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ESSAI

SUR LA NATURE DU FEU,

ET SUR SA PROPAGATION.

Ignis ubique latet, naturam amplectitur omnem,
Cuncta parit, renovat, dividit, unit, alit.

Phyfique, &c.

1 7 4 0.

R

Les hommes ont dû être long-temps fans avoir l'idée

du feu, et ils ne l'auraient jamais eue, fi des forêts embrafées par la foudre, ou l'éruption des volcans, ou le choc et le mouvement violent de quelques corps, n'euffent enfin produit pour eux, en apparence, ce nouvel être. Le foleil, tel qu'il nous luit, ne donne aux hommes que la fensation de la lumière et de la chaleur; et fans l'invention des miroirs ardens, perfonne n'aurait pu ni dâ affurer que les rayons du foleil font un feu véritable, qui divife, qui brûle, qui détruit, comme notre feu que nous allumons.

Nous ne connaissons guère plus la nature intime du feu que les premiers hommes n'ont dâ connaître fon existence.

Nous avons des expériences qui, quoique très-fines pour nous, font encore très-groffières par rapport aux premiers principes des chofes : ces expériences nous ont conduits à quelques vérités, à des vraisemblances, et fur-tout à des doutes en grand nombre; car le doute doit être fouvent en phyfique ce que la démonftration eft en géométrie, la conclufion d'un bon argument.

Voyons donc fur la nature du feu et sur sa propagation le peu que nous connaiffons de certain, fans ofer donner pour vrai ce qui n'eft que douteux, ou tout au plus vraisemblable.

PREMIERE PART I E.

DE LA NATURE DU FEU.

ARTICLE PREMI E R.

cartes.

Ce que c'est que la fubftance du feu, et à quoi on peut

la connaître.

Ou le feu eft un mixte produit par le mouvement et

l'arrangement des autres corps, et en ce cas, ce qui n'est pas le feu le devient, et ce qui l'eft devenu se change enfuite en une autre fubftance, par une viciffitude continuelle.

Ou bien c'eft une fubftance fimple, exiftante indépendamment des autres êtres, laquelle n'attend que du mouvement et de l'arrangement pour se manifefter; et c'eft ce que l'on appelle élément ; en ce cas, le feu eft toujours feu; il ne change aucune substance en la fienne propre, et n'eft transformé en aucune des fubftances auxquelles il fe mêle.

Idée de Def Defcartes, dans les principes de fa philofophie, (4me partie, article 89) paraît croire que le feu n'eft que le résultat du mouvement et de l'arrangement; que toute matière, réduite en matière fubtile par le frottement, peut devenir ce corps de feu, et que cette matière fubtile, qu'il appelle fon premier élément, eft le feu même.

Le même Descartes, dans tout fon traité de la lumière, dans fa Dioptrique, dans fes lettres, affure que la lumière, qu'il appelle fon fecond élément, eft un compofé de petites boules qui ont une tendance au tournoiement.

Mais comme il eft conftant, par l'expérience des verres brûlans, que le feu et la lumière font le même être, et ne diffèrent que du plus au moins, il paraît que cette fubftance ne peut à la fois être cette matière fubtile et cette matière globuleufe, ce premier et ce fecond élément de Defcartes.

Ni le temps, ni le fujet qu'on traite ici, ne permettent d'examiner ces élémens de Defcartes, et la foule des argumens qu'on leur oppofe.

Le mou

On difcutera feulement, fans fe charger d'aucun. fyftême, s'il eft poffible que l'arrangement et le mouve- vement feul ment de la matière produisent la substance du feu.

pourrait - il produire la fubftance du

1o. Les mixtes, par leur mouvement, &c. ne peuvent feu? jamais produire que leurs compofés, ou laiffer échapper de leurs fubftances les corps dont eux-mêmes étaient compofés: or le feu, par toutes les expériences que l'on a faites, n'eft compofé d'aucun corps connu; donc on ne doit point le croire produit d'eux; donc il faut, ou que le feu fortant d'une matière quelconque foit un élément fimple, enfermé auparavant dans cette matière, ou que cet élément foit formé tout d'un coup par cette matière dans laquelle il n'était point; mais être produit par un être dans lequel il n'était point, ce ferait être créé par cet être, ce ferait être formé de rien; donc le feu eft un élément exiftant indépendamment de tous les autres corps.

2o. Si l'arrangement et le mouvement des corps

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