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phante; l'une des plus puissantes dynasties impériales, la maison de Souabe, que Frédéric Barberousse rend d'abord si formidable, à laquelle Frédéric II donne tant de lustre, que le fils du premier et le père du second, le farouche et inflexible Henri VI, fait dominer un moment, par la force et par la terreur, de la mer de Sicile jusqu'à la mer du Nord, succombe lugubrement avec le valeureux Manfred, qui périt sur un champ de bataille, et l'infortuné Conradin, dont la tête est tranchée sur un échafaud.

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Des documents nombreux et variés permettent de bien comprendre les péripéties de cette mémorable lutte et de la retracer complétement. Conservés avec soin, ces documents ont été insérés dans les célèbres collections de Muratori1, de Labbe2, de Baronius 3, de Freher, de Goldast, de Menckenius, de Leibnitz, de Pertz, etc. auxquels il faut ajouter la vaste Histoire diplomatique de Frédéric II, récemment publiée en cinq tomes énormes in-4°, par M. Huillard-Bréholles. Les récits multipliés des chroniqueurs de l'Italie et de l'Allemagne, les délibérations des assemblées tenues dans les deux pays, les pièces diverses émanées des papes et des empereurs aident à tout reproduire, et les lettres vives et éloquentes qu'écrivent les principaux acteurs de ce long drame, pour s'attaquer ou pour se défendre, servent à tout animer. Une époque aussi considérable par les événements, et aussi abondante en matériaux, devait tenter les historiens. Elle a été traitée de nos jours avec étendue, d'une manière savante et habile, par M. de Raumer, dans un ouvrage excellent et attrayant, l'Histoire des Hohenstaufen et de leur temps 10. M. de Sismondi en a raconté éloquemment, quoique indirectement, d'une façon je ne dirai pas confuse, mais éparse, les incidents les

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1 Rerum italicarum scriptores præcipui ab anno ære Christ. D ad MD quod potissima pars nunc in lucem prodit, etc. 25 tom. in-fol. recueil auquel il faut ajouter Rerum ab anno Christi M ad MDC, quorum potissima pars primum in lucem prodit (opera Jos. Mar. Tartinii), 2 vol. in-fol. - Sacrosancta concilia, etc. 17 vol. in-fol. contenant les lettres des papes. 3 Annales ecclesiastici. • Germanicarum rerum scriptores aliquot insignes nunc denuo recogniti, additis scriptoribus aliis antea editis, 3 vol. infol. Suevicarum rerum scriptores aliquot vetusti, un vol. in-fol. Rerum alamanicarum scriptores aliquot vetusti, 1 vol. in-fol. Collectio constitutionum imperialium, 4 vol. in-fol. Scriptores rerum germanicarum præcipue saxonicarum, 3 vol. in-fol. 'Scriptores rerum brunswicensium, 3 vol in-fol. 8 Monumenta Germanic historica ab anno Christi 500 usque ad annum 1500, 15 vol. in-fol. — Historia diplo matica Friderici secundi, sive constitutiones, privilegia, mandata, instrumenta quæ supersunt istius imperatoris et filiorum ejus. Accedunt epistolæ paparum et documenta varia, 5 vol. in-4°, dont tous, excepté le troisième, sont en deux parties, ayant paru de 1853 à 1859.-10 Geschichte der Hohenstaufen und ihrer Zeit. Troisième édition, Leipzig, 1857, 6 vol. in-8°.

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plus remarquables dans sa belle Histoire des républiques italiennes, où l'investigateur est si instruit, le narrateur si entraînant, le juge toujours si honnête, bien que prévenu quelquefois.

M. de Cherrier a abordé à son tour ce grand sujet, qu'il a voulu présenter dans son ensemble, avec un savoir solide mais discret, en y déployant une constante équité, qui rend l'historien très-impartial, et en y gardant une réserve qui tempère quelquefois ses récits sans affaiblir ses jugements. L'ouvrage de M. de Cherrier, publié pour la première fois en 1836, et dont une édition nouvelle et plus complète a été récemment imprimée, n'est pas l'histoire des Hohenstaufen, particulièrement prise du point de vue allemand comme dans M. de Raumer, ni l'histoire de leurs tentatives de domination en deçà des Alpes, présentée surtout au point de vue italien, comme dans M. de Sismondi. M. de Cherrier s'est proposé de retracer la lutte du sacerdoce et de l'empire sous les princes de la maison de Souabe, de remonter à ses causes et d'en exposer les effets. L'histoire de cette lutte est comprise dans trois grands volumes in-8°, que précède une introduction assez étendue, où en sont signalées les causes, et que termine une conclusion où l'auteur en développe et en apprécie les effets. M. de Cherrier suit ainsi les destinées de la papauté jusqu'à la réforme de Luther; il fait connaître sommairement le sort de l'Italie jusqu'à l'époque de son invasion nouvelle par les grandes puissances militaires du continent, au commencement du xvi° siècle; enfin il indique, en traits rapides, la marche de l'empire d'Allemagne, jusqu'à sa suppression en 1805, après mille ans d'existence depuis son rétablissement en 800.

