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préhensible; son livre est une énigme, quoi qu'on veute dire, inexplicable; c'est une chimère, c'est le visage d'une belle femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autre bête plus difforme; c'est un monstrueux assemblage d'une morale fine at et ingénieuse et d'une sale corruption: où il est mauvais, il passe to bien loin au delà du pire, c'est le charme de la canaille: où il est bon, il va jusques à l'exquis et à l'excellent, il peut être le mets des plus délicats3.

1533-92

* Deux écrivains dans leurs ouvrages ont blâmé MONTAGNE, que je ne crois pas, aussi bien qu'eux, exempt de toute sorte de 15:2 blame; il paraît que tous deux ne l'ont estimé en nulle manière. 4 39 15 L'un ne pensait pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup; l'autre pense trop subtilement pour s'accommoder de pensées sont naturelles .

* Un style grave, sérieux, scrupuleux va fort loin: on lit AMYOT et COEFFETEAU : lequel lit-on de leurs contemporains?

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1. Incompréhensible. Il le fallait bien. S'il n'avait pris le masque de la folie, ox ne l'aurait pas laissé impunément se moquer des rois, des grands, des magistrats, et des religieux. En le lisant encore aujourd'hui, on est étonné de ses hardiesses. Il ne pouvait se sauver qu'en affectant souvent le grotesque et l'inintelligible.

2. Chimere, etc. » Souvenir du commencement de l'Art poetique d'Horace.

3. Des plus délicats. La Fontaine en faisait sa lecture favorite, et le vantait à tous propos. Molière lui a emprunté des idées, des expressions, et jusqu'à des passages entiers. Le jugement de La Bruyère est très-solide et ingenieux.

4. Deux écrivains. Nicole et Malebranche. Le premier est celui qui ne pense pas assez, et le second, celui qui pense trop subtilement.

5. Aussi bien qu'eux. Que je ne crois pas non plus exempt de blâme. Cet emploi de aussi dans les phrases négatives est tres-frequent au xviie siècle : « Ces paroles ne peuvent donc servir qu'à vous convaincre vous-même d'imposture, et elles ne servent pas aussi davantage pour justifier Vasquez.» PASCAL, 12e provinciale. « II n'est pas juste qu'il puisse entrer dans les terres de ses voisins; il n'est pas juste aussi que ses voisins puissent entrer dans les siennes. » FENELON, Télémaque, ix. Ma foi je n'irai pas.

- Je n'irai pas aussi.

MOLIERE, l'École des femmes, 1, 2.

6. Naturelles. Montaigne semble avoir prévu ces critiques, et il dit d'après un ancien; que si ces Essais estoient dignes qu'on en jugeast, il en pourroit advenir à mon advis, qu'ils ne plairoient guères aux esprits communs et vulgaires, ny gueres aux singuliers et excellents; ceulx-là n'y entendroient pas assez; ceulx-ci y entendroient trop; ils pourroient vivoter en la moyenne région. » 1, 54.

7. Un style scrupuleux. Et plus haut: Quelque scrupuleuse exactitude que l'on ait dans sa manière d'écrire. Fénelon a dit: «Combien notre langue est-elle timide et scrupuleuse en comparaison! On conçoit très-bien d'après le style de chacun de ces écrivains, pourquoi l'un fait un éloge d'un mot dont l'autre fait un blame.

8. Amyot. Ne à Melun en 4513, évêque d'Auxerre, traducteur de Plutarque et des romans grecs de Longus et d'Heliodore. Montaigne lui donne la palme sur tous nos écrivains français, tant pour la naïveté et pureté de son langage, que parce qu'il a su choisir un livre si digne et si à propos pour en faire present au pays.

9. Coeffeteau. » Ne dans le Maine, en 1574, auteur d'une Histoire romaine, etc. Vaugelas disait de lui que le galimatias n'était pas plus incompatible avec son esprit

BALZAC, pour les termes et pour l'expression, est moins vieux que VOITURE; mais si ce dernier, pour le tour, pour l'esprit et pour le naturel, n'est pas moderne, et ne ressemble en rien à nos écrivains, c'est qu'il leur a été plus facile de le négliger que de l'imiter, et que le petit nombre de ceux qui courent après lui ne peu l'atteindre 1.

* Le H. G. est immédiatement au-dessous de rien, il y a bien d'autres ouvrages qui lui ressemblent. Il y a autant d'invention à s'enrichir par un sot livre, qu'il y a de sottise à l'acheter; c'est ignorer le goût du peuple, que de ne pas hasarder quelquefois de IV grandes fadaises.

