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semblée; l'Assemblée, à son tour, déclare qu'il n'y a pas à tenir compte de la Lettre du Président. Partie et revanche! Oui; mais quand on en est là, il faut jouer la helle. Hum! pense à part soi M. Jules Favre, c'est inquiétant! Tandis que M. Senard et les autres habiles, qui ont étendu le tapis et fourni les cartes, observent le plus profond silence, M. Jules Favre vient, comme son compère M. Grévy, demander l'ajournement. Ajournons, dit la Chambre, fort perplexe; attendons les nouvelles. Ainsi finit l'incident. Le tiers-parti l'a soulevé sans savoir où l'on irait, la Montagne est intervenue, le tiers-parti s'est effrayé, il a demandé du temps pour réfléchir. Ou nous nous trompons fort, ou ses réflexions sont faites. L'incident n'aura pas de suite, et le tiers-parti s'estimera content d'en être quitte pour une leçon dont il ne profi

tera pas.

Le Président seul a su ce qu'il faisait, seul a fait ce qu'il devait faire. Il a vu, dans une question de politique importante, son ministère vaciller, et l'Assemblée, se contredisant elle-même, se laisser entraîner par l'esprit de parti jusqu'à porter le découragement dans l'âme de nos soldats. Il a compris quelle déplorable attitude ces oscillations nous donneraient en Europe, quelle hardiesse elles inspireraient aux hommes de désordre, quel affaiblissement elles feraient subir aux liens de la discipline militaire, quels sentiments amers et dangereux elles exciteraient dans l'armée, dont les chefs pourraient dès-lors s'attendre à être toujours désavoués et devraient bientôt compter avec les plus mauvaises têtes de leurs régiments. Le Président a compris tous ces périls, et il y a pourvu. Il a été plus ferme que son ministère, plus habile que les ambitieux du tiers-parti, plus hardi que les tribuns de

la Montagne; il a méprisé les clameurs et les intrigues des coalisés pour ne voir que le suprême intérêt de la France et pour le servir. En s'offrant nettement aux coups, il a déjoué l'entreprise et montré une fois de plus à la France qu'il y a un bras et un cœur au gouvernail. Nous ne craignons pas de le dire, c'est ce que la France veut avant tout. Cette action généreuse lui fera comprendre que l'Elu du 10 décembre accepte et peut remplir la grande mission qui lui a été donnée. La France s'en applaudira et laissera M. Thomas penser que l'homme qui agit ainsi est « étranger à nos mœurs. »

ÉLECTIONS DU 13 MAI 1849.

I.

LE SOCIALISME.

19 mai 1849.

Nos espérances sur le résultat des élections du 13 mai étaient faibles, nous le pensions du moins. Nous devons nous avouer aujourd'hui que nous espérions trop encore. En nous unissant comme nous l'avons fait, et comme nous nous applaudissons de l'avoir fait, à la fortune du parti modéré, nous ne nous sommes pas dissimulé l'impuissance de ses efforts et, dans le cas où il triompherait, l'inefficacité probable de son triomphe. Quand mêine les listes modérées auraient passé partout et tout entières, la situation serait restée grave et difficile. Le plus complet

succès ne pouvait donner à la société qu'un temps de répit pour adoucir des catastrophes toujours imminentes. Ce temps de répit que nous espérions, sans trop croire qu'on en put tirer bon parti, nous l'avons eu; cette trève suprême qu'il fallait conquérir au prix de tous les sacrifices, elle nous a été donnée, et, selon toute apparence, au lieu de commencer, elle expire. Exspectavimus tempus medelæ, et ecce formido.

Nous disons notre pensée. Nous ne pouvons prendre sur nous de chercher à inspirer des illusions qu'il nous est impossible de concevoir, et qui, d'ailleurs, obtiennent peu de crédit. Il n'y a au fond des cœurs que deux sentiments bien fondés. Dans les uns, une inquiétude douloureuse; dans les autres, une allégresse sauvage. Ces deux sentiments éclatent partout; on ne peut traverser la rue qu'ils ne frappent à la fois les yeux et les oreilles. Ils sont dans toutes les conversations, dans tous les journaux, dans toutes les lettres, dans tous les regards, dans tous les silences. Hier, on savait qu'on était sur une mine; aujourd'hui, on sait que la mèche est allumée.

Cette mèche, on peut encore, dit-on, l'éteindre. Oui, mais qui l'éteindra? La majorité le peut faire; car, après tout, il y a une majorité pour l'ordre, et même elle est forte. Il ne faut pas, d'ailleurs, compter comme socialistes tous ceux qui ont élu des socialistes. Les paysans ont été abusés par d'habiles mensonges; ils comprendront bientôt qu'on les a trompés; les ouvriers eux-mêmes refuseraient d'aller où les démagogues les voudraient conduire; le petit négoce, aigri par ses souffrances, a pu voter pour l'essai pacifique de quelque panacée nouvelle, cela ne vent point dire qu'il désertera en masse la cause de la société; les soldats, enfin, ont cru quelques embaucheurs

qui leur ont promis l'abolition du service militaire; mais vienne le péril, on retrouvera leur discipline et leur

courage.

Ainsi parlent ceux qui prétendent n'être pas alarmés. Si de tels motifs, en effet, les rassurent, nous n'y voyons, pour notre part, qu'un danger de plus. Ils ne connaissent pas même la nature et la profondeur du mal.

Mais parviennent-ils réellement à s'abuser? Nous en doutons. Les faits sont trop évidents, l'origine en est trop connue, la signification et la tendance en sont trop claires. Qu'il n'y ait dans l'Assemblée législative que deux cents montagnards, c'est assez, en ce pays essentiellement gouverné par les minorités, pour opprimer quatre cent cinquante modérés. Que ces deux cents montagnards soient sans talent, sans services, contre les plus vives lumières, les plus éloquentes paroles, les services les plus éprouvés : ils n'ont besoin, leur succès le démontre, ni de talent, ni de lumières, ni de renommée. Moins ils seront pourvus de qualités intellectuelles et morales, plus ils auront de passion et de violence, plus ils seront débarrassés des scrupules ordinaires, plus aussi ils avanceront, ils vaincront. Regardez les élus, comparez-leur ceux à qui on les a préférés. Comparez M. Considérant et M. Thiers, M. Perdiguier et M. Molé, M. Lagrange et M. de Falloux, le sergent Boichot et le maréchal Bugeaud! Evidemment, ce que la majorité demande à ces législateurs, c'est d'avoir une pioche et non une truelle, c'est de détruire et non d'édifier. Qu'importe maintenant que les électeurs paysans, soldats, ouvriers, bourgeois et demi-bourgeois qui ont fait ces choix et d'autres encore pires, qu'importe que ces électeurs soient socialistes ou ne le soient pas? Ils ont la haine des supériorités

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