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fois la vérité. Quelles que soient les préventions de la foule et l'habileté des sophistes, la vérité ne succombe qu'aux mains de ceux qui l'abandonnent. Les vaincus que le temps ne relève jamais, sont ceux qui ont douté de leur cause. Puisse ce triste sort ne pas nous être réservé! Mieux vaudrait pour nous être battus sous nos drapeaux que triompher sous ceux de l'ennemi.

II.

L'ESPRIT POLITIQUE.

1er juillet 1849.

Les partisans du nouveau projet de loi nous reprochent des idées trop absolues et pas assez d'esprit politique. Nous voudrions qu'ils méritassent eux-mêmes ce reproche.

Plût à Dieu qu'on eût, en ce temps-ci, plus d'idées absolues, c'est-à-dire plus de convictions et de principes arrêtés! Les convictions fermes croient à l'avenir; elles confient volontiers leur triomphe à la justice, à la discussion et au temps. Elles n'ont point recours à la vio

lence, elles ne se laissent point amoindrir par ce que l'on appelle «l'esprit politique, » c'est-à-dire l'esprit de transaction, dont le caractère est de combiner sans cesse entre le vrai et le faux de mensongères alliances, bonnes à produire de perpétuels avortements.

Si les idées absolues, si la foi ne manquait pas aux socialistes, ils procéderaient par la discussion pour ar— river à la création, au lieu de procéder par la conspiration et l'émeute pour arriver à la destruction. Si les idées absolues, si la foi ne manquait pas aux conservateurs, ils sauraient trouver l'ordre ailleurs que dans l'état de siége, et le progrès ailleurs que dans le socialisme.

Le ministère actuel nous offre sans doute le type de l'esprit politique. Son action la plus claire consiste à faire au socialisme toutes les concessions que la révolution obtenait du dernier règne. Il les fait de la même manière, avec le même résultat; il sert, sans la satisfaire, la cause qu'il veut et qu'il doit combattre.

Chaque jour est signalé par quelque nouveau plan de monopole, par quelque nouvelle tentative d'envahissement au profit de l'Etat contre la liberté, contre l'intelligence, contre les droits acquis, contre les droits natu– rels, contre tout ce que le socialisme veut proscrire. Ces plans sont le fruit des méditations de nos politiques. Le public les regarde opérer, avec une sorte d'hébétement gai ou triste, selon qu'il a ou n'a pas l'esprit politique; incapable, lorsqu'il applaudit à leurs manœuvres, de dire ce qu'il en espère; incapable, lorsqu'il s'en alarme, de s'y opposer. Le public n'a pas d'idées absolues à opposer au socialisme.

Le monstre nous fascine: faute d'une vérité à laquelle elle puisse se retenir et qui rompe le charme, la société

se jette en gémissant dans sa gueule béante, arrachant comme de faibles roseaux tous les principes auxquels elle s'accroche en passant. Ces principes pouvaient la défendre; mais le scepticisme les a dès longtemps minés; la sève religieuse ne les pénètre plus; ils sont pourris, ils se brisent, et ceux qui tiennent encore reçoivent des atteintes mortelles.

Il y a une chose qui n'a pas été essayée, il y a un principe auquel la société ne demande pas le salut. Socialistes et politiques repoussent également et la chose et le principe : les socialistes, parce que la chose détruit leurs systèmes; les politiques, parce que le principe humilie leur orgueil. La chose, c'est la religion catholique; le principe, c'est la prédominance des lois de Dieu sur les lois et les institutions humaines.

Pour nous, toutes nos idées politiques découlent de ce principe. Il ne dépend pas de nous de les modifier ou de les taire. Elles sont absolues comme la vérité qui nous les impose, comme le but qu'elles veulent atteindre, comme le mal qu'elles doivent guérir. Si, cependant, << l'esprit politique » en appelle de la doctrine aux faits et de la théorie à l'expérience, nous demanderons quelle expérience de ce temps et de tous les temps infirme nos convictions?

