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melle, ou pouvant, dans un délai déterminé, le conduire là, le Pape, quelle que soit sa faiblesse et quelle que soit la force de ses ennemis, répondra toujours : Non.

Septièmement, que la force, en admettant que Dieu voulût en permettre l'emploi; que la victoire, en admettant que Dieu la donnât à ses ennemis; que le monde entier, en admettant que le monde devînt assez fou et fùt assez abandonné à sa folie pour se conjurer contre le dernier élément d'ordre et d'autorité morale qui lui reste, ne sauraient jamais faire du Pape qu'un martyr. Pour forcer sa conscience, pour le contraindre à une abdication criminelle, il n'y a pas assez d'armées sur terre ni de séductions dans la vie. Un jour peut-être, à l'instant inconnu marqué de Dieu dans ses desseins éternels, le genre humain, irrité contre la Papauté, comme le coupable s'irrite contre sa conscience, pourra bien en finir avec cette importune. Il le pourra, comme le frénétique se peut donner la mort. La Papauté est l'âme du genre humain. Ou il faut vivre avec elle, ou il faut périr en s'en séparant.

Le monde, sans doute, est bien malade; une plaie profonde et invétérée le tourmente; il a la fièvre, il a le délire, et nous voyons la raison publique chanceler à tout moment sous l'empire des dépravations qu'on lui a fait subir. Cependant le moment ne semble pas arrivé où toute espérance sera perdue, où toute justice sera éteinte, où la haine de l'ordre moral émoussera jusqu'au dernier instinct de l'ordre matériel. Mais nous rasons de près l'abîme, si nous n'en descendons pas la pente. Déjà beaucoup d'esprits en sont à ce dernier degré du mal où la société verra encore le remède et n'en voudra plus. Que les conservateurs qui ne veulent point conserver

l'Eglise se le tiennent pour dit il n'y a plus d'expé– riences à faire. Les conservateurs ne sont rien que par le nombre et leur union. Le jour où ils se prononceront contre l'existence libre et indépendante du suprême pontificat, le jour où ils porteront une main imbécile et impie sur l'Arche sainte, ce jour-là leur union sera rompue et leur nombre notablement diminué. Tout cœur vraiment chrétien, tout cœur catholique se retirera d'eux. Nous ne considérerons pas si la persécution, la ruine et la mort nous attendent hors de leur camp maudit. Regardant leur attentat comme le signe de la fin et le prélude de la séparation éternelle, nous les laisserons livrer d'inutiles combats contre des ennemis dont nous ne pourrions plus rien craindre qu'ils n'eussent déjà fait eux-mêmes. Sans prendre part à ces luttes stupides, nous irions nous ranger du côté de l'Eglise proscrite, combattre pour elle et tomber dans son sein, où nous voulons rester vivants

et morts.

II.

LA POLITIQUE DES CONSERVATEURS.

1. LE JOURNAL DES DÉBATS.

13 septembre 1849.

Le Journal des Débats poursuit, avec autant d'habileté que de persévérance, le plan qu'il s'est dès longtemps

formé au sujet des affaires de Rome. Organe de la haute bourgeoisie et ennemi passionné de l'Eglise, il veut établir à Rome un gouvernement bourgeois, qui, sans secousse et dans un temps donné, le délivre du Pape. Nous c'est à ce dernier résultat surcroyons pouvoir dire que tout qu'il vise. Sans doute, il ne serait pas fàché d'inaugurer l'ère des fondations et des restaurations constitutionnelles là même où les révolutionnaires, dont il se croit et dont il est à certains égards l'ennemi, s'étaient flattés de commencer pour l'Italie l'ère des républiques; mais il préférerait de beaucoup le Pape de moins à cent rois de plus. En politique, le Journal des Débats est accommodant et résigné. Il n'a point le culte du malheur, ni celui des principes; il est trop bon universitaire pour trouver jamais de bien graves objections contre le fait et contre la force. Les triomphateurs, quels qu'ils soient, peuvent compter sur sa prudence : il ne les mordra point plus haut que le talon, et encore de manière à leur prouver, s'ils se fâchent, qu'il les mord pour rire. C'est le type de l'homme du lendemain, de ceux dont les événements font ce qu'ils veulent. La République l'a fait républicain, la monarchie le ferait monarchiste, l'absolutisme même se l'assimilerait. République, monarchie, absolutisme, ce sont des formes, moins que des formes, ce sont des mots. Sous ces formes, sous ces mots, il y a ce que le Journal des Débats appelle des intérêts. Voilà ce qui l'attache. Que lui importe le pavillon, pourvu qu'il mette la marchandise à couvert des voleurs. Il est conservateur né de tout drapeau qui sera conservateur de la marchandise.

