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X.

DISCOURS DE M. DE MONTALEMBERT.

La discussion, à la fois laborieuse, bruyante et assez peu sincère, dura longtemps. Les universitaires feignirent de croire que l'Université allait périr. M. Thiers les rassura sans peine. M. de Montalembert n'eut pas beaucoup plus d'efforts à faire pour obtenir l'assentiment des catholiques, en général légitimistes, et qui voyaient surtout dans la loi l'œuvre de M. de Falloux et une œuvre de politique, ce qu'elle était en effet. M. l'abbé de Cazalès proposa des amendements excellents, qui ne furent point adoptés. Mer Parisis, après avoir développé avec toute l'autorité de son talent et de son caractère des pensées qui étaient les nôtres, crut devoir s'abstenir, à cause des dissentiments qu'il connaissait dans l'Episcopat. En somme, la coalition qui avait combiné la loi la fit passer avec quelques améliorations dont une, à la vérité, était considérable et de nature à faire tomber une partie de nos objections; c'est la disposition par laquelle les Jésuites eurent le droit d'ouvrir des établissements. On la dut principalement à M. Thiers. Ainsi l'orateur des Radicaux contre le Sonderbund, participa d'une façon directe et pour ainsi dire souveraine aux deux actes législatifs les plus catholiques, peut-être, de la République et de notre époque, tous deux bien honorablement contraires à ses vues les plus accoutumées. Il fit reconnaître, à propos de l'expédition de Rome, l'indépendance temporelle du Souverain Pontife; à propos de l'enseignement, le droit des corporations religieuses et spécialement de la Compagnie de Jésus. Quelquefois la Providence daigne se jouer des sages qui lui font la guerre. M. Thiers s'y prêta de bonne grâce. Dieu veuille lui en savoir gré! personne ne le souhaite plus sincèrement que moi. Quant à la politique, qui nous a

valu ce bénéfice, elle nous a d'un autre côté occasionné assez de dommages pour que nous ne la bénissions point. Nous prêtant M. Thiers, elle nous ôta M. de Montalembert. Il entra à pleines voiles dans les voies de la transaction et fit contre nous la moitié de son principal discours. Il appela le projet un « projet de conciliation,» un « concordat,» une « œuvre sacrée. Il se plaignit de nous amèrement. Il nous accusa d'avoir voulu le faire passer « pour un traître ou pour un imbécile. » Il nous peignit comme des soldats rebelles qui s'étaient tournés contre leur chef, qui lui prodiguaient l'ingratitude, l'impopularité et l'injustice, » qui l'avaient dénoncé à Rome; comme des esprits intraitables, des journalistes que domine le besoin d'un aliment quotidien de polémique, etc. Tout cela fut douloureux à entendre et l'est encore à répéter. La séparation nous coûta moins avec d'autres, et leur amertume nous parut moins pénible. M. de Falloux, M. Beugnot, etc., n'étaient, à différents degrés, que des alliés politiques. M. de Montalembert était tout autre chose à nos yeux et pour nos cœurs.

Nous publiâmes en entier le discours de M. de Montalembert, avec les courtes réflexions que voici :

19 janvier 1850.

Nous donnons, d'après le Moniteur, le discours prononcé hier par M. Montalembert. On nous permettra de ne le point combattre. Pour ce qui regarde le projet de loi, M. de Montalembert n'a fait valoir en sa faveur aucun argument qui nous paraisse exiger une réfutation nouvelle. Si nous nous trompons en ceci, nous le saurons bientôt. Les arguments dont nous aurions méconnu la force seront certainement repris par d'autres partisans de la transaction. Nous les retrouverons alors.

Pour ce qui nous regarde personnellement, nous nous en remettons au jugement de nos lecteurs. Ils ont suivi toute notre polémique, ils savent si M. de Montalembert a lieu de se plaindre de nous depuis l'avènement inopiné de cette malheureuse pensée de transaction, à laquelle

tant de catholiques ont cru devoir refuser leur assentiment. Nous ne pensons pas que ses griefs datent de plus loin.