Est-il démontré que la décadence, puis le mépris, puis la haine des croyances religieuses dans une société, soit un bien ou seulement ne soit pas un mal pour cette société? Est-il démontré que les lois faites en dehors des lois de Dieu ou au mépris des lois de Dieu, puissent être des lois conciliatrices, fortes et durables?

Est-il démontré que, la croyance religieuse s'étant affaissée et perdue dans une société, cette société peut

néanmoins conserver encore une foi quelconque en quoi que ce soit?

Est-ce qu'il n'est pas en même temps manifeste que l'accomplissement général d'un seul des devoirs que la religion catholique prescrit à tous les hommes, suffirait pour écarter promptement tous les périls où l'ordre social est près de succomber? Est-ce qu'un seul acte de foi, d'espérance et de charité formulé le même matin dans tous les cœurs, ne ferait pas à l'instant, briller le soleil depuis si longtemps éclipsé de la paix sociale?

Ce que nous savons que la religion peut faire, et seule peut faire, pourquoi le demanderions-nous à la politique qui ne le peut pas? Pourquoi feindrions-nous tout ensemble moins de foi en ce que nous savons vrai et fort, plus de foi en ce que nous voyons si faible et si menteur?

Un étranger illustre écrivait récemment que le Catholicisme seul résout le profond mystère des destinées de l'humanité, et que le monde est aujourd'hui en mesure de juger la solution contraire donnée par la philosophie. Nous croyons avec M. le marquis de Valdegamas que la civilisation catholique contient le bien sans mélange du mal, que la civilisation philosophique contient le mal sans mélange de bien, que toutes les tentatives de transaction entre ces deux solutions absolues, tous les essais éclectiques n'aboutissent à rien, ou aboutissent au mal (1).

Les partisans les plus zélés du nouveau projet de loi, l'homme éminent lui-même qui le présente et qui dé

(1) Lettre de M. le marquis de Valdegamas à M. le comte de Montalembert.

clare ne l'avoir point rédigé, mais seulement accepté, avouent qu'il porte partout le cachet de l'éclectisme. Ils le qualifient de transaction, ils le comparent au Concordat. Dernier terme contre lequel, pour le dire en passant, nous protesterions, s'il fallait le prendre dans sa rigueur. Quand l'Eglise fait un concordat, quand elle aliène quelque chose de la souveraineté de la vérité, elle est dans son droit, elle sait ce qu'elle fait, elle ne va que jusqu'où elle veut aller. Les hommes ne possèdent ni les mêmes droits, ni les mêmes lumières, ni la même force. Ils concluent, à leurs risques et périls, des transactions politiques; ils n'ont pas qualité pour lier et limiter d'une manière quelconque le droit d'enseignement, qui appartient en propre à l'Eglise. La première condition requise pour la légalité d'un arrangement de cette nature, c'est que l'Eglise soit consultée, intervienne, stipule dans sa parfaite indépendance. Sa résolution prise, les laïques n'ont plus qu'à obéir. L'Eglise ici n'est pas consultée, n'intervient pas, ne stipule pas. On ne lui propose pas un traité, on lui impose une loi, et une loi contraire à ses demandes les plus formelles.

Eloignons donc ce mot de concordat, dont les universitaires modérés s'emparent, tout en se réservant d'ajouter au prétendu concordat autant d'articles organiques qu'il en faudra pour consolider l'esclavage de l'enseignement chrétien. Ce mot donne la plus fausse idée de ce que veulent et de ce que peuvent les catholiques qui se sont rattachés au projet. Tous les travaux, toute la vie de l'homme illustre (1) qui l'a prononcé sans y prendre garde, protestent contre le parti qu'on en tire déjà. Il n'y a point, il n'y aura jamais de concordat. Il y aura (1) M. de Montalembert.

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