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La révocation de l'édit de Nantes, dit encore M. de Noailles, fut «< une grande faute, plus grande toutefois, si l'on se reporte à ce temps« là, par l'exécution que par la pensée. On doit la considérer comme un << acte plus politique encore que religieux, en ce que ce fut le dernier <«< trait, malheureux et regrettable, d'une politique ancienne et constante, << qui tendait depuis longtemps,, par des moyens divers, au rétablisse<< ment de l'unité de culte dans l'Etat. » On voit qu'en reconnaissant trèsformellement la faute, notre historien va s'appliquer surtout à recueillir et à grouper les arguments qu'il jugera propres à excuser ceux qui l'ont commise, et à prouver qu'ils n'ont fait qu'obéir à l'impulsion des circonstances et à la logique des faits antérieurs.

« Un exposé rapide de ce qu'était en France le parti protestant avant «l'édit de Nantes, de la condition qui lui fut faite par cet édit, des changements que cet édit lui-même a subis, des causes éloignées et suc<«<cessives qui ont amené de loin et précipité tout à coup sa révoca<«<tion, est donc nécessaire pour expliquer, sinon pour justifier cette

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« mesure. »

Est-ce donc là, en effet, le meilleur procédé pour bien exposer et résoudre équitablement la difficulté historique que présente la révocation de l'édit de Nantes? En recommençant depuis son origine l'histoire de la réforme, des guerres de religion et de tous les malheurs qu'elles ont causés, en nous montrant «< cette vaste organisation, qui constituait << le parti protestant en manière de république au sein de la monarchie, >> que faites-vous autre chose que de nous rejeter bien loin de la question? Est-ce que, dans un problème historique si compliqué et si difficile, on peut faire abstraction des circonstances actuelles et du moment précis? Des raisons, qui eussent été victorieuses à une époque donnée, ne manqueront-elles pas, à une autre, de force et même de sens? Ne risque-t-onpas de confondre les temps, et d'introduire ainsi dans la question des éléments étrangers, qui l'embrouillent au lieu d'y porter la lumière. Il semble qu'il serait plus conforme à la raison, et en même temps plus efficace pour arriver à la vérité, de prendre la réformation à l'état où elle se trouvait au moment de la révocation, et lorsque ces événements que vous allez évoquer dans le passé étaient tout à fait accomplis et avaient produit toutes leurs conséquences. Il convient de ne pas remonter, dans cette discussion, au delà de Richelieu, dont le génie avait eu à lutter contre la réforme et en avait triomphé, comme de tous les obstacles qui, de son temps, s'opposaient à cette grande unité française qu'il voulait constituer. Il faut l'étudier aussi au milieu des agitations et des révoltes de la fronde, pour la juger sainement à cette époque; en un mot,

il faut examiner quel fut son rôle, en France, depuis la pacification de 1629, jusqu'à la veille de la révocation de l'édit, c'est-à-dire durant l'espace de plus d'un demi-siècle; vous avez alors la réforme telle qu'elle était à l'instant même où une subite agression vint la provoquer et l'irriter. La considération de ce qui a précédé ne peut, nous le répétons, que compliquer et fausser la question. A quoi-bon, par exemple, alléguer les prévoyantes inquiétudes que Henri IV a exprimées sur le danger dont pourrait être un jour, pour Marie de Médicis, le parti des huguenots, si le danger n'existait pas pour Louis XIV? Quelle valeur peut avoir ici un argument si hors de propos1? Pour nous borner à un seul rapprochement, rien de plus aisé que de présenter la réforme menaçante et redoutable, en France, à l'époque du siége de la Rochelle, et rien de plus facile, en même temps, que de démontrer qu'elle était parfaitement inoffensive lors de la révocation de l'édit. Si donc l'on invoquait les choses de 1628 pour apprécier celles de 1685, on argumenterait à faux, et l'on arriverait à une conclusion évidemment erronée. Aussi ne suivrons-nous pas notre historien dans le récit qu'il a cru devoir faire des événements antérieurs à la pacification de 1629, récit capable en soi d'inspirer un vif intérêt, mais qui nous paraît sans application au grand événement dont nous devons nous occuper.

Arrivé à cette époque, M. de Noailles le reconnaît lui-même, «<le "parti politique protestant était vaincu, et sa puissance était détruite. . . <«il ne forma plus, à proprement parler, qu'une secte religieuse, qu'on «pouvait laisser vivre sous cette forme, car ce que l'intérêt de l'État « exigeait se trouvait accompli. » (P. 269, 270.)