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* L'on voit bien que l'opéra est l'ébauche d'un grand spectacle; il en donne l'idée.

Je ne sais pas comment l'opéra, avec une musique si parfaite e une dépense toute royale, a pu réussir à m'ennuyer.

Il y a des endroits dans l'opéra qui laissent en désirer d'autres;

que les ténèbres avec la lumière. Il ne pouvait presque recevoir de phrase qui ne fùt dans ses ouvrages, et à son jugement, il n'y avait point de salut hors de l'histoire romaine, non plus que hors de l'eglise romaine. Cependant Saint-Evremond le tourne déjà en ridicule, et il est aujourd'hui complétement oublié.

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1. L'atteindre. La Bruyère reproduit ici, presque mot pour mot, les jugements de Bouhours. On sait du reste que la réputation de Voiture fut respectée même par Boileau; et il est difficile de ne pas convenir, que s'il a peu de naturel, il a cependant beaucoup d'agrément, et quelquefois de goût.

2. Le H. G. Le Mercure galant, journal politique et littéraire qui paraissait tous les mois, et donnait les nouvelles de la cour, de l'armée et de la litterature. Il était rédigé par Donneau de Visé, qui avait eu assez de vogue pour obtenir une pension, et un logement au Louvre. Le Mercure était à la fois fort répandu dans le monde, et fort méprisé de tous les vrais écrivains. Il prenait parti pour Perrault contre Boileau, et admirait fort les pastorales de Fontenelle. De Visé était le même, qui furieux du succès de l'Ecole des femmes, avait composé contre Molière Zélinde, ou la Critique de la Critique; n'ayant pu faire representer sa piece, il avait essayé dans une lettre fort curieuse, de soulever contre notre grand comique toute la noblesse de France, et de le faire déclarer coupable de lèse-majesté. Voyez la préface du discours à l'Académie.

3. L'opéra.» Croirait-on qu'un critique contemporain de La Bruyère l'ait accusé de rechercher le caractère fort à la mode de misanthrope, parce qu'il s'ennuyait à l'opera ? Notre auteur n'a fait que suivre le sentiment de Saint-Evremond, écrit en termes beaucoup plus durs encore, au duc de Buckingham: « J'avoue que la magnificence de l'opéra me plait assez; que les machines ont quelque chose de surprenant; que la musique en quelques endroits est touchante; que le tout ensemble parait merveilleux, mais il faut aussi m'avouer que ces merveilles deviennent bientôt ennuyeuses, car où l'esprit a si peu à faire, c'est une nécessité que les sens viennent à languir. Après le premier plaisir que nous donne la surprise, les yeux s'occupent et se lassent ensuite d'un continuel attachement aux objets; la lassitude devient si grande, qu'on ne songe qu'à sortir, et le seul plaisir qui reste à des spectateurs languissants. c'est l'espérance de voir finir bientôt le spectacle qu'on leur donne. Une sottise chargée de musique, de danses, de machines, de décorations, est une sottise magnifique, mais toujours sottise. Si vous voulez savoir ce que c'est qu'un opéra, je vous dirai que c'est un travail bizarre de poésie et de musique, où le poëte et le musicien également gênés l'un par l'autre, se donnent bien de la peine à faire un méchant ouvrage. »

il échappe quelquefois de souhaiter la fin de tout le spectacle; c'est faute de théâtre, d'action et de choses qui intéressent.

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L'opéra jusques à ce jour n'est pas un poëme, ce sont des vers, ni un spectacle, depuis que les machines ont disparu par le bon ménage d'Amphion et de sa race1: c'est un concert, ou ce sont des voix soutenues par des instruments. C'est prendre le change et cultiver un mauvais goût, que de dire, comme l'on fait, que la machine n'est qu'un amusement d'enfants, et qui ne convien qu'aux marionnettes: elle augmente et embellit la fiction, soutient dans les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre, où elle jette encore le merveilleux. Il ne faut point de vols, ni de chars, ni de changements aux Bérénices et à Pénélope1, il en faut aux opéras ; et le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement.

