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LA PROPOSITION RATEAU.

12 janvier 1849.

Aucun des spectateurs de la séance d'aujourd'hui n'en aura regretté la longueur. Le spectacle a été vif et piquant, et l'issue heureuse. On discutait la prise en considération de la proposition Rateau. Elle n'a rien d'agréable pour un très grand nombre de nos représentants. M. Rateau leur a dit un beau matin - Frères, il faut mourir! Nous sommes des rois, de très grands rois, et nous avons tout pouvoir, hors le pouvoir de vivre. Résignons-nous donc, faisons belle contenance, et choisissons notre jour. Seulement, qu'il ne soit pas trop éloigné!

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A cet avis, l'Assemblée, réunie dans ses bureaux, a répondu par la voix du frère Grévy: Je ne veux pas mourir encore! On croit entendre le poète :

L'épi naissant mûrit, de la faux respecté.
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été
Boit les doux rayons de l'aurore;

Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoique l'heure présente ait de trouble et d'ennui,
Je ne veux pas mourir encore.

Monsieur Rateau, votre servante! J'ai dix lois organiques à faire ; je les ferai, sans quoi je trahirais la confiance des électeurs et j'abdiquerais mon mandat. Quand j'aurai enfanté ces organiques, nous verrons; je ne me prétends pas immortelle. Mais, d'ici là, votre proposition n'est pas seulement lugubre, elle est inconstitutionnelle, irrévérencieuse, factieuse, et je me propose, moi, de ne la point prendre en considération.

Cependant plus d'un membre partage le sentiment de M. Rateau et répète avec lui: Frères, il faut mourir! Et, dans le pays, maint et maint écho redit, ou plutôt mugit: Il faut mourir, il faut mourir promptement! C'est le vœu de beaucoup de conseils électifs, c'est le vœu d'une quantité de journaux, c'est le vœu d'une multitude de pétitionnaires, c'est le vœu de la Constitution, qui a besoin d'un certain baptême et d'une certaine confirmation; c'est le vœu du bon sens, qui craint que l'Assemblée ne vienne à regretter, malgré elle, d'avoir abdiqué la toute-puissance dont elle a été revêtue; c'est le vœu de la nécessité; car, si l'Assemblée est sortie de la même urne que le chef du pouvoir exécutif, elle n'y a pas été formée par le même esprit. Il faut mourir! il faut mourir!

Ce glas a rempli la séance.

M. de Sèze en a tinté les premiers coups. Il n'a pas été longtemps écouté en silence. De vives clameurs s'élevaient et couvraient sa voix. C'est ainsi que la Montagne a coutume de se boucher les oreilles. M. de Sèze est pourtant un orateur conciliant et poli. Il s'offrait à délivrer la majorité d'un scrupule que M. Grévy avait exprimé en son nom. La majorité paraît croire que l'Assemblée n'a pas le droit de mourir. Détrompez-vous, lui a dit

M. de Sèze, c'est notre droit, et c'est peut-être notre devoir. Nous ne sommes liés aux organiques que par un décret; notre toute-puissance peut l'anéantir, et il nous est plus facile de l'anéantir que de l'exécuter. Là-dessus, M. de Sèze est entré dans les raisons les plus nettes, les plus concluantes; mais ces raisons n'ont point plu. Quels cris! quelles interruptions! quelles interjections! Ah! s'il ne s'agissait que d'avoir des poumons pour vivre!

Un membre paraît à la tribune en habit de chasse. Il conjure l'Assemblée de vivre, de vivre longtemps, de faire beaucoup de lois organiques, de les faire toutes, d'en faire d'autres encore, et de repousser, de punir, d'étouffer les réclamations factieuses et rebelles qui mettent en doute son éternité. Voilà comme il faut parler. Les clameurs deviennent des hourrahs! Ce membre siége à la Montagne, il en a la voix, la mine, la phrase. C'est quelque chose d'aigu, de furieux, de grotesque.

Il faut mourir! Il n'y a guère moyen d'en douter après avoir entendu M. de Montalembert. Nous avons un jour prédit à M. de Montalembert beaucoup de chutes dans cette assemblée. Nous nous sommes trompés ce jour-là. En conjurant l'Assemblée de se dissoudre, M. de Montalembert fait preuve de désintéressement. Il est un des rares orateurs qu'elle écoute; succès d'autant plus flatteur qu'il ne le doit pas, certes! à la bienveillance de la majorité, ni au souci qu'il prend de lui plaire. Cent fois interrompu, souvent injurié, applaudi souvent, il a dit tout ce qu'il voulait dire, et l'on a entendu tout ce qu'il a dit. Nous ne croyons pas que, jusqu'à présent, cette assemblée, si prompte dans ses susceptibilités et si peu retenue dans ses colères, ait reçu en face un pareil bloc de bonnes et drues vérités. Il est vrai que jamais, jusqu'à

présent, M. de Montalembert n'avait consenti à dire la vérité aussi adroitement. Quelques-uns de ceux qui interrompent le plus, parce qu'ils sont aussi ceux qui savent le moins répondre, s'étonnaient d'avoir laissé de telles pensées arriver tout entières jusqu'à leurs oreilles; mais, lorsqu'ils songeaient à se révolter, il était déjà trop tard, et un nouveau trait leur faisait oublier le premier. M. de Montalembert, reconnaissant à l'Assemblée le droit de prolonger son existence jusqu'à la confection de ces fameuses lois qui doivent compléter la Constitution, a prétendu lui prouver qu'il était de son intérêt, de sa gloire, de sa dignité, de son patriotisme de terminer ellemême, dans un bref délai, non pas ces grands travaux, mais son existence. Il lui a présenté à cet égard les considérations les plus vraies, les plus fortes, les plus politiques et les plus patriotiques aussi. Nous ne doutons pas que ce discours, tantôt pétillant d'ironie, tantôt entraînant d'éloquence, n'ait produit un grand effet sur la fraction de l'Assemblée à qui l'orateur a déclaré s'adresser spécialement. Il y a une partie de nos collègues, a-t-il dit, qui demandent à s'en aller, parce qu'ils sont sùrs de revenir; il y en a d'autres qui ne veulent point s'en aller, parce qu'ils sont à peu près aussi assurés de ne revenir pas. Je m'adresse à ceux qui ne considèrent point leur position personnelle et qui s'inquiètent peu d'euxmêmes et beaucoup de l'intérêt du pays. Je les conjure de ne point laisser monter trop haut ce flot de l'opinion qui nous demande de nous soumettre au jugement des électeurs.

M. Billault est venu combattre ce grand discours. C'est toujours le même Billault, ennemi des ministres et trouvant qu'ils ne savent point leur métier. Le fond de

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