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vous récrierez : Quels efforts! quelle violence! De même n'approfondissez pas la fortune des partisans'.

Ce garçon 2 si frais, si fleuri, et d'une si belle santé, est seigneur d'une abbaye et de dix autres bénéfices 3; tous ensemble lui rapportent six vingt mille livres de revenu, dont il n'est payé qu'en médailles d'or. Il y a ailleurs six vingts familles indigentes qui ne se chauffent point pendant l'hiver, qui n'ont point d'habits pour se couvrir, et qui souvent manquent de pain; leur pauvrete est extrême et honteuse; quel partage! Et cela ne prouve-t-il pas clairement un avenir 1?

Chrysippe, homme nouveau et le premier noble de sa race, aspirait, il y a trente années, à se voir un jour deux mille livres de rente pour tout bien : c'était là le comble de ses souhaits et sa plus haute ambition; il l'a dit ainsi, et on s'en souvient. Il arrive, je ne sais par quels chemins, jusques à donner en revenu à l'une de ses filles, pour sa dot, ce qu'il désirait lui-même d'avoir en fonds pour toute fortune pendant sa vie : une pareille somme est comptée dans ses coffres pour chacun de ses autres enfants qu'il doit pourvoir, et il a un grand nombre d'enfants : ce n'est qu'en avancement d'hoirie, il y a d'autres biens à espérer après sa mort il vit encore, quoique assez avancé en àge, et il use le reste de ses jours à travailler pour s'enrichir.

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Laissez faire Ergaste ', et il exigera un droit de tous ceux

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1. Partisans. Cette satire est vive et amère; et pourtant La Bruyère n'a pas voalu tout dire. La fortune de la plupart des grands sortait de la même cuisine, comme dit notre auteur. Presque tous sollicitaient du roi des confiscations ou des gains honteux qu'on appelait affaires. Ainsi le comte de Grammont parvient à saisir un homme condamné pour concussion à une amende de 12,000 écus et qui était en fuite; il demande au roi de lui abandonner cet homme, dont il tire 40 à 50,000 livres. Un graveur, enfermé pour toute sa vie dans la Bastille, parce qu'il avait fait paraitre quelques caricatures contre la cour, se désespère et se suicide; le roi donne ses biens à la Dauphine; et Dangeau écrit: «Aujourd'hui le roi a donné à madame la Dauphine un homme qui s'est tue lui-même; elle espère en tirer beaucoup d'argent. Il est singulier, de voir combien était peu délicate, en beaucoup d'endroits, la inorale d'un siecle d'ailleurs si polį.

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2. Ce garçon. Les clefs nomment Charles-Maurice Le Tellier, archevêque de Reims.

3. Bénéfices. Revenus dont était dotée une église.

4. Un avenir. Quel avenir? Celui que fait espérer la religion, ou celui qui s'est accompli par la révolution? Cette phrase est bien hardie dans son obscurité sans doute calculée.

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5. Curysippe. Langeois, fermier général, dont le fils à épousé la fille du président Cousin, et la fille le fils do maréchal de Tourville.

6. Hoirie. Succession, hérédité.

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7. Ergaste. Le baron de Beauvais, grand donneur d'avis, doit la mère était fenune de chambre d'Anne d'Autriche,

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qui boivent de l'eau de ia rivière, ou qui marchent sur la terre ferme il sait convertir en or jusques aux roseaux, aux joncs, et à l'ortie 1; il écoute tous les avis, et propose tous ceux qu'il a écoutés. Le prince ne donne aux autres qu'aux dépens d'Ergaste, et ne leur fait de grâces que celles qui lui étaient dues; c'est une faim insatiable d'avoir et de posséder : il trafiquerait des arts et des sciences, et mettrait en parti jusques à l'harmonie 2. Il faudrait, s'il en était cru, que le peuple, pour avoir le plaisir de le voir riche, de lui voir une meute et une écurie, pût perdre le souvenir de la musique d'Orphée, et se contenter de la sienne.

