelque jour. Dieu aura pitié du peuple, il lui donnera un mandataire, et celuilà sera souverain.

LA FUSION.

La maison de Bourbon et M. Thiers.

A travers les expédients plus ou moins chimériques qui s'offraient aux esprits comme solution du problème républicain, le principal, le plus raisonnable et en apparence le plus praticable était une restauration monarchique par l'accord des partisans de la maison de Bourbon, branche aînée et branche cadette. L'idée se présentait comme d'ellemême à tout ce qui n'était pas républicain ou bonapartiste, et c'était la grande majorité dans cette petite minorité qui avait été jusqu'en 1848 et qui croyait être encore la classe dominante. Faute d'habitude, on faisait abstraction du suffrage universel et de l'état révolutionnaire. On se déclarait donc tout d'abord pour la fusion; mais, lorsque l'on y regardait d'un peu plus près, on s'apercevait qu'il y avait bien des manières de l'entendre. Les uns la voulaient au profit de la maison d'Orléans et du régime de 1830; les autres pensaient que la fusion devait

être une reconnaissance pure et simple du droit de M. le comte de Chambord par les princes d'Orléans, et par suite une restauration véritablement monarchique, qui mît le vrai pouvoir royal dans les mains du vrai Roi Le régime à donner à la France eût été tel à peu près que celui qui a été institué en 1852. C'est là le sens où l'Univers, pendant quelques mois, entendit et soutint la fusion. Premièrement, que la branche cadette de la maison de Bourbon rentrât dans l'ordre; secondement, la reconstitution sérieuse et sincère du Pouvoir en dehors des voies révolutionnaires.

On a voulu méconnaître cette attitude, et, comme sur beaucoup d'autres points, l'Univers a été diffamé sur celui-ci. Je crois cependant que nous n'avons rien fait et rien dit dont nous puissions rougir. Nous respections le pouvoir du Président jusqu'au terme qui lui était assigné, la Constitution jusqu'à ce qu'elle fût modifiée légalement. En dehors de cela, nous avions parfaitement le droit de prévoir l'avenir et de chercher à le préparer; nous pouvions être monarchistes d'une certaine nuance plutôt que de certaine autre, et rien ne nous obligeait à préférer plutôt le maintien de la République ou l'établissement du régime impérial. En 1850, on ne connaissait pas Louis-Napoléon. Malgré les services qui le recommandaient à tous les hommes d'ordre et que nous reconnaissions plus hautement que personne, on était en doute sur le fond de sa pensée et l'on ne savait point s'il ne s'appuierait pas sur la révolution. De plus, la lettre du 18 août, quoique sagement abandonnée, inquiétait toujours les catholiques.

Ce fut dans le courant du mois de juin 1850 que je formulai nos idées sur la Fusion. Je le fis en forme de lettres écrites de Londres, avec les renseignements que me donna un homme plein de cœur et d'idées généreuses, ancien serviteur de la branche cadette, très chaleureusement rattaché à la branche aînée. Les faits sont de la plus scrupuleuse exactitude, et ils n'ont pas été invalidés par les démentis que l'on a essayé de leur opposer. Si les dispositions que les princes d'Orléans montraient alors n'étaient point sincères ou ne sont plus les mêmes, ce n'est ni la faute de mon ami, ni la mienne. A mon avis, l'influence de M. Thiers a été funeste en cette rencontre. Il a empêché sinon un grand et heureux succès, du moins un noble effort.

13 juin 1850.

I. Nous recevons de Londres la lettre suivante : Voici, selon votre désir, des nouvelles de Claremont. Vous ne craindrez pas plus de les publier que je n'ai craint de les écrire, quoiqu'elles montrent Louis-Philippe sous un jour où vos lecteurs n'ont pas l'habitude de le contempler. Nous ne sommes sans doute tenus envers l'ex-roi à aucune réparation; nous n'avons été ni ses calomniateurs, ni ses ennemis; mais nous avons été souvent ses adversaires et jamais ses apologistes. Or, la stricte équité ordonne de payer à un adversaire le tribut d'estime qu'il peut mériter et d'effacer par là l'idée trop défavorable qu'on aurait pu donner de lui. Si nous soupconnons maintenant des circonstances atténuantes là où jadis notre conscience n'en admettait pas, pourquoi ne point l'avouer? Si seulement nous trouvons qu'un homme, fùt-il ennemi, est devenu meilleur dans l'adversité, pourquoi hésiterions-nous à le dire? Cette justice est en même temps un hommage au Dieu clément qui envoie l'ad

versité.

Toute la famille déchue est réunie en ce moment. Mme la duchesse d'Orléans a amené ses enfants à Claremont, pour que le comte de Paris, qui va faire sa première communion, y fût préparé sous les yeux de sa grand'mère. En même temps que les leçons nécessaires, le jeune prince reçoit de sa pieuse aïeule et de toute sa famille paternelle les exemples les plus capables de lui faire comprendre et aimer la religion. Après de longues et difficiles négociations, Marie-Amélie a pu enfin obte

nir du gouvernement anglais la faveur de faire célébrer le saint sacrifice dans le château royal de Claremont. La messe est dite tous les jours, et chaque jour la famille entière y assiste. J'ai vu s'incliner devant l'autel tous ces fronts qui ont perdu la couronne. C'est une grande scène; je ne l'oublierai jamais. Je me rappelais deux autres messes très solennelles auxquelles j'ai assisté aussi, les messes célébrées sur la place de la Concorde pour les funérailles de Juin et pour la promulgation de la Constitution. Je songeais encore que, probablement, à la même heure, Dieu voyait au pied de l'autel un autre prince, un autre Bourbon, un autre exilé. Voilà ce culte que l'on dit mort. Ceux qui sont tombés lui demandent la résignation, ceux qui vivent lui demandent la durée, ceux qui s'élèvent lui demandent l'accroissement. Il est le même pour le passé, pour le présent, pour l'avenir; le même pour la défaite, pour le triomphe, pour l'espérance. Entendre la messe est le principal signe, la principale garantie morale que donnent à la société la monarchie constitutionnelle exilée à Claremont, la république modérée régnante à Paris, la monarchie pure disponible à Frohsdorf. En dehors de ces trois grandes fractions qui entendent la messe, que reste-t-il en France? Par qui voudraient être gouvernés ce qui nous reste de voltairiens conservateurs?

Les lois de l'Eglise, si largement accomplies à Claremont quant au culte, y sont observées sur tous les autres points. Le médecin seul en dispense, et la table de LouisPhilippe, sobre comme celle d'un bourgeois, est orthodoxe comme celle d'un curé. Cette régularité est l'onvrage de la reine Marie-Amélie; elle jouit délicieuse ment de la docilité avec laquelle s'y sont soumis son

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