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simplement, si la loi passe, transaction laïque sur une question à la fois politique et religieuse.

Transaction intempestive, à notre avis; trop dangereuse, quant au but religieux, pour n'être pas entièrement inefficace quant au but politique, qui est de terminer une longue querelle et de rétablir la paix.

De semblables transactions, les catholiques peuvent les subir, jamais les accepter.

On objecte l'esprit du temps, l'impossibilité des solutions complètes, la nécessité des concessions. Nous répondons que le temps manque de foi et que l'occasion était bonne pour lui en montrer. Nous ajoutons qu'il y a quelque chose de plus impossible que les solutions complètes; ce sont les solutions mitigées, les mélanges de faux et de vrai, qui dissolvent la vérité sans donner aucune cohésion à l'erreur. Enfin, sur le chapitre funeste des concessions, nous disons qu'il n'y a qu'une concession à faire, et cette concession est faite depuis longtemps. En demandant le droit d'enseignement pour la vérité, nous n'avons jamais contesté l'existence et l'indépendance de l'Université, c'est-à-dire le droit d'enseignement pour l'erreur. Que pouvons-nous faire de plus, nous qui avons une religion, que d'admettre la liberté des doctrines anti-religieuses et d'en solder même l'enseignement? Respecter un pareil fait, renoncer contre lui à l'usage des armes politiques, ne le combattre que par la discussion et non comme fait, mais au seul point de vue des doctrines, c'est pousser assez loin l'esprit de concession. Pour aller jusque-là, les consciences chrétiennes ont besoin, ce nous semble, d'y mettre une condition indispensable: il faut que la pleine liberté du bien contrebalance au moins la pleine liberté du mal. S'il y a

des maisons d'enseignement où l'erreur règne sans partage, qu'au moins il y en ait d'autres où, sans partage aussi, règne la vérité! qu'il soit également facile de fonder les unes et les autres; qu'on y entre avec la même liberté, qu'on y travaille avec la même sécurité, qu'on en sorte avec les mêmes droits! L'enseignement de l'Université est diamétralement l'opposé du nôtre. Elle nie ce que nous croyons, elle renverse ce que nous adorons; elle attaque notre histoire, notre morale, nos dogmes; elle ne partage nos sentiments sur rien de ce que nous considérons comme vrai, comme utile, comme juste, comme nécessaire. Nous ne pouvons faire avec elle d'autre pacte que de nous séparer d'elle absolument.

Qu'on nous dise si c'est là ce que le nouveau projet nous offre, ou si c'est là trop exiger?

Qu'on nous dise si tout arrangement, autre qu'une liberté entière et réciproque, met en sûreté la foi des jeunes générations chrétiennes? Et si un père est trop absolu dans ses idées, de vouloir que ses enfants apprennent à croire en Dieu?

Autrefois, en France, un citoyen pouvait aspirer à fonder un nom. Il avait une ambition glorieuse et légitime, un but à atteindre jusques par-delà le tombeau. Il léguait à ses enfants une propriété de gloire qui les élevait dans le monde ; et son nom nouveau, s'il était dignement porté pendant quelques générations, devenait l'égal des plus anciens et des plus vénérés. Cet abus est détruit. Un Français ne peut plus devenir un ancêtre et laisser à ses fils l'injuste privilége des grandes actions qu'il a faites et des services qu'il a rendus. Bientôt il ne pourra plus leur léguer même une fortune. Combien de temps encore aura-t-il le droit de leur laisser un Dieu?

