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Fantôme! dit-il, chimère! Vous croyez toujours avoir affaire à la loi Villemain. Vous oubliez perpétuellement que cette loi-ci est une loi de liberté, puisque c'est nous qui l'avons faite. Ce qui vous offusque n'existe plus. Tout cet attirail est abrogé ou va l'être. Lisez, sondez, scrutez les blancs!

A moins qu'on ne nous accuse absolument de mauvaise foi ou de stupidité, on conviendra que de tels doutes, et si persévérants, valaient la peine d'être éclaircis. C'est une question qui a sa gravité, de savoir si la liberté se trouve ou ne se trouve pas dans le projet qu'on nous propose; et peut-être avons-nous aussi quelque droit de nous en enquérir, sinon comme anciens champions de la liberté d'enseignement, titre dont on ne semble pas disposé à nous tenir compte, du moins comme citoyens et comme catholiques. Pour dissiper nos doutes, nous les avons formulés. L'Ami de la Religion, dont la modération n'est pas sans âpreté, s'est chargé de les réfuter. On connaît ses arguments; nous les citons textuellement, autant que possible. Ce matin encore, nous les reproduisions, numérotés de un à seize; et comme l'ordre, dans la polémique, est le complément de la loyauté, nous avons discuté ses seize arguments en seize paragraphes. Il nous semble impossible d'apporter dans une discussion plus de mesure et plus de véritable désir de produire la lumière.

Nos lecteurs, sous les yeux desquels nous mettons avec tant de scrupule toutes les pièces du procès, seront étonnés d'apprendre que notre polémique est violente; qu'elle tend à soulever les esprits, à agiter les consciences, à gêner la liberté de l'Episcopat; qu'elle est un péril pour l'Eglise et pour la société; qu'en nous livrant à cette discussion, nous avons enfin outrepassé nos droits et peut

être les leurs! Tel est du moins l'avis de l'Ami de la Religion. Non content de foudroyer nos objections contre les articles et les blancs du projet, il transporte le débat sur un terrain plus large; et, pour mettre le projet tout-à-fait à couvert, il nous interdit de l'attaquer. Sa raison est simple. Parmi les auteurs et défenseurs du projet, on voit, chose incontestable et incontestée, « des publicistes éminents, >> des hommes d'Etat généreux, des catholiques illustres. » Nous autres, que sommes-nous? « Quelques écrivains. » Nous n'avons pas mission. Nous devons admirer et nous taire, et si nous discutons (mais mieux vaudrait ne pas discuter), que ce soit alors d'une manière grave, paisible, modérée, en nous abstenant de tout jugement, de toute décision, de toute condamnation; car si nous jugeons, si nous décidons, si nous condamnons, ou si on peut le croire, alors, « c'est un extrême désordre; » la sagesse est méprisée, l'Episcopat est intimidé, l'Assemblée législative elle-même n'est plus libre; tout est compromis, tout est perdu. Voilà le grand mal que peuvent faire <«< quelques écrivains, » et l'Ami de la Religion estime que nous l'avons fait. Il le prouve en dix pages. C'est beaucoup plus de place qu'il ne lui en faudrait pour donner à ses lecteurs une au moins des deux lettres de Mgr l'évêque de Chartres (1).

La théorie de l'Ami de la Religion nous mènerait loin. Nous pourrions la réfuter sans y employer dix pages. Mais à quoi bon? L'Ami de la Religion, rédigé aussi par

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quelques écrivains, » se réfute en continuant de paraître. Comme nous, il a eu son opinion sur le projet de loi;

(1) L'illustre évêque s'était fortement prononcé contre le projet. L'Ami de la Religion n'en disait rien.

