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Il ne restait rien à l'ordre du jour. M. Marrast s'est levé, et, d'une voix émue, il a lu un discours qu'il tenait d'une main tremblante. Ce n'était plus M. Marrast, c'était une rosière pâlissante, rougissante, attendrissante. Pauvre M. Marrast! avoir fait dans sa vie tant d'épigrammes contre les présidents qui s'en allaient et contre les députés qui n'étaient pas sûrs de revenir! Il a expié aujourd'hui bien des moqueries et vengé beaucoup de ses victimes. Ce que nous avons pu entendre de ce dernier chant, murmuré à voix basse et applaudi tout bas, ne nous a point semblé trop mal. Mais le triomphe de M. Marrast est dans l'invective. Dans le genre sérieux, il ne parviendra jamais qu'à rajuster assez proprement un petit nombre de lieux communs.

On s'est levé, on a crié : Vive la République! en agitant les bras en l'air..., et bonsoir !

PREMIÈRE SEANCE

DE L'ASSEMBLÉE LEGISLATIVE.

28 mai 1849.

Avant de nous occuper de la Législative, inaugurée aujourd'hui par l'émeute, disons encore un mot de la Constituante, morte officiellement samedi et enterrée avant-hier incognito. Cette piteuse séance de samedi nous a fait perdre le sérieux. Nous en avons regret. La plaque était prête pour un grave tableau; ce n'est pas notre faute, mais celle du personnage, si nous n'avons retiré du daguerréotype qu'une caricature. Hélas! hélas! par beaucoup de raisons, les assemblées délibérantes courent grand risque de n'obtenir jamais dans notre pays

le respect auquel elles ont droit, sans doute, et dont il faudrait patriotiquement les entourer. Respecter l'autorité nous est déjà naturellement fort difficile; comment faire quand l'autorité ne se respecte pas? Comment vénérer dans l'ensemble ce qui souvent, pris en détail, n'est point vénérable du tout et ne se soucie nullement d'être vénéré? Rien de plus auguste, si l'on veut, que le caractère de représentant : quoi de moins auguste que le commun des hommes qui en sont investis? Voici d'abord une quantité de sots et d'ignorants qui se devraient condamner à un éternel silence et qui ont la manie de parler toujours. Ils enfourchent les questions les plus ardues, comme s'il s'agissait de monter un cheval de bois à la foire; ils attaquent, par les arguties les plus absurdes, par les imputations les plus calomnieuses, des opinions qu'ils n'entendent point; aucun mérite ne les intimide; ils opposent à l'éloquence et à la raison de sordides âneries grabelées dans tout ce qu'il y a de mauvais journaux et de mauvais livres. Comment se retenir de leur dire leur fait? Ce n'est rien encore. Au-dessous des ignorants et des sots il y a les intrigants, les gens mal famés, les apostats, les hypocrites, horrible espèce, intolérablement effrontée. De la coulisse où leurs mystères sont connus, ils s'avancent à la tribune, ils s'y étalent en parangons de patriotisme, colorant d'un mensonge pompeux et avéré le mobile ignoble de toutes leurs actions. Leur audace fatigue la patience et révolte la probité. Impossible de se taire; c'est un devoir de parler. Comment parler sans amertume, sans percer le masque, sans déchirer le voile? Et comment déchirer le voile sans attirer sur l'homme un mépris dont le poids s'étend vite au parti qui l'emploie, à l'assemblée qui l'écoute et qui le suit

souvent? Est-ce tout? Non pas! Il y a enfin les partis, qui ont à la fois toutes les plus mauvaises passions des hommes. Hypocrites, menteurs, ambitieux, cyniques, ne refusant aucun appui déshonorant, aucune arme empoisonnée, marchant à leur but par toute voie.

Audax omnia perpeti

Gens humana ruit per vetitum nefas.

Tel est honnête, scrupuleux même. Il rougirait, pour son compte, d'une ruse que l'honneur n'approuve point et ne se résoudrait jamais à calomnier un adversaire, à taire la vérité, à dire le contraire de la vérité. Mais son parti fait tout cela, et il le fait avec son parti. Ce que la probité lui défend, il se le laisse imposer par la discipline. Y a-t-il un parti timoré comme un homme de bien, plein d'aversion pour les manœuvres honteuses, qui ne fasse rien qu'au grand jour, qui n'ait de tactique que la vérité? On le nommera le parti des honnêtes gens, ou des imbéciles; mais tenez pour certain que ce parti des honnêtes gens lui-même n'aurait pas pas le courage d'exclure un collègue mal famé, qui, pour une raison ou pour une autre, viendrait voter avec lui. On est un parti pour avoir une force; toute force est bonne et bien accueillie, et l'on adopte ce malheureux, qui souvent devient une influence et ne tarde guère à engager nos honnêtes gens en toutes sortes de chemins par où leur vertu croyait ne jamais passer.

Ces partis se haïssent et se décrient mutuellement et sans relâche. Qui manque plus de respect à une fraction de l'Assemblée que toutes les autres fractions de cette même Assemblée? Qui insulte plus à la dignité, aux actes, aux intentions de l'Assemblée entière que ne le fait

chaque fraction prise isolément? Et l'on voudrait que le public, spectateur de tant de débats tumultueux et envenimés, spectateur tout rempli des passions qui les animent, fùt docile et respectueux à ces rois d'un jour, qu'il a faits lui-même, qu'il a faits sans le vouloir, qu'il s'apprète à défaire?

Nous ne savons si ces considérations nous excusent d'avoir rendu compte de la dernière séance de l'Assemblée constituante dans un style qui n'est pas celui des oraisons funèbres. Il est vrai que cette pauvre Constituante, après de si redoutables menaces, a fini par être bien ridicule. Mais enfin, c'était l'autorité, et nous avions le désir de la respecter, à ce titre au moins. Nous conservons ce désir. Puisse l'Assemblée législative nous en rendre l'accomplissement plus facile !

La voici! Les nouveaux visages abondent. Il ne reste que trois cent cinquante membres environ de la Constituante. Parmi les nouveaux, quelques-uns ont paru dans les Chambres monarchiques. Peu sont illustres. Parmi ce peu d'illustres, beaucoup ont fini leur rôle. Restes flottants du passé, branches arrachées par l'orage et que la vague qui les emporte pour jamais roule encore une fois sous nos yeux. Nous doutons que, dans leurs rangs éclaircis, se trouvent les hommes du temps, ceux qui, soit pour attaquer, soit pour résister, auront vraiment la force de l'Idée. Cette Idée, dont on parle tant, à peine a-t-elle eu jusqu'à présent des précurseurs. La Constituante n'a rien produit, n'a rien montré. On n'y a vu que des contrefaçons pâles et incorrectes des grands lutteurs d'autrefois. Il a paru des hommes nouveaux, mais pas une parole, pas une pensée nouvelle. Aucun homme du peuple n'a fait entendre une voix vraiment

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