C'est après un aveu si sincère à la fois et si concluant que l'historien va s'efforcer de prouver qu'il y eut des raisons suffisantes pour attaquer violemment ce parti vaincu, pour abattre cette puissance détruite, et, lors même que l'intérêt de l'État n'exigeait plus rien, pour satisfaire à une sorte d'opinion publique qui exigeait l'inutile révocation de l'édit.

C'est un fait souvent allégué et entièrement hors de doute, que le sentiment général se montra favorable à la révocation de l'édit de

Cet argument, Richelieu s'en est servi, et à bon droit, dans l'Histoire de la Mère et du Fils (première partie de ses Mémoires, p. 157 et suivantes du t. X de la 2a série de Petitot); il avait à prévenir l'accomplissement de cette prophétie de Henri IV, et il lui importait de montrer ensuite toute la gravité du péril qu'il était parvenu à conjurer. Mais, le péril passé, l'argument n'avait plus de portée, et Richelieu ne s'en serait point prévalu après la paix faite avec les huguenots, en 1629.

Nantes. Ce n'étaient pas seulement les masses, toujours si inintelligentes des questions politiques, c'étaient les classes supérieures elles-mêmes qui conservaient contre la réforme l'antipathie que leur inspiraient les souvenirs du passé et les méfiances sans cesse excitées par les imputations que se renvoient deux cultes rivaux, même quand la lutte a cessé. Mais est-ce donc aux aveugles instincts de la multitude qu'il appartient de régir les nations? Un gouvernement sage doit sans doute tenir compte de l'opinion, même mal éclairée, et, jusqu'à un certain point, des préjugés des masses; est-ce à dire qu'il doive leur obéir servilement? Ce qui distingue un bon gouvernement d'un mauvais, homme supérieur d'un prince vulgaire, c'est que l'un modère et corrige l'opinion qui s'égare, l'autre lui obéit, et se laisse précipiter aux fautes où elle le pousse.

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Nous n'avons pas besoin d'ajouter que nous n'entendons appliquer cette observation au gouvernement de Louis XIV que par rapport au fait particulier dont il s'agit ici. Sans avoir pour ce prince une admiration exclusive, nous le considérons comme un des rois les plus dignes du surnom qu'il porte; et c'est précisément parce que nous le tenons dans cette estime que nous ne lui cherchons aucune excuse, et que nous ne faisons pas difficulté de reconnaître que, dans l'affaire de la révocation de l'édit de Nantes, il a manqué de son habileté et de son coup d'œil ordinaires, et est descendu au niveau d'hommes auxquels il était bien supérieur. Mais cette supériorité, il l'a montrée encore presque aussitôt la faute commise, en la reconnaissant, et en s'efforçant, au moins dans une certaine mesure, de la réparer, tandis que plusieurs de ses ministres y persistaient avec un entêtement de présomption et un aveuglement de zèle qu'on ne saurait trop déplorer.

Bien est-il vrai que, cédant à la mauvaise honte trop habituelle au pouvoir, il n'a pas osé la reconnaître publiquement; mais, en maintenant la révocation de l'édit, et même quelquefois, nous sommes loin de le nier, les mesures les plus iniques, il s'est constamment appliqué à adoucir les rigueurs de cette législation rétroactive, et souvent à en annuler, dans l'exécution, les plus funestes effets, par des dispositions secrètes et des ordres émanés directement de lui-même. Nous le montrerons occupé, durant longues années, de cette tâche réparatrice.

Mais auparavant nous interrogerons deux grands témoins, Richelieu et Mazarin, qui nous diront ce qu'étaient les protestants, en France, dans la dernière moitié du règne de Louis XIII et pendant une partie

de celui de Louis XIV.

Selon M. le duc de Noailles, « le commencement de cette œuvre tant

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critiquée datait de plus loin que Louis XIV..... C'est à partir du car«<dinal de Richelieu qu'on voit commencer la grande réaction catholique du xvir° siècle.» (P. 311.)