* Ne traitez pas avec Criton 3, il n'est touché que de ses seuls avantages. Le piége est tout dressé à ceux à qui sa charge, sa terre, ou ce qu'il possède, feront envie; il vous imposera des conditions extravagantes. Il n'y a nul ménagement et nulle composition à attendre d'un homme si plein de ses intérêts, et si ennemi des vôtres; il lui faut une dupe.

* Brontin ^, dit le peuple, fait des retraites, et s'enferme huit jours avec des saints; ils ont leurs méditations, et il a les siennes,

* Le peuple souvent a le plaisir de la tragédie; il voit périr sur le théâtre du monde les personnages les plus odieux, qui ont fait le plus de mal dans diverses scènes, et qu'il a le plus haïs.

* Si l'on partage la vie des P. T. S. " en deux portions égales, la première, vive et agissante, est tout occupée à vouloir affliger

4. A l'ortie. » Lemontey, dans son Essai sur la monarchie de Louis XIV, ouvrage instructif, quoique dénigrant trop un siècle qui a eu tant de grandeur, cite un témoignage curieux de la terreur qu'inspirait partout la rapacité du fisc: « L'intendant d'une des provinces les plus pauvres du royaume, ayant le dessein d'y encourager l'éducation des abeilles, fit demander le nombre des ruches qui existaient dans chaque paroisse. Dès que cette curiosité fut connue, les habitants, fortement persuadés qu'un intendant ne pouvait avoir que des intentions malfaisantes, se hâtèrent de détiuire tous leurs essaims. »

2. Mettrait en parti, etc.» Mettrait une taxe, un impôt sur l'harmonie.

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«Criton. La clef dit : « Berryer. Il était du pays de Mans, simple sergent de bois. Il se fit connaitre à M. Colbert, du temps de la réforme des forêts de Normandie, et s'en fit si bien ecouter, qu'il gagna sa confiance, dont il se servit pour lui donner une quantité d'avis qui lui ont fait acquérir de grands biens. Il a laissé plusieurs enfants, dont un est maitre des requêtes appelé de la Férière, qui a épousé la petite-fille de feu M. de Novion, premier president, qui, pour consentir à cette alliance, a reçu 100,000 livres. »

4. Brontin. Berryer dont on a fait courir les Méditations. M. Walckenaer cite les titres de plusieurs satires contre les financiers: la Nouvelle Ecole publique ou l'Art de voler suns ailes; l'Art de plumer la poule sans crier; les Partisans démasqués; Pluton maltotier. La plupart de ces libelles étaient l'ouvrage des Protestants réfugiés en Hollande, qui se raillaient et jouissaient des misères de la France. 5. P. T. S. » Partisans.

le peuple; et la seconde, voisine de la mort, à se déceier et à se ruiner les uns les autres.

* Cet homme qui a fait la fortune de plusieurs, qui a fait la vôtre, n'a pu soutenir la sienne, ni assurer avant sa mort celle de sa femme et de ses enfants; ils vivent cachés et malheureux : quelque bien instruit que vous soyez de .a misère de leur condition, vous ne pensez pas à l'adoucir; vous ne le pouvez pas en effet, vous tenez table, vous bâtissez; mais vous conservez par reconnaissance le portrait de votre bien-facteur, qui a passé, à la vérité, du cabinet à l'antichambre, quels égards! il pouvait aller au garde-meuble 2.

* Il y a une dureté de complexion; il y en a une autre de condition et d'état. L'on tire de celle-ci, comme de la première, de quoi s'endurcir sur la misère des autres, dirai-je même, de quoi ne pas plaindre les malheurs de sa famille : un bon financier ne pleure ni ses amis, ni sa femme, ni ses enfants.

