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DIEU ne nous a pas fait, ou n'a pas pu nous faire ce préfent? Et s'il l'a pu, et fi nous fentons en nous ce pouvoir, comment affurer que nous ne l'avons

pas ?

On traite de chimère cette liberté d'indifférence; on dit que fe déterminer fans raifon, ne ferait que le partage des infenfés: mais on ne fonge pas que les insensés font des malades qui n'ont aucune liberté. Ils font déterminés néceffairement par le vice de leurs organes; ils ne font point les maîtres d'eux-mêmes, ils ne choififfent rien. Celui-là eft libre qui fe détermine soi-même : or, pourquoi ne nous détermineronsnous pas nous-mêmes par notre feule volonté dans les chofes indifférentes ?

Nous poffédons la liberté qu'on appelle de Spontanéité dans tous les autres cas; c'eft-à-dire que lorfque nous avons des motifs, notre volonté fe détermine par eux : et ces motifs font toujours le dernier résultat de l'entendement ou de l'instinct; ainfi quand mon entendement fe représente qu'il vaut mieux pour moi obéir à la loi que la violer, j'obéis à la loi avec une liberté fpontanée; je fais volontairement ce que le dernier dictamen de mon entendement m'oblige de faire. On ne fent jamais mieux cette espèce de liberté que quand notre volonté combat nos défirs. J'ai une paffion violente; mais mon entendement conclut que je dois réfister à cette paffion; il me représente un plus grand bien dans la victoire que dans l'afferviffement à mon goût. Ce dernier motif l'emporte fur l'autre, et je combats mon défir par ma volonté ; j'obéis nécessairement, mais de bon gré, à cet ordre de ma raison ; je fais, non ce que je défire, mais ce que je veux; et en ce cas je fuis

libre de toute la liberté dont une telle circonftance peut me laiffer fufceptible.

Enfin je ne fuis libre en aucun fens, quand ma paffion eft trop forte, et mon entendement trop faible, ou quand mes organes font dérangés; et malheureusement c'eft le cas où fe trouvent très - fouvent les hommes ; ainfi il me paraît que la liberté fpontanée eft à l'ame ce que la fanté eft au corps; quelques perfonnes l'ont toute entière et durable; plufieurs la perdent fouvent; d'autres font malades toute leur vie; je vois que toutes les autres facultés de l'homme font fujettes aux mêmes inégalités. La vue, l'ouïe, le goût, la force, le don de penfer, font tantôt plus forts, tantôt plus faibles; notre liberté eft comme tout le refte, limitée, variable, un mot, très-peu de chose, parce que l'homme eft trèspeu de chose.

en

La difficulté d'accorder la liberté de nos actions

avec la préfcience éternelle de DIEU, n'arrêtait point. Newton, parce qu'il ne s'engageait pas dans ce labyrinthe la liberté une fois établie, ce n'eft : pas à nous à déterminer comment DIE U prévoit ce que nous ferons librement. Nous ne favons pas de quelle manière DIEU voit actuellement ce qui fe paffe. Nous n'avons aucune idée de fa façon de voir; pourquoi en aurions - nous de fa façon de prévoir? Tous fes attributs nous doivent être également incompréhenfibles.

Il faut avouer qu'il s'élève contre cette idée de liberté des objections qui effraient. D'abord on voit que cette liberté d'indifférence ferait un préfent bien frivole, fi elle ne s'étendait qu'à cracher à droite et à gauche, et à choisir pair ou impair. Ce qui impo:te, c'eft que Cartouche et Sha-Nadir aient la liberté de ne pas répandre

le fang humain. Il importe peu que Cartouche et ShaNadir foient libres d'avancer le pied gauche ou le pied droit. Enfuite on trouve cette liberté d'indifférence impoffible car comment fe déterminer fans raison ? Tu veux, mais pourquoi veux-tu ? on te propose pair ou non, tu choifis pair, et tu n'en vois pas le motif; mais ton motif eft que pair fe présente à ton esprit à l'inftant qu'il faut faire un choix.

Tout a fa caufe; ta volonté en a donc une. On ne peut donc vouloir qu'en conféquence de la dernière idée qu'on a reçue. Perfonne ne peut favoir quelle idée il aura dans un moment; donc perfonne n'eft le maître de fes idées, donc perfonne n'eft le maître de vouloir et de ne pas vouloir. Si on en était le maître, on pourrait faire le contraire de ce que DIEU a arrangé dans l'enchaînement des chofes de ce monde. Ainfi chaque homme pourrait changer et changerait en effet à chaque inftant l'ordre éternel.