Notre cœur saigne de dire ces choses, songeant à qui nous les disons. Aussi, avons-nous hésité à les dire, et personne, nous l'espérons, ne nous accusera de n'avoir pas longuement considéré la bonne foi, le dévouement pour l'Eglise, la parfaite volonté de tout faire pour le mieux qui caractérisent la plupart des catholiques dont le projet de loi semble obtenir l'appui. Nous n'avons pas légèrement pensé qu'ils se trompaient; nous étions plus disposés à croire que nous nous trompions nous-mêmes. Mais quoi! le projet est là; ni le nom de M. Falloux, ni aucun autre nom ne peut faire que ce projet ne restreigne considérablement la liberté et que l'Université n'y soit fortifiée de toutes les concessions auxquelles elle prétend descendre. Dans la commission au sein de laquelle il a été préparé, les grands sacrifices ont-ils été faits du côté de ceux qui ont toujours voulu le monopole, ou du côté de ceux qui n'ont jamais réclamé que la liberté? Non, ce n'est pas pour ce projet-là que nous avons combattu! Si, au lieu d'ètre présenté par un de nos amis, il nous était offert par M. Barthélemy Saint-Hilaire, par M. Cousin ou par M. Barrot, nous le verrions alors tel qu'il est, et nous le repousserions à peu près unanimement. La présence de trois prélats dans la section inactive du conseil supérieur, ne nous semblerait qu'une de ces hypocrisies familières au monopole, et qui nous ont si souvent indignés. Nous reconnaîtrions l'adresse universitaire dans l'abondance de ces restrictions ménagées partout autour de quelques semblants de liberté. Nous verrions s'il est facile de créer des colléges communaux à condition d'acheter, par la présence de deux licenciés, la subvention des communes. Nous saurions ce que devient la faculté de fonder des écoles libres, à côté des écoles

gratuites de l'Etat. Nous mesurerions d'un coup-d'œil la réduction qui s'opèrera dans le nombre des vocations sacerdotales, lorsque l'on aura décidément fondé et appointé le sacerdoce des instituteurs.

Tous ces inconvénients, toutes ces difficultés, tous ces périls, ne sont-ils plus renfermés dans le projet, parce qu'au lieu d'être signé d'un nom universitaire, il est signé d'un nom catholique? Eh! mon Dieu, l'Université a été gouvernée par un saint évêque et n'en a pas moins été l'Université. Les ordonnances de 1828 ont été proposées par un autre évêque très respectable; un roi pieux les a signées; elles n'en ont pas moins blessé la religion et la liberté. Le nouveau projet de loi, pour être présenté par une main loyale, n'en est pas moins un présent funeste. Ou M. de Falloux le retirera, ou il le justifiera par de si bonnes raisons que nous devrons nous y rendre. Nos intentions sont pures comme les siennes. Dieu sait si nous combattons par entètement pour de vieilles opinions que notre conscience nous conseillerait de modifier! Il est vrai que nous préférons ce qui nous semble être l'intérêt éternel de l'Eglise et de la liberté à l'intérêt politique du moment et au plaisir très vif de nous trouver d'accord avec tous nos amis. Nous ne leur demandons pas grace pour le sentiment qui nous force à les combattre; ils ne peuvent que l'honorer.

III.

LE DROIT DE DISCUTER.

29 juillet 1849.

L'Ami de la Religion soutient que la liberté d'enseignement est écrite dans le projet de loi présenté par M. de Falloux; nous affirmons que nous ne l'y voyons pas. L'Ami de la Religion l'indique alors sous les blancs, où, dit-il, elle est cachée entre deux articles qui la nient. Il nous révèle à regret la cachette, craignant que M. Cousin, qui, lui non plus, n'a pas vu la liberté, ne l'aperçoive enfin et ne la pourchasse. Nous regardons, nous sondons ces blancs mystérieux; nous ne voyons rien, nous ne sentons rien, si ce n'est le visage voilé d'un futur ministre de l'instruction publique qui fera ce qu'il voudra, et qui pourra fort bien n'être pas M. de Falloux.

Ce qui n'est pas en blanc, ce que nous trouvons parfaitement visible, ce sont ces vieilles chaînes du passé, très propres à servir encore diplômes, brevets, certificats, stage, inspections, directions, autorisations, interdictions, enfin tout le monopole. Mais cela, l'Ami de la Religion, à son tour, ne le voit pas. Nous disons: Otez ces engins de servitude. Il nous demande où nous avons les yeux. Nous mettons le doigt sur l'article.

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