* Fuyez, retirez-vous; vous n'êtes pas assez loin. Je suis, ditesvous, sous l'autre tropique. Passez sous le pôle, et dans l'autre hémisphère; montez aux étoiles, si vous le pouvez. M'y voilà. Fort bien, vous êtes en sûreté. Je découvre sur la terre un homme avide, insatiable, inexorable, qui veut, aux dépens de tout ce qui se trouvera sur son chemin et à sa rencontre, et quoi qu'il en puisse coûter aux autres, pourvoir à lui seul, grossir sa fortune, et regorger de bien.

* Faire fortune est une si belle phrase, et qui dit une si bonne chose, qu'elle est d'un usage universel: on la reconnaît dans toutes les langues, elle plaît aux étrangers et aux barbares : elle

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1. Vous terez table. Cette ironie est encore plus cruelle que le reproche direct d'ingratitude qui précède.

2. Au garde-meuble. Lieu où l'on serre les meubles dont on ne fait point usage. 3 De quoi s'endurcir. » M. Rafe. Ce grand homme sec, qui vous donna il y a deux mois deux mille francs pour une direction que vous lui avez fait avoir à Valogne... il lui est arrivé un malheur... on a surpris sa bonne foi; on lui a volé quinze mille francs.... Dans le fond, il est trop bon.

M. Turcaret. Trop bon! trop bon! Eh! pourquoi diable s'est-il donc mis dans les affaires?.... Trop bon! trop bon!

M. Rufle, Il n'a écrit une lettre fort touchante, par laquelle il vous prie d'avoir pitié de lui.

M. Turcaret. Papier perdu, lettre inutile.

M. Rafe. Et de faire en sorte qu'il ne soit point révoqué.

M. Turcaret. Je ferai plutôt en sorte qu'il le soit : l'emploi me reviendra; je le donnerai à un autre pour le mème prix... j'agirais contre mes intérêts! Je mériterais d'être cassé à la tête de la compagnie. LESAGE, Turcaret, III. 9.

règne à la cour et à la ville; elle a percé les cloitres et franchi les murs des abbayes de l'un et de l'autre sexe il n'y a point de lieux sacrés où elle n'ait pénétré, point de désert ni de solitude où elle soit inconnue.

* A force de faire de nouveaux contrats, ou de sentir son argent grossir dans ses coffres, on se croit enfin une bonne tête, et presque capable de gouverner.

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* Il faut une sorte d'esprit pour faire fortune, et surtout une grande fortune ; ce n'est ni le bon ni le bel esprit, ni le grand ňi le sublime, ni le fort, ni le délicat; je ne sais précisément lequel c'est, et j'attends que quelqu'un veuille m'en instruire 1.

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Il faut moins d'esprit que d'habitude ou d'expérience pour faire sa fortune; l'on y songe trop tard, et quand enfin l'on s'en avise, l'on commence par des fautes que l'on n'a pas toujours le loisir de réparer de là vient peut-être que les fortunes sont si rares.

C

Un homme d'un petit génie 2 peut vouloir s'avancer : il néglige tout, il ne pense du matín aŭ soir, il né rève là ñuit qu'à une seule chose, qui est de s'avancer. Il a commencé de bonne heure, ét dès son adolescence, à se mettre dans les voies de la fortune s'il trouve une barrière de front qui ferme son passage, il biaise naturellement, et va à droits ou à gauche, selon qu'il y voit dé jour et d'apparence; et si de nouveaux obstacles l'arrêtent, il rentre dans le sentier qu'il avait quitté : il est déterminé par la nature des difficultés, tantôt à les surmonter, tantôt à les éviter, ou à prendre d'autres mesures; son intérêt, l'usage, les con

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1. M'en instruire. Turcaret nous le dira: «Un bel esprit n'est pas nécessaire pour faire son chemin. Hors moi et deux ou trois autres, il n'y a que des génies assez communs. Il suffit d'un certain usage, d'une routine qu'on ne manque guère d'attraper. Nous voyons tant de gens! Nous nous étudions à prendre ce que le monde a de meilleur; voilà toute notre science. » 11, 6.