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comme nous, il l'a produite; comme nous et même avant nous, il a essayé de prévenir le jugement de l'Episcopat; car savait-il, ce que personne ne sait encore, si l'Episcopat approuve ou désapprouve le projet de loi? Comme nous, les quelques écrivains de l'Ami de la Religion n'ont rien fait qu'ils n'aient eu parfaitement le droit de faire, et à titre de citoyens et à titre de chrétiens. Le droit politique en vertu duquel nous discutons tous la loi, est le même que celui en vertu duquel les membres de l'Assemblée législative vont la voter. Le droit religieux n'est pas plus incontestable; et si les « quelques écrivains » de l'Univers avaient le malheur de ne pas l'exercer en toute sécurité de conscience, parce qu'il s'agit d'une chose qui intéresse l'Eglise, nous voudrions savoir pourquoi les quelques écrivains de l'Ami de la Religion se trouveraient moins à plaindre et moins répréhensibles que nous! Ils diront qu'ils approuvent, et que nous blàmons; qu'ils sont doux, et que nous sommes violents; qu'ils ont raison, et que nous avons tort. Ont-ils un décret des évêques de France qui déclare le projet bon, excellent, et, comme nous l'avons entendu dire à un de ses plus éminents patrons, le meilleur que l'on pût désirer, lors même qu'il serait voté TEL QU'IL EST ET SANS AUCUNE AMÉLIORATION? Car voilà jusqu'où vont ceux qui se félicitent d'ètre accommodants avec la même passion qu'ils nous reprochent de nous dire intraitables.

L'Ami de la Religion, pour soustraire son cher projet à nos critiques, nous dit qu'il est maintenant « devant >> deux grands tribunaux : — l'Episcopat, le tribunal religieux, de qui dépend la question de conscience » pour les catholiques; l'Assemblée législative, de

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qui dépend la question de fait pour tout le monde. »

Soit! devant ces deux tribunaux, on ne peut nous empêcher de plaider. Nous plaidons devant l'Episcopat : sans accuser personne, nous lui disons que le projet, tel que nous le voyons, opprime nos consciences, et que, pour être soulagées, elles ont besoin que l'Eglise leur ordonne d'obéir. Nous plaidons devant l'Assemblée : nous lui disons qu'on lui propose une prétendue loi de liberté et de concorde où, suivant nous, la liberté n'est point, et d'où la concorde ne sortira pas.

En quoi manquons-nous de respect aux juges en leur disant cela, et qui les outrage le plus, ou de nous, qui leur portons franchement nos griefs, ou de ceux qui prétendent que nous pouvons troubler leur jugement?

Nous sommes, du reste, enchantés de voir que l'Ami de la Religion en appelle à l'Episcopat. Il n'est donc plus du nombre de ceux qui, le projet préparé en secret, se sont promis de le soutenir et se sont proposé de le faire voter d'urgence, presque sans discussion, avant, pour ainsi dire, que personne en connût rien, l'Episcopat pas plus que le reste du troupeau catholique! Quant à nous, jamais nous n'avons hésité sur ce point. Il a été l'objet de nos plus ardentes réclamations; nous avons demandé que l'Episcopat fùt consulté, nous le demandons encore. Nous croyons par là donner à nos évêques un témoignage de notre confiance et de nos respects. Difficilement on nous persuadera que nous leur rendrions un plus bel hommage en nous associant à ces muets qui ne voulaient livrer la loi à leurs méditations que déjà sanctionnée par le tribunal politique, c'est-à-dire toute faite, et faite irrévocablement.

L'Ami de la Religion nous reproche à peu près de ne point entendre la question. Il est certain que nous ne

l'entendons pas comme lui. Il trouve que nous nous sommes prononcés avec trop de promptitude. Il s'abuse. Nous avons attendu, moins peut-être qu'on ne l'aurait voulu, mais autant qu'on l'a demandé. Il est vrai, quand nous avons parlé, nous ne connaissions la loi que depuis quelques jours; mais le système, nous le connaissions depuis plus longtemps. Nous l'avions étudié et même déjà combattu. Sans vouloir trop rappeler ce que peut-être on oublie trop, il nous est au moins permis de dire que nous n'en sommes ni à nos premières études ni à nos premières luttes. On sait sous quels maîtres nous avons appris à défendre la liberté. Nous regardons quelquefois les armes qu'ils nous ont laissées avec une tristesse que nous ne pensions pas éprouver jamais, et avec un regret fraternel qui nous défend encore de nous en servir.

IV.

RÉPONSE A M. L'ABBÉ DUPANLOUP.

1er août 1849.

Mgr l'évêque nommé d'Orléans nous permet de deviner qu'il est l'auteur de certains articles publiés par l'Ami de la Religion en faveur du projet de loi sur l'enseignement. Cette découverte peut gêner la liberté de notre

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