Voilà pourquoi le fage Locke n'ofe pas prononcer le nom de liberté; une volonté libre ne lui paraît qu'une chimère. Il ne connaît d'autre liberté que la puiffance de faire ce qu'on veut. Le goutteux n'a pas la liberté de marcher; le prifonnier n'a pas celle de fortir. L'un eft libre quand il eft guéri; l'autre quand on lui ouvre la porte.

Pour mettre dans un plus grand jour ces horribles difficultés, je fuppofe que Cicéron veut prouver à Catilina qu'il ne doit pas confpirer contre fa patrie. Catilina lui dit qu'il n'eft pas le maître, que fes derniers entretiens avec Cethegus lui ont imprimé dans la tête l'idée de la confpiration; que cette idée lui plaît plus qu'une autre ; et qu'on ne peut vouloir qu'en conféquence de

fon dernier jugement. Mais vous pourriez, dirait Cicéron, prendre avec moi d'autres idées. Appliquez votre esprit à m'écouter et à voir qu'il faut être bon citoyen. J'ai beau faire, répond Catilina; vos idées me révoltent, et l'envie de vous affaffiner l'emporte. Je plains votre frénésie, lui dit Cicéron, tâchez de prendre de mes remèdes. Si je fuis frénétique, reprend Catilina, je ne fuis pas le maître de tâcher de guérir. Mais, lui dit le conful, les hommes ont un fond de raifon qu'ils peuvent confulter, et qui peut remédier à ce dérangement d'organes, qui fait de vous un pervers; fur- tout quand ce dérangement n'eft pas trop fort. Indiquez-moi, répond Catilina, le point où ce dérangement peut céder au remède pour moi, j'avoue que depuis le premier moment où j'ai confpiré, toutes mes réflexions m'ont porté à la conjuration. Quand avez-vous commencé à prendre cette funefte résolution, lui demande le conful? quand j'eus perdu mon argent au jeu. Hé bien, ne pouviez-vous pas vous empêcher de jouer? non, car cette idée de jeu l'emporta dans moi ce jour-là fur toutes les autres idées; et fi je n'avais pas joué, j'aurais dérangé l'ordre de l'univers qui portait que Quartilla me gagnerait quatre cents mille fefterces, qu'elle en acheterait une maison et un amant, que de cet amant il naîtrait un fils, que Cethegus et Lentulus viendraient chez moi, et que nous confpirerions contre la république. Le deftin m'a fait un loup, et il vous a fait un chien de berger; le deftin décidera qui des deux doit égorger l'autre. A cela Cicéron n'aurait répondu que par une catilinaire. En effet, il faut convenir qu'on ne peut guère répondre que par une éloquence vague aux objections contre la liberté : trifte, fujet fur lequel le plus fage craint même d'ofer penfer.

Une feule réflexion confole, c'eft que quelque fyftême qu'on embraffe, à quelque fatalité qu'on croie toutes nos actions attachées, on agira toujours comme fi on était libre.

1.

CHAPITRE V.

Doutes fur la liberté qu'on nomme d'indifférence.

LES

Es plantes font des êtres organifés dans lefquels tout se fait néceffairement. Quelques plantes tiennent au règne animal, et font en effet des animaux attachés à la terre.

2. Ces animaux plantes qui ont des racines, des feuilles et du fentiment, auraient-ils une liberté ? il n'y a pas grande apparence.

3. Les animaux n'ont-ils pas un fentiment, un inftinct, une raifon commencée, une mefure d'idées et de mémoire? Qu'eft-ce au fond que cet inftinct? n'eft-il pas un de ces refforts fecrets que nous ne connaîtrons jamais? On ne peut rien connaître que par l'analyse, ou par une fuite de ce qu'on appelle les premiers principes; or quelle analyse ou quelle fynthèse peut nous faire connaître la nature de l'inftinct? Nous voyons feulement que cet instinct est toujours néceffairement accompagné d'idées. Un ver à foie a la perception de la feuille qui le nourrit, la perdrix du ver qu'elle cherche et qu'elle avale, le renard de la perdrix qu'il mange, loup du renard qu'il dévore. Il n'eft pas vraisemblable

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