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2. Petit génie. Un homme d'esprit échoue dans ses entreprises, parce qu'il hasarde beaucoup. Sa vue, qui se porte toujours loin, lui fait voir des objets qui sont à de trop grandes distances; sans compter que dans la naissance d'un projet, il est moins frappé des difficultés qui viennent de la chose que des remèdes qui sont de lui, et qu'il tire de son propre fonds. Il néglige les menus détails, dont dépend cependant la réussite de presque toutes les grandes affaires. L'homme médiocre, au contraire, cherche à tirer parti de tout: il sent bien qu'il n'a rien à perdre en négligences.. MONTESQUIEU, 3. A droit. On dit aujourd'hui à droite. Mais dans le xviie siècle on disait à droit. Ne saurait-on que dire: on prend la tabatière; Soudain à gauche, à droit, par devant, par derrière, Gens de toutes facons, connus et non connus, Pour y demander part sont les très-bien venus.

T. CORNEILLE e Festin de Pierre, acu i, se. 1.

onctures le dirigent. Faut-il de şi grands talents et une si bonne tête à un voyageur pour suivre d'abord le grand chemin, et, s'il est plein st embarrassé, prendre la terre et aller à travers champs, puis regagner sa première route, la continuer, arriver à son terme? Faut-il tant d'esprit pour aller à ses fins? Est-ce donc ur prodige qu'un sot, riche et accrédité?

Il y a méme des stupides, et j'ose dire des imbéciles, qui se placent en de beaux postes, et qui savent mourir dans l'opulence, sans qu'on les doive soupçonner en nulle manière d'y avoir contribué de leur travail ou de la moindre industrie3 : quelqu'un les a conduits à la source d'un fleuve, ou bien le hasard seul les y a fait rencontrer; on leur a dit : Voulez-vous de l'eau ? puisez; et ils ont puisé.

Quand on est jeune, souvent on est pauvre : ou l'on n'a pas encore fait d'acquisitions, ou les successions ne sont pas échues. L'on devient riche et vieux en même temps; tant il est rare que les hommes puissent réunir tous leurs avantages! et si cela arrive á quelques-uns, il n'y a pas de quoi leur porter envie : ils on assez à perdre par la mort, pour mériter d'être plaints.

* Il faut avoir trente ans pour songer à sa fortune; elle n'est pas faite à cinquante : l'on bâtit dans sa vieillesse, et l'on meurt quand on en est aux peintres et aux vitriers.

Quel est le fruit d'une grande fortune, si ce n'est de jouir de la vanité, de l'industrie, du travail et de la dépense de ceux qui sont venus avant nous ; et de travailler nous-mêmes, de planter, de bâtir, d'acquérir pour la postérité ?

* L'on ouvre et l'on étale tous les matins pour tromper son monde ; et l'on ferme le soir après avoir trompé tout le jour.

4. Qu'un sot riche. Le xviue siècle parlera de la finance avec plus de respect: La fortune de finance n'etait guere autrefois qu'une loterie; au lieu qu'elle est devenue un art, une science qui a ses principes et sa methode comme les autres. DUCLOS, Considerations sur les meurs. J'ai cherehe, dit Vauvenargues, s'il n'y avait pas moyen de faire sa fortune sans mérite, et je n'en ai trouvé aucun. » 2. Stupides, imbeciles. Nous renverserions cette gradation.

3. Industrie, dans ce passage et dans plusieurs autres de ce chapitre, signifie nabileté, habileté suspecte.

4. Les y a fait rencontrer. Le hasard seul les y a conduits. Cette construction nest pas très-reguliere. Rencontrer ne veut un complement indirect que lorsqu'il est precede d'un adverbe; et alors it signifie reussir. Le nasard a voulu qu'il ait rencontre son fait. Cet astrologue a bien rencontré dans ses predictions.

5. Pour la posterite. La Foutaine a dit avec moins d'humeur et plus de vraj philosophie, dans le Vieillard et les trois jeunes hommes (x1, 8) :

Mes arrière-neveux me devront cet ombrage etc.

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