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NOUVEAUX JOURNAUX ROUGES.

30 septembre 1849.

I. On annonce la prochaine apparition de plusieurs journaux rouges. MM. Raspail et Blanqui cherchent un imprimeur, M. Marrast taille sa plume, M. Proudhon a lancé son prospectus. Cette activité n'est pas flatteuse pour les feuilles du parti qui ont résisté à l'état de siége, mais il faut convenir qu'elles méritent un peu l'affront qu'on leur fait. Le journalisme révolutionnaire, qui n'a jamais eu beaucoup de talent et dont les meilleures réputations ont été immensément surfaites, ne fut jamais plus faible qu'aujourd'hui.

Le National, écrasé par le souvenir encore vivant des hommes d'Etat en tout genre dont il a doté la France, aurait grand besoin de finesse et de modestie : il redouble,

au contraire, de pédantisme et de morgue. Les vaincus peuvent soutenir et quelquefois prouver qu'ils avaient raison, mais affirmer qu'ils sont les plus forts, les plus habiles, et ne parler qu'avec un dédain suprême des pygmées qui les ont battus partout, c'est maladroit. A cette maladresse, le National ajoute une rare indécision de doctrine. Les socialistes suspectent, non sans raison, la solidité de sa nuance écarlate. Ils y voient des reflets roses qu'ils haïssent, et auxquels, cependant, les démocrates modérés ne se fient pas. En somme, le National n'est ni socialiste, ni terroriste, ni modéré; mais un mélange de tout cela, qui n'a de nom nulle part et qui n'a de figure que sur les frontières.

L'aspect de la Réforme est maladif. Elle amplifie toujours, en phrases mal portantes, sur les beautés et les grandeurs de « nos pères de 93. » Ce genre a vieilli, le Ça ira ne va plus, la torche qui brûlait fume et semble près de s'éteindre. Se ranimera-t-elle au vent de la montagne qui va souffler tout à l'heure? Il y a des voix qui baissent quand ceux qu'elles effrayaient cessent de trembler.

La Démocratie pacifique semble atteinte des mêmes langueurs que la Réforme. Cela pourrait s'appeler une maladie de la moëlle épinière. Nous croirions volontiers que la rente sociale a baissé sensiblement, et que les grandes et nouvelles révélations de l'abbé Léone, lequel donne le plan secret et authentique de la Compagnie de Jésus, avec une préface de M. Considérant, ne font pas venir l'eau des fidèles au moulin sociétaire. Ce qui est certain, c'est que le flambeau de l'école ne lance plus que des lueurs affolées. A peine, de loin en loin, réveille-til par quelques soudainetés cocasses, il faut nous passer

le mot, l'attention de ceux qui la suivent encore avec l'intérêt triste qu'on apporte à ces sortes d'études. Néanmoins la Démocratie pacifique ne laisse pas d'annoncer le salut du monde par une mixture des idées de Fourier et de celles de Robespierre. Tout porte à croire qu'elle ne l'annoncera pas longtemps et que les « civilisés » finiront par être délivrés de l'amertume de ses railleries. Beaucoup sont capables de dire comme M. Considérant :

Ca me va.

Il n'est pas jusqu'à la Presse, devenue aussi une espèce de journal rouge, qui ne se fatigue par trop de variété, et qui, résultat bizarre, ne fatigue en même temps ses lecteurs par trop de monotonie. La Presse a d'ailleurs son idée, qui n'est pas en tout l'idée démocratique, malgré le soin qu'on prend de la rendre accessible à tout le monde, par une exposition brève en cinquante-deux volumes, avec cette épigraphe : Simplifier.

Il y a quelques autres journaux plus ou moins démocratiques et sociaux, mais qui ne méritent guère qu'on les nomme. La bonne envie de bien faire ne leur manque pas, assurément, ni la confiance en eux-mêmes. Seulement, le parti pris d'ignorance et de violence où ils se renferment, l'entètement morne avec lequel ils s'obstinent dans l'extravagante adoration des dogmes et des œuvres terroristes sans en rien excepter, et la couleur macaronique qu'ils donnent à tout cela, les tiennent en dehors de la polémique. On ne peut discuter, quelque bonne volonté qu'on y mette, contre des adversaires qui vous opposent constamment une logique, une morale, une histoire et souvent une grammaire inconnues. Tous ceux qui l'ont entrepris y ont renoncé.