Nous dirons seulement que nous sommes affligés et même un peu étonnés de retrouver dans le texte revu du Moniteur certains mots que nous aurions voulu mettre sur le compte des entraînements de l'improvisation. Ces mots seront assez remarqués sans que nous nous condamnions à les signaler. Nous ne voulons pas courir le risque de blesser tout à la fois M. de Montalembert et nous-mêmes en les relevant. Une discussion entre nous ne doit rouler que sur des choses sérieuses; pour que nous répondions à ses reproches, nous les voulons dignes de lui. Ce n'est pas là le caractère de ces accusations d'ingratitude et d'injustice sur lesquelles il a tant appuyé. Puisse-t-il se sentir toujours lui-même, autant que nous, engagé envers ses services et sa gloire!

XI.

VOTE DE LA LOI.

16 mars 1850.

La loi de l'enseignement est votée. Nous l'avons combattue sans relâche, avec toute la vigueur que nous pou

vions y mettre et avec une persévérance égale à notre conviction. Nous aurions voulu la faire rejeter, car nous la croyons mauvaise; nous n'avons pas même pu l'améliorer. Elle sort du scrutin pleine de toutes les obscurités, de tous les inconvénients, de tous les périls que nous y avions signalés. Elle fait à l'Eglise une situation difficile et dangereuse; elle consolide l'Université; elle recule, pour bien longtemps peut-être, ce jour de la liberté, dont nous avons cru un moment saluer enfin l'aurore.

Si nos tristes prévisions sont trompées, si celles de nos amis, qui ont autrement jugé, se réalisent; si la liberté peut naître de cette loi qui n'est, à nos yeux, que la forteresse restaurée et agrandie du monopole, nous n'aurons nul droit aux louanges et aux bénédictions que mériteront ses auteurs. Ils ont, certes, emporté ce succès malgré nous, et leur triomphe ne nous convertit pas plus que ne l'ont fait leurs arguments. A l'heure qu'il est, nous sommes encore aussi étonnés du parti qu'ils ont pris qu'attristés et inquiets du résultat.

Mais nous n'aurons pas davantage la responsabilité de ce résultat, s'il est tel malheureusement que nous l'avons toujours redouté. Qu'il soit bien entendu que cette loi n'est pas notre ouvrage, , que nous ne sommes pas de ceux qui l'ont voulue, que nous l'avons combattue depuis le premier jusqu'au dernier jour, et dans son principe, et dans son ensemble, et dans ses détails. Que cette dernière protestation soit écoutée; car nous ne protestons pas seulement en notre nom, et la majorité des catholiques est avec nous. Non, cette liberté qu'on prétend nous donner n'est pas la liberté, et surtout n'est pas la liberté que nous demandions pour nous et pour les autres; ce

n'est pas la liberté de l'enseignement, ce n'est pas la liberté de la conscience, ce n'est pas la liberté de la famille, ce n'est pas la liberté de la commune, ce n'est pas la liberté de l'Eglise, ce n'est pas la liberté! C'est un compromis plein de piéges, un pacte avec des adversaires à la loyauté desquels nous ne croyons pas. Ce compromis, ce pacte nous est imposé. Proposé par l'Université toute seule, les catholiques l'auraient repoussé comme nous, absolument, unanimement, persévéram– ment, eût-il été identiquement le même. Pour le faire passer, il a fallu que quelques-uns de nos chefs et de nos amis, s'exagérant d'inutiles avantages et pressés d'en finir, lui donnassent leur patronage respecté ; il a fallu enchaîner les esprits par cette autorité considérable et les aveugler en leur jetant cette raison toute faite dont on a tant usé et abusé : La loi est mauvaise, inais elle vaut encore mieux que le statu quo.

Plaise à Dieu que nous n'en soyons pas bientôt à regretter le statu quo! On pouvait sortir du statu quo; comment et à quel prix sortira-t-on de la loi?

Enfin elle est faite, cette loi, et ce n'est plus le temps de récriminer. Nous supprimons des plaintes superflues. En présence du vote d'hier, il ne nous reste plus que deux choses à faire dégager notre responsabilité et attendre.

Notre responsabilité est dégagée. Nous proclamons une dernière fois que nous croyons avoir rempli notre devoir. Nous sommes contents et de l'avoir rempli et de la façon dont nous l'avons rempli. Jetant un regard sur cette longue polémique, nous n'y trouvons rien, sauf peut-être quelques vivacités de langage dont nous demandons volontiers pardon à ceux qu'elles auraient

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