Mais ce sage et parfait éclectique n'a pu comprendre encore que la Religion aussi conserve quelque chose. A

cet égard, les leçons les plus positives ont échoué sur son esprit, ou n'ont fait que l'aveugler davantage. Il a vu partout la guerre contre l'autorité politique commencer par la guerre contre l'autorité religieuse; partout les démagogues crier : A bas le prêtre! avant de crier : A bas le roi! et A bas le riche! Il a vu la dernière révolution suisse, où il a été lui-même contraint de défendre les Jésuites; il a vu la révolution de Février, où ses alliés dans les questions d'enseignement lui ont fait une si belle peur; il a vu toutes les révolutions d'Italie, où les révolutionnaires ont essayé leur force par des persécutions religieuses expérience perdue! Sa passion l'emporte. Sur toutes les questions qui touchent l'Eglise, il donne obstinément la main à ceux qui veulent opprimer et détruire.

Son langage est moins furieux; sa haine n'est pas moins tenace, et elle est plus adroite. Il ne se met pas en avant. Il n'intervient qu'à longs intervalles et avec une grande modération de langage; mais ses correspondants savent ce qu'il faut dire, et ses ciseaux quels journaux il convient de citer. La presse protestante d'Angleterre, la presse révolutionnaire d'Italie lui fournissent exclusivement les documents, les nouvelles, les appréciations qu'il met sous les yeux du public. C'est par ces dignes et véridiques témoins seulement que l'on sait ce que pensent, ce que disent, ce que font, ce que veulent Pie IX, les cardinaux et les populations romaines. Si Pie IX parle, ses paroles officielles ne sont point jugées dignes d'être enregistrées à côté des lettres du Times et des articles des journalistes italiens. Que penserait le Journal des Débats de la loyauté d'une feuille étrangère qui, pour juger notre gouvernement, passerait sous silence les actes

officiels, les discours des ministres, et s'en tiendrait aux affirmations de quelque scribe rouge ou blanc? Il ne fait pas lui-même autre chose à l'égard du gouvernement pontifical. Ses correspondants, le servant à son goût, viennent ensuite, pleins de calme, attester la sincérité de ces calomnies et la rectitude de ces mensongères interprétations. Ils le font avec une hypocrisie consommée, jurant qu'ils sont au comble de la douleur d'avoir de telles choses à dire. Personne n'a joué avec plus d'art cette honteuse comédie qui consiste à représenter le Pape comme l'imbécile jouet de son entourage, voulant faire tout ce que la France lui demande et n'osant rien refuser à la rage de despotisme qui anime les cardinaux. On attend de ce machiavélisme un double profit. Les cardinaux, le clergé romain, tout ce que l'on appelle les « émigrés de Gaëte » sont décriés; on les dévoue à la haine populaire, dont on amasse sur eux le redoutable fardeau : puis, quand le moment sera venu, quand les cardinaux et le clergé auront expié le crime qu'on leur a fait, alors on dira: Décidément Pie IX est l'auteur de tout; c'est lui qui inspirait ceux qu'on accusait de l'inspirer; les cardinaux étaient libéraux et innocents, Pie IX est le tyran et le coupable. Et l'on tournera sans peine contre l'infortuné Pontife l'ignorante fureur si savamment ameutée contre ses conseillers.

Ils appellent les trois cardinaux les triumvirs rouges. Oui, les cardinaux portent une robe rouge pour exprimer qu'ils doivent défendre la liberté de l'Eglise jusqu'à l'effusion de leur sang. C'est la signification de cette pourpre. Le Pape porte la robe blanche, parce qu'il n'est plus sur la terre un homme, mais un délégué du Ciel, qui n'a plus à défendre ni sa vie ni aucun intérêt qui lui soit

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