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ou celui de M. Thoré, et allant porter au scrutin la liste rouge, dans la conviction profonde qu'il pourra ensuite jeter sa griffe avide sur quelque bon lambeau du bien d'autrui.

Nous voudrions en même temps que le Constitutionnel put considérer le paysan d'autrefois, ce sauvage que les révolutions n'avaient pas encore élevé au degré de perfection où nous le voyons arriver; ne sachant pas toujours lire, mais sachant que le travail est une loi de Dieu; docile à son curé, c'est vrai, mais par-là même indocile à la voix des passions; persuadé que Dieu a parlé aux hommes, mais aussi se souvenant de ce que Dieu leur a dit; ne sortant point du Credo et du Décalogue, mais inabordable dans ce rempart à tous les dogmes de mort qui l'ont envahi depuis que le Credo et le Décalogue ont été foulés aux pieds par les journalistes, les maîtres d'école et les cabaretiers.

Oui, nous voudrions que ces deux types pussent paraître devant ces deux juges, le paysan d'aujourd'hui devant l'observateur d'autrefois, le paysan d'autrefois devant l'observateur d'aujourd'hui. En étudiant l'homme de 1680, le Constitutionnel dirait: Voilà le fils de la civilisation! à l'aspect de l'homme de 1849, La Bruyère s'écrierait Voilà le sauvage!

Les remarques du Constitutionnel sur l'amélioration du sort des ouvriers ne sont pas non plus fort positives. La statistique dit là-dessus ce qu'elle veut et fournit des armes à tout le monde. C'est une grande question de savoir si l'ancienne organisation du travail était aussi mauvaise qu'on l'affirme. Il a été facile de la détruire; il est moins facile de la remplacer. Elle empêchait, ditl'ouvrier d'obéir à l'instinct de sa vocation. Oui,

on,

sans doute, il y avait là une gêne. C'est aussi une gène qu'un garde-fou, mais il empêche les gens de se tuer. En somme, les ouvriers trouvaient dans ce système une protection qu'ils n'ont plus; et il faut convenir que si les vocations en étaient contrariées, ce qui est un malheur inhérent à la condition humaine, les talents du moins n'en souffraient pas. Tout ce qui nous reste du temps des corporations a un caractère de perfection comme main-d'œuvre et un mérite de solidité, c'est-à-dire de probité, qui ne distingue plus ce que l'on fait aujourd'hui. La liberté que l'industrie a conquise est un peu celle que l'on va chercher dans les bois. Quelques mains habiles et hardies y font fortune aux dépens de la masse des producteurs et des consommateurs. L'ouvrier était un artiste, il est un manoeuvre; l'acheteur était bien servi, il est communément volé. En cela, comme en beaucoup d'autres choses, la révolution a été un fort mauvais médecin. Sous prétexte de combattre l'abus ou la maladie, elle a tué le malade, ou du moins elle a remplacé ses maux anciens par tant de maux et de plaies et d'ulcères nouveaux, elle a tant coupé et amputé où il fallait guérir, elle a tant démoli où il suffisait de balayer, qu'enfin les douleurs et le péril se sont accrus dans une proportion immense.

Mais, ces améliorations si contestables et si contestées, supposons-les certaines. Reste ceci, que ceux à qui on assure qu'elles profitent les nient, les tiennent pour non avenues, et demandent tout autre chose. Qu'ils aient tort ou raison, ils sont en position de se faire écouter, de se faire obéir, ou tout au moins de se faire craindre. Ils en veulent à la société, ils la veulent détruire, voilà le mot; et ils marchent à l'accomplissement de leur dessein avec

l'impétuosité que l'on connaît et avec des succès qu'il serait fort inutile de mettre en doute. Que faut-il faire pour les arrêter, pour les éclairer avant le combat, si on peut l'éviter, pour les adoucir et les soumettre après le combat, si on peut les vaincre ? Le Constitutionnel se propose de les réconcilier à la société en leur racontant ses bienfaits. Soit! le projet a du bon, mais nous craignons que le remède n'aille pas au mal. Il faut considérer que le socialisme est plein d'arguments contre l'ordre social, que ces arguments ont leur valeur, et surtout qu'il est lui-même le plus terrible et le plus formidable des arguments. Comment! la société a fait tant de choses, elle a été si bonne, si prévoyante, si pure, si chrétienne, et cependant voilà qu'elle se trouve en présence de plusieurs millions d'hommes, ses enfants, qui la traitent de marâtre et qui lui déclarent une guerre à mort! Si elle a eu soin d'eux matériellement, il faut reconnaître que du moins, sous le rapport moral, elle les a bien mal élevés, et qu'au milieu de tant de progrès de tout genre, progrès dans l'alimentation, le logement, le vêtement et les plaisirs, -progrès dans les études littéraires, philosophiques et scientifiques, progrès dans la législation et dans les machines, le progrès moral, ce premier de tous les progrès, s'est fait en sens inverse. Il résulte de l'article du Constitutionnel que le peuple, en France, paysans et ouvriers, est mieux nourri, mieux vètu, mieux logé, plus libre, plus éclairé, plus riche, plus heureux et mieux gouverné qu'il ne le fut jamais.

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Mais il résulte aussi de tout ce que nous voyons et de tout ce que nous faisons que ce même peuple est ingouvernable.

Il y a là un mystère que le Constitutionnel n'a pas sondé. Nous l'engageons à l'étudier. Tant qu'il ne l'aura pas pénétré, il ne saura rien, fùt-il le plus habile statisticien du monde; et il ne pourra rien, eùt-il entre ses mains, dociles comme un seul homme, tous les soldats de la république.

MESSAGE DU PRÉSIDENT

A L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

7 juin 1849.

Le Message du Président se distingue tout d'abord par le double mérite d'une grande simplicité et d'une grande franchise. Les couleurs n'en sont pas riantes; elles auraient pu être plus sombres encore, mais le premier magistrat de la République, s'il est tenu de montrer la situation telle qu'il la voit, doit cependant veiller à ne pas trop frapper l'opinion. Les modérés, en ce temps-ci, sont d'une telle espèce que tout ce qui les alarme les décourage, et tout ce qui les décourage accroît l'audace, c'est-à-dire la force de leurs redoutables ennemis.

Néanmoins la triste vérité se fait assez jour dans le

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