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*Ils ont fait le théâtre ces empressés, les machines, les ballets, ́es vers, la musique, tout le spectacle, jusqu'à la salle où s'est donné le spectacle, j'entends le toit et les quatre murs dès leurs fondements. Qui doute que la chasse sur l'eau, l'enchantement de la table, la merveille du labyrinthe, ne soient encore de leur invention? J'en juge par le mouvement qu'ils se donnent, et par l'air content dont ils s'applaudissent sur tout le succès. Si je me trompe, et qu'ils n'aient contribué en rien à cette fête si superbe,

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2. La machine. Chars, enlèvements, apparition, palais formés et détruits en un clin d'œil, tout ce qui se fait et se défait dans un opéra par l'art du machiniste. 34 Bérénices. Tragédies de Corneille et de Racine.

A. Penelope. Tragédie de l'abbé Genest, jouée en 1684, et tout à fait oubliée aujourd'hui. Il est singulier que La Bruyère ait ainsi rapproché ces trois pièces d'un merite si différent.

5. Il en faut aux opéras. » On voit que La Bruyère ne demandait pas plus de spectacle pour la tragédie. Il est assez remarquable que l'art dramatique ait baissé chez presque toutes les nations, à proportion que se perfectionnait tout l'appareil théâtral. Voltaire a très-bien dit: Comme il est plus aisé de faire une belle decoration qu'une belle scène, plus aisé d'indiquer des attitudes que de bien écrire, il est vraisenibable qu'on gatera la tragédie en croyant la perfectionner. Son théâtre en offre la meilleure preuve.

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6. La chasse sur l'eau. Divertissement d'une invention fort originale: on fit jeter dans un etang des sangliers, des cerfs, des biches, le tout au son du hautbois Des dames embarquées dans des bateaux couverts de feuillage, prenaient les cerfs en leur jetant un noeud coulant autour du cou, puis s'amusaient à les remettre en liberte. 7. De la table. Rendez-vous de chasse dans la forêt de Chantilly. (Note de La Bruyere. La 7 We était le nom d'un carrefour dans le bois où aboutissaient douze routes. Là, un co cert et un repas magnifique attendaient les invités.

8. La melle du labyrinthe. Collation ingenieuse donnee dans le labyrinthe de Chantilly. de La Bruyère.)

9. Cette fote. Il s'agit de la fête que le prince de Condé, fils du grand Condé

si galante, si longtemps soutenue, et où un seul a suffi pour le projet et pour la dépense, j'admire deux choses, la tranquillité et le flegme de celui qui a tout remué1, comme l'embarras et l'action de ceux qui n'ont rien fait.

Les connaisseurs, ou ceux qui se croient tels, se donnent voix délibérative et décisive sur les spectacles, se cantonnent aussi, et se divisent en des partis contraires, dont chacun, poussé par un tout autre intérêt que par celui du public ou de l'équité, admire un certain poëme 2 ou une certaine musique, et siffle toute autre. Ils nuisent également, par cette chaleur à défendre leurs préventions, et à la faction opposée, et à leur propre cabale; ils découragent par mille contradictions les poëtes et les musiciens, retardent le progrès des sciences et des arts, en leur ôtant le fruit qu'ils pourraient tirer de l'émulation et de la liberté qu'auraient plusieurs excellents maîtres de faire, chacun dans leur genre et selon leur génie, de très-beaux ouvrages 3.

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* D'où vient 4 que l'on rit si librement au théâtre, et que l'on a honte d'y pleurer? Est-il moins dans la nature de s'attendrir sur le pitoyable que d'éclater sur le ridicule? Est-ce l'altération des traits qui nous retient? Elle est plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur; et l'on détourne son visage pour frire comme pour pleurer en la présence des grands et de tous ceux que l'on respecte. Est-ce une peine que l'on sent à laisser voir que des

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donna au dauphin, en 1688, et qui dura huit jours. La Bruyère flatte le prince, dont il
élevait le fils, en lui attribuant tout l'honneur du projet et de la disposition. On croyait
ces bagatelles dignes de figurer dans un livre écrit pour la postérité.
1. Remué. Expression juste et énergique.

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2. Un certain poëme.» Voyez dans les lettres de madame de Sévigné l'exagération singulière des partisans exclusifs de Corneille et de Racine.

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3. Ouvrages. La phrase est longue et embarrassée. Mais ce n'est qu'an xvin siècle qu'on exigea des écrivains une construction toujours nette et d'une élégance qui devient quelquefois monotone. Les contemporains de La Bruyère n'y regardaient pas de si près. Ce n'était pas un grand défaut que le redoublement des qui, des que, et l'enchainement des conjonctions se continuant l'une l'autre. Ils avaient conservé dans le style le libre aller, le naturel et les longueurs de la conversation, et aussi de la phrase latine. La Bruyère, dont la langue est si travaillée, se permet volontiers ces négligences. On pourrait répéter cette observation à chaque page.