Ce n'est donc pas sans raison que divers personnages

importants du parti songent à reprendre la plume; d'autant plus que, n'ayant aucune place en ce moment sur la scène politique, ils courent grand risque, en même temps que les principes se décolorent, de tomber eux-mêmes dans l'oubli. Les partis politiques cultivent volontiers la mémoire des morts, mais ils négligent les absents. Quel silence déjà sur M. Marrast, sur M. Blanqui, sur M. Raspail, et même sur le grand Proudhon!

Si ces Messieurs ne trouvent point leur compte à ce qu'on ne parle plus d'eux, la société n'a pas trop lieu de redouter qu'ils reparaissent. Elle doit tenir à les vaincre plus qu'à les faire oublier. Son intérêt est de les combattre; et puisse-t-elle, en les combattant, sentir assez tôt le défaut de son armure pour y mettre la pièce nécessaire à son salut. Nous la féliciterons d'avoir fait un grand progrès le jour où elle se demandera enfin comment il se peut que de si faibles sophistes et de si pauvres écrivains, sans se donner la peine de rien étudier et sans même lui faire l'honneur de chercher à déguiser ni leurs passions, ni le but où ils tendent, la mettent dans un si grand péril. Mais songera-t-elle à se poser cette question dans le temps très court qui lui est encore donné pour la résoudre? Nous en doutons. Il lui est réservé d'apprendre à quel usage peuvent servir contre elle les armes qu'elle a elle-même forgées contre Dieu. Elle a hardiment usé du scepticisme, de la négation, de la révolte: elle saura ce que c'est!

1er octobre 1849.

II. Nous exprimions hier quelques inquiétudes sur la santé de la Réforme. Se ranimera-t-elle, disions-nous, au vent de la montagne? Et nous doutions. La Réforme

répond aujourd'hui même à ce doute assez général. Elle annonce d'une façon triomphante qu'elle change de rédacteur en chef. M. Ribeyrolles « s'exile, » M. de Lamennais lui succède.

A nos amis.

«Notre ami Ribeyrolles a dû s'exiler pour éviter les poursuites des royalistes qu'il avait si énergiquement combattus. Il s'est éloigné; mais, sur la terre étrangère, il ne faillira pas à la Réforme et ne cessera de lui prêter son concours.

» Nous nous sommes adressés au plus illustre écrivain de la démocratie; nous avons fait appel à son dévouement à la cause sacrée dont il est le glorieux apôtre. M. de Lamennais a compris ce que le peuple attendait de lui; il s'est arraché au repos avec ce zèle qui n'a jamais reculé devant les sacrifices, il a cédé à nos sollicitations, et nous sommes heureux d'annoncer à nos lecteurs qu'à compter de ce jour, M. de Lamennais est le rédacteur en chef de la Réforme.

Après cette annonce, M. de Lamennais entre modestement en scène : « Comme au jour du combat, quand un » soldat tombe, un autre le remplace, » il « n'a point » calculé ses forces; » il a voulu « accomplir un devoir, >> achever de vivre dans la religion... du dévouement à » la patrie, au peuple, à l'humanité, à l'avenir. » Son programme est simple :

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Les principes constamment soutenus par la Réforme indiquent suffisamment la route que nous suivrons. Nous voulons la démocratie, nous la voulons sérieuse, avec ses conséquences politiques et économiques, seul fondement aujourd'hui d'un ordre réel et d'une paix durable. Tout autre programme serait superflu. »

En effet, cela est si clair!

Il y avait dans l'ancien programme de la Réforme un article observé avec scrupule dès le temps du citoyen Flocon, et non moins scrupuleusement accompli sous la direction de « notre ami Ribeyrolles. » C'était l'aboie

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