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populaire; aucun tribun n'a dit un de ces mots qui font frémir les multitudes; aucun conservateur n'a posé vigoureusement la doctrine de l'autorité. Le talent a manqué, la science a manqué, le courage, oui, le courage a manqué; oui, même à ceux qui montraient le poing et qui sont parvenus souvent à faire trembler les autres! Ceux-là non plus n'ont pas eu foi en eux-mêmes. Hardis juqu'à l'injure, mais point dévoués jusqu'au péril. Une cohue qui se poussait dans toutes les ornières, en parlant de frayer des chemins nouveaux, telle a été la Constituante. Révolutionnaires mesquins, ne voyant rien au-delà du désordre; conservateurs effrayés, s'enfonçant dans l'ordre matériel jusqu'à la vase; également en doute, les uns et les autres, et de leur cœur et de leurs droits. O vaniteux qui parlez d'idées, la discussion n'a pas été un seul moment entre vos idées, mais entre le couperet des terroristes et le fusil de la garde nationale! Il n'y a dans toute la vie de l'Assemblée nationale constituante que deux discours, l'un qu'elle n'a l'un qu'elle n'a pas voulu entendre, l'autre qu'elle n'a pas su comprendre : l'un est le discours de M. de Montalembert sur l'enseignement, l'autre le discours de M. Proudhon sur les loyers et fermages. M. de Montalembert a dit: Il nous faut des vertus chrétiennes; M. Proudhon a dit : Nous voulons des jouissances matérielles. On leur a répondu à tous deux Nous resterons ce que nous sommes. Vous êtes des utopistes également effrayants, chacun en votre genre. Vous chrétien, et vous socialiste, tous deux vous demandez trop à l'homme. Vous lui demandez une affirmation. Le monde n'a pas besoin d'affirmation. Il peut vivre sans cela; le monde est sceptique comme nous.

Et, sous prétexte d'éviter l'utopie, on a bâti une Cons

titution stable sur une double négation, celle de toutes les vieilles vérités et celle de tous les mensonges nou

veaux.

Nous avons lu à tête reposée le discours de clôture de M. Marrast. C'est une suite de grandes pauvretés exprimées en français très médiocre. Cet illustre écrivain dit de la France que « la paix n'a pas amorti son être. » O Vaugelas! quel ÊTRE! Il ajoute que « la France ne faillira pas au dedans aux espérances du peuple, » et « ne faillira pas au dehors à ses alliances. » En attendant, le discours de M. Marrast faut à la langue française. Mais c'est là son moindre défaut. Il assure que la Constituante a abordé sous toutes leurs faces les problèmes du temps: elle n'y a pas seulement touché.

L'Assemblée législative les résoudra-t-elle? Nous le saurons quand les nouveaux membres auront parlé. C'est la troisième épreuve que nous faisons du suffrage universel. La première n'a eu aucune signification; la seconde a été une manifestation éclatante en faveur de l'ordre matériel; la troisième est encore pleine de mystère. Elle pourrait bien prouver, contre l'attente des théoriciens, que le suffrage universel n'est pas du tout pour un pays le meilleur moyen de faire connaître sa volonté, et que ce qu'il montre surtout par là, c'est purement et simplement qu'il ne sait pas ce qu'il veut.

Cette première séance a été d'ailleurs fort calme. On a remarqué sur les bancs de la Montagne, M. Boichot, en grande tenue, et M. Rattier, en grand négligé. M. Commissaire, autre sous-officier élu deux fois, était, dit-on, au bureau. MM. Ledru-Rollin, Lagrange et autres citoyens de la même nuance s'empressaient autour des deux sergents, qui attiraient tous les regards. M. le ma

réchal Bugeaud, M. le général Changarnier et quelques autres militaires moins distingués par le suffrage universel, se perdaient modestement dans la foule. Le privilége de l'âge appelait au fauteuil M. Kératry, ancien pair de France. Ce patriarche conservateur nous a été envoyé de Bretagne. Il est auteur d'un des plus détestables livres qui aient été faits depuis cinquante ans, et, à ce qu'on assure, d'une traduction en bas-breton de certains opuscules de Voltaire.

Pendant que M. Kératry récitait son discours d'installation, la trompette sonnait, et des cris inintelligibles arrivaient du dehors. C'était la température étouffante et les sourds murmures du 15 mai. Le peuple, ce qu'on appelle le peuple, entourait le palais. Une grande foule de blouses et de casquettes, semée d'habits et de chapeaux plus sinistres, encombrait la rue de Bourgogne et déversait son trop-plein sur la place et sur le quai. Cette foule demandait l'amnistie sur l'air des Lampions et entreprenait de faire crier : Vive la République! à ceux qui entraient dans le palais et en qui elle croyait reconnaître des représentants. Vers deux heures, un certain déploiement de forces a paru nécessaire. Il est arrivé des dragons et des lanciers qui ont dispersé sans peine les rassemblements. La foule se proposait-elle autre chose que de pousser des cris? Nous ne savons, mais tout l'état-major de l'émeute était là, reconnaissable aux visages et aux discours. Quels discours, grand Dieu! et quels visages!

Pendant que ces mouvements s'accomplissaient au dehors, l'Assemblée, n'ayant rien à faire, levait la séance et se retirait dans ses bureaux pour procéder à la vérification des pouvoirs.

Autrefois, le Parlement inaugurait ses travaux par une messe du Saint-Esprit. On se mettait sous la protection de Dieu, on lui demandait de bénir la grande et effrayante entreprise de gouverner un peuple et de lui donner des lois. Temps de barbarie! coutume vraiment sauvage! Béranger en a fait des chansons que toute la France libérale a répétées avec délices, et enfin les flons flons ont étouffé la prière. Alors nos concitoyens, qui demeurent au-delà du Pont-Neuf, ont pris l'habitude de venir de temps à autre jusqu'au pont de la Concorde, pour voir comment se font les lois; alors l'air des Lampions s'est fait entendre au lieu du Veni Creator; alors les dragons avec leurs longs sabres, et les lanciers avec leurs longues piques, et les fantassins avec leurs longues baïonnettes, ont remplacé les surplis et les cierges qui insultaient à la raison publique.

Et puis, niez le progrès!

SITUATION MORALE DES CAMPAGNES.

29 mai 1849.

Le Constitutionnel entreprend de prouver contre les socialistes que le bien-être matériel du peuple a fait de grands progrès depuis soixante ans, et que, par conséquent, la société n'est pas aussi coupable que ses adversaires le prétendent. Il appuie sa thèse, en ce qui concerne l'amélioration du sort des paysans, sur un passage de La Bruyère que nous citerons tout à l'heure. En ce qui concerne l'amélioration du sort de l'ouvrier des villes, il fait remarquer que la vie moyenne en France s'est accrue de dix ans depuis 1790. Elle était alors de vingt-sept ans; elle dépasse trente-sept aujourd'hui. Le Constitutionnel ajoute que l'ouvrier est plus libre, n'étant plus astreint

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