4. D'où vient. » L'interrogation donne du mouvement et de la vivacité à cette po tite et intéressante dissertation.

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5 Pitoyable. Sur ce qui est digne de pitié. Saint-Evremond dit: Je faisais dire à mon heros ce que je sentais moi-même; si je me rouvais pitoyable, je ne manquais pas de fournir des infortunes à ma pitié. » Ce mot aujourd'hui se prend presque toujours dans le sens ironique, et signifie faible, mauvais, qui fait pitié et mépris On re marque dans notre langue cet envahissement toujours croissant du sens ironique, qui agaté les plus beaux mots, tels que bon, misérable, simple, prude, etc., etc.

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l'on est tendre, et à marquer quelque faiblesse, surtout en un sujet faux, et dont il semble que l'on soit la dupe'? Mais, sans citer les personnes graves ou les esprits forts qui trouvent du faible dans un ris excessif comme dans les pleurs, et qui se les défendent également, qu'attend-on d'une scène tragique? qu'elle fasse rire? Et d'ailleurs la vérité n'y règne-t-elle pas aussi vivement par ses images que dans le comique? L'âme ne va-t-elle pas jusqu'au vrai dans l'un et l'autre genre avant que de s'émouvoir? Est-elle même si aisée à contenter? Ne lui faut-il pas encore le vraisemblable? Comme donc ce n'est point une chose bizarre d'entendre s'élever de tout un amphithéâtre un ris universel sur quelqu B. Or endroit d'une comédie, et que cela suppose au contraire qu'il est plaisant et très-naïvement exécuté, aussi l'extrême violence que ful chacun se fait à contraindre ses larmes, et le mauvais ris dont on veut les couvrir, prouvent clairement que l'effet naturel du grand tragique serait de pleurer tous franchement et de concert à la vue l'un de l'autre, et sans autre embarras que d'essuyer ses larmes : outre qu'après être convenu de s'y abandonner, on éprouverait encore qu'il y a souvent moins lieu de craindre de pleurer au théâtre que de s'y morfondre *.

*Le poëme tragique vous serre le cœur dès son commencement",

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4. La dupe. Cette raisor. est bonne. Il y en a encore une autre : c'est que par un sentiment de fierté naturelle à la nation, et que la poésie a fortifié, nous regardons les armes comme une faiblesse, et les plaintes comme efféminées. L'Hercule et le Philoctèle de Sophocle ne seraient pas supportés sur notre scène. Saint-Evremond a dit de notre tragédie, en termes précieux, mais avec justesse: « J'aime à voir plaindre l'infortune d'un grand homme malheureux, j'aim. qu'il s'attire de la compassion, et qu'il se rende quelquefois maitre de nos larmes; mais je veux que ces larmes tendres et généreuses regardent ensemble ses malheurs et ses vertus, et qu'avec le triste sentiment de la pitié, nous avons celui d'une admiration animée, qui fasse naitre en notre âme, comme un amoureux désir de l'imiter. » De la tragédie ancienne et moderne. Avec ces sentiments, nos tragédies peuvent être belles, mais froides, et le public plus facile à transporter qu'à émouvoir.

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2. Esprits forts. Il ne s'agit pas ici des esprits sceptiques dont il est question dans le dernier chapitre de cet ouvrage. Le mot est pris dans son sens propre; les esprits forts sont aastères par nature, comme les personnes graves le sont par la nécessite de leur position.

3.

Qu'elle fasse rire. » Questions courtes, vives et pressantes.

4. Ne va-t-elle pas jusqu'aa vrai. » Expression juste et originale.

5. Avant que de. Nous supprimons maintenant que, et avec raison. On le conservait très-souvent au XVIe siècle : « Je les conjure de tout mon coeur de ne point condamner les choses avant que de les voir.» MOLIERE, Préface du Tartufe.- a Ávans que de les mener sur la place, il fit habiller les deux premiers, le plus proprement qu'il pat. LA FONTAINE, Vie d'Esope.

6.

Que de s'y morfondre. L'épigramme termine agréablement tout ce morceau ein de vérité et de bon sens

7

Des son commencement. Un troave souvem son se rapportant à un nom de

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