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LES CATHOLIQUES AUX ÉLECTIONS.

22 avril 1849.

La bataille électorale n'est pas encore engagée, mais les préparatifs se font de tous côtés avec ardeur. A la veille de cette grande affaire, les intérêts de parti sont abandonnés, les nuances s'effacent, deux immenses coalitions se forment et tous les drapeaux se rassemblent en deux camps. D'un côté se rangent ceux qui veulent maintenir la société sur ses vieilles bases, religion, famille, propriété; de l'autre se massent les sectaires de toute école qui ont résolu d'en finir avec les conditions de ce qu'ils appellent l'ordre ancien, et qui n'est que l'ordre éternel.

Avertis, depuis quinze mois, par de nombreuses défaites, que cet ordre repousse invinciblement leurs ambitions et leurs utopies et n'a point pour eux la place

qu'ils y veulent, ils renoncent à s'y introduire par la voie des essais pacifiques. Relevant comme des drapeaux de guerre toutes les théories subversives vaincues à la tribune, ils exigent fièrement de ceux qui sollicitent leurs suffrages le serment d'Annibal. Ce serment, les révolutionnaires politiques l'ont prêté. M. Ledru-Rollin et ses amis ont reconnu qu'ils n'étaient que des bourgeois et des conservateurs à côté des Cabet, des Raspail, des Proudhon. La logique les emporte, ils font amende honorable, ils se soumettent à la vraie force révolutionnaire qu'ils avaient cru posséder et qui ne réside plus en eux; ils se précipitent dans les vastes ténèbres du socialisme, pour éviter d'être une minorité ridicule entre deux armées. La Démocratie, dont on a essayé tant de définitions, a aujourd'hui un nom précis : c'est le Socialisme, - et le Socialisme, c'est la destruction de ce qui existe présentement. Destruction complète et radicale, car les socialistes, fort peu d'accord sur ce qu'ils veulent construire, s'entendent à merveille sur ce qu'ils veulent abattre. Ils veulent abattre tout.

Si la société actuelle se laisse vaincre, ce ne sera pas faute d'avertissements. Elle est avertie, non-seulement par ses amis, qu'elle pourrait accuser de s'alarmer sans motifs, mais par ses ennemis, qui, certes, n'ont pas intérêt à l'effrayer. Aucune illusion ne reste possible. Il n'est plus question de réforme, ni d'extension des droits politiques, ni d'économies, ni de liberté, ni de république c'est la société elle-même, et on le lui avoue, qui est mise en question. Ceux qui ne le disent pas ouvertement le laissent dire par d'autres à qui ils tendent la main. Tous ensemble souscrivent le même programme; et la seule question réservée entre eux est de savoir qui

exterminera les autres, pour avoir la gloire de mener à meilleure fin le dessein de tous.

La société connaît-elle son péril? Oui et non. Elle entend, ou, pour mieux dire, elle sent qu'elle est menacée. L'accord qui se forme entre les partis modérés prouve qu'ils ont mesuré la force de leur ennemi commun. Cet accord survivra-t-il à la victoire dont il est le gage? Nous avons malheureusement beaucoup de raisons d'en douter. Nous ne signalerons que la principale : la société voit son mal et n'en apprécie pas la cause. En présence de l'action unanime, énergique, sauvage, de tous les ferments d'anarchie, elle a des instincts de résistance; elle n'a point de doctrines de gouvernement, et, ce qui est un péril plus grave, elle ne s'aperçoit point que ces doctriues lui manquent. Si elle s'en aperçoit, elle ne sait où les aller prendre, à qui les demander. Infatuée de sa puissance et de sa sagesse, elle n'a pas été assez secouée, assez battue, assez meurtrie encore, nous le craignons; elle n'a point assez éprouvé la vanité de sa force, assez mesuré l'étendue de ses erreurs pour embrasser complétement les grandes vérités et se résoudre aux grands repentirs d'où lui viendra le salut.