C'est une puissante autorité que celle de Richelieu, surtout dans la question qui nous occupe, puisque, grand homme d'État, il était, en même temps, l'un des princes de l'Église catholique. Mais, plus l'autorité de Richelieu est imposante, plus il faut l'invoquer avec précaution1. Richelieu distingua toujours deux choses dans la réforme (on ne saurait trop avoir cette vérité présente à l'esprit quand on appelle ce grand ministre en témoignage): le parti protestant et la religion protestante; sa politique à l'égard des huguenots eut, en conséquence, deux phases complétement diverses. En arrivant au pouvoir, le cardinal trouva le parti protestant sous les armes, et il résolut de le combattre à outrance. Le parti vaincu et désarmé, la pacification faite, son but politique était atteint, et il voulut vivre en bonne intelligence avec la réforme. Sans justifier Richelieu de quelques vexations isolées, de quelques sourdes persécutions, qui n'étaient que trop conformes à son humeur absolue et aux habitudes de son despotisme, l'histoire est en droit d'affirmer qu'il n'a jamais eu la pensée d'une persécution en masse, ni de cette odieuse alternative : la conversion ou l'exil. Loin de là, sa politique envers la réforme fut, en général, d'user de quelques mesures engageantes et de procédés conciliants, soit en obtenant par conviction ou achetant par faveurs et argent, des conversions, soit en cherchant un moyen de réunion pacifique entre les deux communions, projet qui, M. de Noailles l'a rappelé, occupa le cardinal pendant une part de sa vie. Plus il est démontré que les moyens violents en politique n'ont jamais répugné à Richelieu, plus il est remarquable de ne le voir employer auprès des réformés que la tolérance et la persuasion, ou encore les allèchements de l'intérêt personnel. Jamais l'idée de la révocation ne serait entrée dans cet esprit pourtant si ferme et si résolu. Que le cardinal ait vu avec regret quelques-unes des libertés dont les protestants

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Nous avons déjà fait remarquer combien il importe, dans la recherche de la vérité historique, de ne pas confondre les époques; en voici un exemple frappant, pris dans notre sujet même. On se prévaut de l'autorité de Richelieu jusque sur le fait des dragonnades, dont on lui impute l'invention: « les dragonnades mêmes, dit-on ici (p. 315), ne furent pas une invention du temps de Louis XIV... la petite ville « d'Aubenas se convertit tout entière, en 1627, par suite du logement d'un régi«ment qu'on lui envoya. » En 1627, voilà une date qui détruit l'exemple; c'était durant la guerre; il fallait que l'historien citât une dragonnade postérieure à 1629 et à la pacification, pour avoir le droit d'invoquer, sur ce fait capital, l'autorité de Richelieu, et pour que l'argument ne fût pas ici un non-sens.

jouissaient en vertu de l'édit, cela n'est pas douteux; mais l'habile politique a su résister à ces instincts de l'homme d'Église, le ministre dominait le théologien, et l'intérêt de l'État est resté le premier à ses

yeux.

Longtemps même avant d'être ministre, et le jour que, jeune évêque, Richelieu prit possession de son siége épiscopal, sa première parole aux réformés de son diocèse fut une parole de paix; c'est ce qu'il y a de plus remarquable dans la courte harangue qu'il adressa au peuple de Luçon; elle a été conservée manuscrite à la Bibliothèque impériale, dans le fonds de Sorbonne1. Nous retrouvons dans la bouche du cardinal l'expression des mêmes sentiments, lorsque, entrant en vainqueur dans la Rochelle, il disait aux représentants de la bourgeoisie de cette ville domptée: «Messieurs, la conqueste des cœurs estant bien plus excel«<lente que celle des plus fortes places du monde, je fais plus de cas de «l'affection que vous me tesmoignez que de vos bastions et fortifica<«tions que vous avés soumises à la volonté du roy. Je vous suplie de «< croire que je vous donne mon cœur en revanche des vostres, et me << rends habitant de vostre ville pour en affectionner les intérests comme <«< vous-mesmes 2. » Et, remarquez-le bien, c'était à des gens vaincus, mais non pas convertis, que Richelieu parlait ainsi.

Dans un très-curieux mémoire dont nous avons trouvé le manuscrit aux archives des Affaires étrangères 3, et qui est intitulé, Advis donné au roy après la prise de la Rochelle, pour le bien de ses affaires, nous lisons: « Il fault sur toutes choses achever de destruire la rébellion de l'hé« résie. » Expression véritablement digne de ce grand esprit. Richelieu se garde bien de conseiller au roi la destruction de l'hérésie, c'est la révolte seule qu'il veut poursuivre et exterminer. Et, en même temps qu'il s'applique à bien faire comprendre le caractère distinctif de la paix de 1629, «paix que les députez généraulx des huguenots (Richelieu le « répète plusieurs fois avec une intention marquée et un orgueil légitime) avoient acceptée soubz le nom de grâce, » le cardinal s'efforce d'inculquer profondément dans l'esprit des personnages le plus haut placés à la conduite des affaires, aussi bien que des fonctionnaires d'un ordre inférieur, que l'intérêt de l'État est de ne point persécuter ceux

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1On la trouve imprimée dans le premier volume de la Correspondance de Richelieu, p. 15. (Documents inédits de l'histoire de France, in-4°.)—' Idem, t. III, p. 166. France, t. VII. Imprimé dans le troisième volume de la Correspondance de Richelieu, p. 179-213. — Voyez une lettre de Richelieu au prince de Condé, dont la minute est aux Aff. étr. France, t. L, et qui a été imprimée dans la Correspondance que nous venons de citer, t. III, p. 362.

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