Comme on le voit par le titre qu'il a donné à son ouvrage, M. de Cherrier a entrepris de raconter, en la jugeant, la longue lutte de l'empire et de la papauté au xi1o et au XIII° siècle. Ce conflit du pouvoir religieux et du pouvoir militaire, entre l'intelligence morale représentée par les pontifes de Rome et la force dominatrice possédée par les Césars d'Allemagne, qui continua sous les princes de la maison de Souabe en prenant une forme nouvelle, avait éclaté déjà, avec des caractères un peu différents, sous les princes de la maison de Franconie. M. de Cherrier, tout en l'exposant dans des récits savants et sobres, courts mais pleins, depuis la despotique prétention de Frédéric Barberousse, jusqu'à la touchante catastrophe de son arrière-petit-fils Conradin, est remonté aux grandes controverses antérieures des deux pouvoirs dont il fait connaître la nature, montre les développements, expose les rapports réciproques, met en présence les ambitions opposées. Cette lutte, soutenue avec des vicissitudes nombreuses et pour des

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objets divers, était inévitable. M. de Cherrier le laisse entrevoir. Il donne les raisons qui, vu l'état de l'empire et de la papauté, dans la situation respective de l'Italie et de l'Allemagne, avec les prétentions mutuelles des empereurs à maîtriser l'Italie, des papes à diriger l'Allemagne et même à dominer le monde, dont ils devinrent, pendant quelque temps, comme les souverains universels, conduisirent aux débats acharnés et tragiques qui sont le sujet de son histoire.

Allons d'abord, avec M. de Cherrier, à l'origine de la lutte, voyons quelles en furent les causes, sur quel théâtre elle se poursuivit et par quels acteurs. Comment l'autorité purement spirituelle et entièrement désarmée de la papauté parvint-elle à s'élever au-dessus de l'autorité de l'empire, dont elle avait dépendu si longtemps? Comment le successeur du chef de l'apostolat chrétien, dont la puissance ainsi que la mission n'avait qu'un caractère religieux, affecta-t-il la domination universelle, commanda non-seulement à l'Église mais à l'État, exerça sur les princes de la terre une suprématie qu'il sut faire reconnaître, soumit à sa juridiction les souverainetés temporelles, donna et ôta les couronnes, s'attribua la confirmation des empereurs, comme les empereurs s'étaient réservé longtemps la confirmation des papes? Il n'est pas difficile de saisir le moment où commença, pour les évêques assis sur la chaire de saint Pierre, dans la ville de Rome, ce pouvoir exorbitant, et d'expliquer les causes diverses et naturelles qui l'établirent et le développèrent. Ce fut une révolution lentement accomplie à travers les siècles. La marche en fut souvent interrompue. Mais, de Grégoire II à Grégoire VII, dans l'espace de trois cent soixante années, on peut en suivre les phases variées et rétablir les échelons inégaux par lesquels la papauté monta à ce haut degré de puissance et atteignit cette extraordinaire grandeur.

En histoire, tout ce qui s'accomplit s'explique, et tout ce qui prévaut a sa raison d'être. Les évêques étaient, vers la fin de l'antiquité, à la tête de la société religieuse, qui les élisait et dans laquelle ils exerçaient de certains pouvoirs. Ils devinrent même, dans la décadence de l'empire et l'affaiblissement de l'ordre social ancien, de vrais magistrats civils et les défenseurs légaux des villes. Les empereurs avaient grand intérêt à intervenir dans la délégation qui était faite aux évêques d'une semblable autorité, et ils n'y manquèrent pas. Lorsque le siége de l'un d'entre eux était vacant, ils autorisaient l'élection et confirmaient la nomination de son successeur. Cette intervention de l'empereur dans le choix des évêques, qu'il permettait avant qu'il se fìt, et qu'il ratifiait une fois fait, devait être considérée comme plus nécessaire encore dans la

désignation élective du pape. Occupant la chaire du prince des apôtres, le pape était alors le chef reconnu de l'épiscopat, et, siégeant dans la capitale du monde romain, il pouvait ajouter à l'autorité de sa primatie religieuse celle de sa résidence politique. Aussi la confirmation des papes par les empereurs continua-t-elle jusque vers l'époque où l'Italie centrale se détacha, par une insurrection que suscita l'édit de Léon l'Isaurien contre les images, de l'empire d'Orient, auquel elle était restée soumise depuis la conquête que les généraux byzantins', Bélisaire et Narsès, en avaient faite sur les barbares qui s'y étaient établis après la chute de l'empire d'Occident. Cette confirmation, que les rois ostrogoths avaient maintenue pendant qu'ils étaient les maîtres de la Péninsule, se donnait à Constantinople par les empereurs, après que l'acte régulier de l'élection avait été transmis aux exarques de Ravenne, leurs délégués en Italie1. Dans le vir siècle, les papes entreprirent de diriger la société chrétienne comme successeurs du prince des apôtres, et furent placés à la tête de la république romaine comme magistrats élus de la ville éternelle. Ils s'attribuèrent des droits très-grands, à ces divers titres, et ils agirent tout à la fois en régulateurs de l'ordre moral et en dispensateurs de la suprême autorité. Ils conférèrent à Pépin, fondateur de la dynastie carlovingienne, le pouvoir royal dont fut dépouillé le dernier prince de la dynastie mérovingienne, et, cinquante ans après, ils rétablirent l'empire d'Occident en faveur de son puissant et glorieux fils Charlemagne. Sous ce grand monarque, la papauté, qui, à la suite des défaites et de la ruine des Longobards, avait reçu de lui et de son père Pépin un vaste territoire 2, pont elle eut plus encore la possession que le gouvernement, redevint, à certains égards, subordonnée, tout en étant, à certains autres, souveraine. Le pape promit fidélité au nouvel empereur, et sa juridiction sur le territoire qui lui avait été concédé ou restitué par Pépin et par Charlemagne releva de la juridiction impériale 3:

'Les formules et les actes s'en trouvent dans le Liber Diurnus Romanorum pontificum ex antiquissimo codice ms. nunc primum in lucem editus opera et studio Joannis Garneri, etc. Parisiis in-4°. MDCLXXX. (Voir notamment le chap. 11, tit. I, III et IV, p. 9, 14, 15, 16, 22, 23.) — « Pippinus rex iterum cum exercitu Italiam intravit, et Haistulfum in Papia civitate se includentem obsedit et obsidione ad impletionem promissionum suarum compulit, redditamque sibi Ravennam et Pentapolim et omnem exarchatum ad Ravennam pertinentem ad Sanctum Petrum tradidit. (Annales Eginhardi, ann. 756, apud Duchesne, t. II, v. 235.) ..... Finis tamen hujus belli fuit subacta Italia, et rex Desiderius perpetuo exsilio deportatus, «et filius ejus, Adalgisus, Italia pulsus, et res a Longobardorum regibus ereptæ, Adriano romanæ Ecclesiæ rectori restituta. (Vita Caroli Magni per Eginhardum scripta, ibid. p. 95-96.) - ' Voir Epist. Hadriani papæ ad Carolum Magnum,

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Comme l'établit très-bien M. de Cherrier, la coutume des confirmations reprit, et les empereurs francs rendirent valables les élections des papes en les approuvant, ainsi que l'avaient fait les empereurs byzantins et les rois ostrogoths. Le droit de confirmation, admis comme loi, bien que suspendu quelquefois dans son exercice, passa des empereurs francs aux empereurs allemands. Ceux-ci même le poussèrent dans certains moments plus loin, de l'aveu des papes et avec leur assentiment. Ils n'approuvèrent pas seulement leur choix, ils les nommèrent. Othon le Grand, de la maison de Saxe, et Henri III, de la maison de Franconie, désignèrent ainsi plusieurs des papes qui, dans ces temps troublés et irréguliers, montèrent le plus dignement sur la chaire pontificale et y siégèrent le mieux. Mais cette désignation directe fut exceptionnelle et passagère, tandis que la confirmation resta la règle à peu près constante jusqu'au dernier quart du x1° siècle, où la papauté s'en affranchit complétement.

Chose singulière, en même temps que la papauté était soumise à la confirmation des empereurs, les empereurs dépendaient de la papauté pour leur couronnement et leur consécration. Les papes avaient rétabli l'empire et le donnaient. Ils le donnaient à Rome, dans la basilique pontificale de Latran, au nom du clergé et du peuple romain, dont ils se faisaient les délégués et les représentants. Or, qui donne peut s'arroger le droit d'ôter. C'est ce que les souverains pontifes firent avec une entreprenante résolution, lorsqu'ils furent en position de le tenter et qu'ils se crurent le moyen de l'accomplir. Grégoire VII commença. Il considéra la déposition comme conséquence de l'élévation. Il fit la théorie du pouvoir nouveau qu'il attribua à la papauté, et il passa luimême à l'application. Si l'usage de conférer la couronne aux empereurs, dans la ville et au nom du peuple de Rome, suggéra plus tard la pensée de les en déposséder, on peut dire que ce fut uniquement sur leur autorité comme souverains pontifes et comme successeurs de l'apôtre saint Pierre que les papes firent reposer ce droit, du xr° siècle au commencement du XIV. Depuis Grégoire VII, qui l'établit, jusqu'à Boniface VIII, qui la ruina, la théorie en vertu de laquelle les papes s'arrogeaient la faculté de donner les couronnes et de les ôter prévalut,

apud Labbe, Concil. t. VI, p. 1773; Epist. Leon. HI, ad Carol. Magn. apud Script. rer. francic. tom. V, p. 602; Epist. Leon. IV apud Yvon, p. 4, et Gratiani decretum, pars prima, dist. X, cap. ix; Epist. Caroli Magni ad Hadr. pap. apud Baluzium, t. I, p. 271; le testament de Charlemagne, dans lequel Rome et Ravenne sont comprises parmi les métropoles de ses États. (Ibid. Capit. Carol. Magn. t. 1, p. 487.)

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