Le développement de cette pensée demanderait un long travail, sans utilité aujourd'hui. Nos lecteurs, d'ailleurs, nous comprennent. Cette pensée, depuis quinze mois, a inspiré toutes nos paroles, elle a réglé notre conduite, les catholiques l'ont retrouvée au fond de tous les conseils que nous nous sommes permis de leur donner; et nous pouvons dire qu'elle leur était déjà familière avant les événements terribles de 1847, lorsque nous regardions s'agrandir le formidable nuage qui maintenant lance la foudre sans s'épuiser jamais.

Cette même pensée explique l'attitude que nous avons prise au moment des élections générales. Parce que nous connaissons mieux que la société elle-même ses fautes, et, par le nombre de ses fautes, la multitude et la permanence de ses dangers, ce n'est pas une raison pour que nous nous mettions du côté de ses ennemis; tout au contraire. Nous lui donnions des conseils, nous ne l'attaquions pas; nous désirions sa conversion, non sa ruine. A l'heure du combat, elle a du moins commencé d'ouvrir les yeux. En se défendant, elle cherche aussi à rester chrétienne. C'est vertu à elle de comprendre qu'elle a des choses saintes à sauver et de ne pas vouloir périr; c'est devoir à nous de lui apporter notre faible secours; dussions-nous plus tard, et cela est indubitable, dans plusieurs, dans beaucoup de nos alliés de la veille, retrouver des ingrats, des adversaires et même des ennemis.

Nous sommes passagers sur un vaisseau dont les chefs nous ont longtemps, systématiquement, exclus du conseil et de la manœuvre. Cependant ils allaient aux abîmes. Nous l'avons vu, nous l'avons dit. On nous a repoussés, dédaignés, frappés même, et enfin le péril que nous annoncions a éclaté de tous les côtés à la fois. Péril de la mer et du vent, péril des rivages, péril au dehors, péril au dedans. La tempête souffle dans les voiles, la sédition mugit à bord. Que devons-nous faire? Nous joindre aux séditieux, ou prêter main forte à ceux qui entreprennent courageusement de lutter contre le naufrage? Il n'y a pas de moyen terme, et nous avons pris notre parti sans hésiter. Nous n'abjurons rien, nous n'abandonnons aucune de nos convictions, ce qui se passe les rend plus profondes. Plus que jamais nous croyons que l'ordre

matériel tout seul est impuissant et que son triomphe ne sera qu'à peine un triomphe. Et néanmoins, nous nous engageons, nous nous dévouons au service de l'ordre matériel. Pourquoi? Par la raison, hélas! trop simple, que si nous ne sauvons pas l'ordre matériel aujourd'hui, tout est perdu demain.

Cela ne veut point dire que nous n'avons aucune condition, aucun choix à faire, aucune part à prétendre avant l'ouverture du scrutin, et que nous devons adopter aveuglément tous les noms, quels qu'ils soient, qui se présenteront sous la bannière du parti modéré. Nous rappelons, nous maintenons l'exclusion donnée avec tant de justice et de sagesse, dans la circulaire du Comité électoral catholique, à cette classe de prétendus conservateurs qui restent stupidement fidèles à leurs préventions irréligieuses d'avant 1848 et aux plans de tyrannie contre l'Eglise qu'ils affichaient alors. Ces hommes-là sont les plus dangereux fauteurs du socialisme. Ce sont eux, ce sont leurs doctrines et leurs pratiques qui ont donné naissance aux sectes anti-sociales et qui en font la redoutable force. Que nos amis donc les combattent partout, qu'ils leur refusent absolument leurs suffrages ou qu'ils ne les leur accordent que contre des engagements positifs et de sérieuses garanties. Notre désintéressement offre beaucoup, et on peut beaucoup lui demander, mais non pas pourtant de trahir nous-mêmes et la société.

A cette exception près, on nous trouvera disposés à mettre la conciliation en pratique dans les plus larges limites.

Mais que nos alliés nous permettent de leur répéter ce que nous leur disions déjà lorsqu'ils étaient nos adversaires : les efforts du parti conservateur avorteront mi

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