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mains, la rente montait si haut, l'Opposition la plus avancée affichait des sentiments si dynastiques!... Où était le péril?

Où était le péril, on le sait maintenant. Il y avait beaucoup d'aveuglement à l'ignorer et fort peu de mérite à le voir. Ceux qui trouvent nos alarmes excessives reconnaîtront du moins qu'elles ne sont pas nouvelles. Ils avoueront aussi que ce qui se passe n'est point de nature à les calmer. Quoi! lorsque l'ordre social est mis en question ouvertement et régulièrement, il faut compter dans les chances de victoire les acclamations poussées par quelques régiments un jour de revue!

Nous souhaitons que ceux qui nous rassurent ainsi ne soient pas plus effrayés que nous.

Certes, nos alarmes sont grandes ! Elles ne vont pas, toutefois, jusqu'au désespoir et jusqu'au vertige. Nous étudions depuis trop longtemps l'abîme pour n'y avoir pas habitué nos regards. Les faits nouveaux qui en révèlent la profondeur n'ont plus le pouvoir de nous étonner; ils n'ajoutent pas à notre douleur ce surcroît imprévu qui abat l'âme et trouble le jugement. La société française est au dernier période d'une maladie mortelle, dont la révolution de Février n'a été qu'une crise inévi– table. De jour en jour, d'heure en heure, la force baisse, la fièvre s'accroît, nous en sommes au délire et aux signes précurseurs de l'agonie. Nous le voyons; qui ne le voit pas? Et nous le proclamons, parce que nous avons l'honneur de parler à des hommes pour qui l'annonce et l'immensité du péril est un rappel au devoir. Est-ce à dire que notre raison désolée ne conserve aucune espérance? Non; mais cette espérance, nous la plaçons ailleurs que dans un caprice de prétoriens.

Une épreuve suprême reste à faire, même au sein du despotisme, même au sein de l'anarchie. Il s'agit de savoir ce qui reste du Catholicisme en France. Nous ne le savons pas. Dieu seul, qui sonde les cœurs, le sait. Notre mal n'est autre chose qu'une hérésie. Dien a-t-il permis qu'il restât en France assez de vrais chrétiens, assez de vrais prêtres pour que l'hérésie soit combattue et vaincue? Voilà le doute. Si l'étincelle sacrée n'est pas éteinte et ne s'éteint pas au milieu des convulsions qui se préparent, si elle se rallume au souffle des persécutions, alors nous n'avons à subir qu'une crise formidable, mais la société s'en tirera pleine de force et de vie. Si, au contraire, les plans du philosophisme ont atteint l'exécrable but auquel toute la société officielle a, depuis près d'un siècle, stupidement donné son concours; si la foi chrétienne est définitivement éteinte dans la conscience du peuple, affamé comme la bourgeoisie de jouissances matérielles et comme elle ivre d'orgueil; si les vocations religieuses, comprimées et réduites, ne répondent pas aux besoins de l'humanité; si l'éducation sacerdotale, savamment énervée par la main de l'Etat, nous a donné plus d'honnêtes commis que d'apôtres, et si les chrétiens, enfin, n'ont que l'esprit du siècle, alors c'en est fait! Que ceux qui se sont réjouis de nous apprendre comment finissent les dogmes, s'apprêtent à voir comment finit une société.

Jouir et mépriser, c'est la doctrine du socialisme. Avec elle, il renverse tout; elle lui tient lieu de talent, de force, de tactique; elle lui vaut mieux que des bataillons; elle lui gagne les pauvres, et il y a longtemps qu'elle a désarmé les riches en les corrompant. S'abstenir et respecter, c'est la doctrine et la nécessité de l'ordre. Elle n'est

pas séduisante. Pour la faire accepter, il faut autre chose que des brochures, des tribunaux et même des armées. Il faut des apôtres qui soient pauvres, qui soient dévoués, qui prêchent pieds nus cette loi sévère, non comme faite par les hommes, mais comme imposée aux hommes; non comme loi de colère, mais comme loi de justice. Il faut que ces apôtres puissent compenser la rigueur de leur enseignement par la douceur et par l'abondance de leur charité. Il faut qu'ils puissent remplir de foi ces multitudes au cœur desquelles crient aujourd'hui toutes les convoitises, s'enracinent toutes les folies, se conjurent tous les désespoirs.

La société, dans sa plus grande sagesse, ne peut donner qu'un code; dans ses plus grandes miséricordes, ne peut ouvrir qu'un hôpital; dans ses plus grandes rigueurs, ne peut que dresser un échafaud. Avec des lumières, des ressources, une puissance fatalement bornées, elle doit cependant satisfaire à des besoins sans nombre, combattre et réprimer des erreurs infinies. Pour suffire à la tâche, elle a besoin d'un élément divin qui est en elle ce que l'âme est dans le corps de l'homme : c'est la religion, flambeau des esprits, frein des passions, consolation des cœurs. Mais lorsque, en même temps, la religion manque, et toutes les erreurs, toutes les convoitises, toutes les passions se soulèvent, que peut faire la société? Appelât-elle à son secours les ressources du despotisme, il n'y en aurait pas pour une génération. S'abandonnâtelle à tous les délires de l'anarchie, elle ne ferait que revenir au despotisme pour le quitter encore et pour y rentrer encore, et toujours par un chemin de sang. Rien ne peut remplacer dans les sociétés humaines les consolations, les récompenses, les contraintes infinies de la

religion. Il faut que la société les possède ou qu'elle périsse. Si la société actuelle, qui ne les a plus, ne les peut pas recevoir de nouveau, comment se sauvera-t-elle ? Quelle Constitution remplacera l'Evangile? quel régiment remplacera l'Eglise? Quel effort de bon sens et d'énergie étouffera l'esprit d'orgueil et l'appétit de jouissances qui tourmentent les peuples? Quel prodige d'équilibre nous fera vivre en sécurité sur l'étroit espace où nous frémissons entre le despotisme et l'anarchie?

Ces questions sont importunes, sans doute, mais à quoi servirait de vouloir les esquiver? Les événements de chaque jour et du monde entier les posent à la raison et à la conscience humaines. Ce serait un sot amour-propre de ne pas vouloir entendre, parce que naguère, sous des abris qui semblaient durables, et qui maintenant ne sont plus, on s'est vaniteusement engagé contre la Providence, protestant qu'on se pouvait passer d'Elle et qu'on ferait bien marcher le monde en dehors des lois qu'elle a tracées. Quant à nous, ferme qui voudra ses yeux, ses oreilles et son cœur! nous entendons la voix de Dieu dans ces tonnerres qui grondent sur l'humanité. Nous ne savons pas de plus grand service à rendre à la société, que de chercher par quelles déviations elle s'est attiré la colère divine et à quel état misérable et désespéré ses fautes l'ont réduite. De la connaissance du péril naîtra peut-être enfin le repentir, et du repentir la sagesse, la prière et la miséricorde.

DERNIÈRE SÉANCE

DE L'ASSEMBLEE CONSTITUANTE.

26 mai 1849.

Une reine venait de mourir, et son roi disait : C'est le premier chagrin qu'elle m'ait causé. Voici une autre reine qui meurt, dame Assemblée nationale constituante, reine de France. Combien de Français, rois mécontents de cette défunte, s'écrient: Elle se meurt, elle est morte! C'est le premier plaisir qu'elle nous fait !

Elle est morte, bien morte, très morte, elle appartient à l'histoire. L'histoire aura pour elle ce sentiment froid qui n'est pas la haine et qui est encore moins l'amour. Ses tristes œuvres et sa triste physionomie n'échaufferont

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