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Madhyamikas et les Yogâtchâryas1. D'ailleurs, ces quatre écoles principales se subdivisent elles-mêmes en plusieurs autres de moindre importance, qui sont séparées par les nuances de doctrine les plus légères.

A quelle époque remontent ces écoles? et les auteurs tibétains nous fournissent-ils, à cet égard, quelques renseignements certains? C'est ce que nous ne pouvons guère conjecturer d'après l'analyse que nous donne M. W. Wassilieff; et ce serait cependant un point qui vaudrait bien la peine d'être éclairci. Ces quatre écoles fondamentales du Petit et du Grand Véhicule nous étaient déjà connues par le Dictionnaire tibétain de Csoma de Körös, qui au mot Lta (doctrine, système), les énumère et en résume les doctrines2. C'est donc une opinion bien arrêtée chez les Tibétains, et le nombre de ces écoles paraît fixé d'une manière incontestable. Mais on peut remonter beaucoup plus haut que l'autorité des deux lamas cités par M. W. Wassilieff; et les quatre écoles sont déja désignées par le nom qui est propre à chacune dans le commentaire de Yaçomitra sur l'Abhidharmakoça de Vasoubandhou. L'époque de Yaçomitra n'est pas bien connue; mais, d'après les détails contenus dans son ouvrage, on ne peut pas le placer plus haut que le vr° siècle de notre ère, ni le faire descendre plus bas que le xo. D'ailleurs les documents sur lesquels il travaille sont beaucoup plus anciens, et les quatre écoles remontent sans doute au temps de Vasoubandhou lui-même, qui vivait vers l'époque où Nâgârdjouna fondait le Grand Véhicule et écrivait la Pradjnâpâramitâ3.

En résumé, l'ouvrage de M. W. Wassilieff atteste une science rare et

M. W. Wassilieff, Le bouddhisme, etc. p. 289 et suiv. Les dix-huit écoles du Petit Véhicule sont souvent confondues sous le nom général de Vaibhâshikas, la Vibhâshâ étant le livre sur lequel toutes s'appuient pour en tirer des conclusions diverses. Târanâtha, l'auteur tibétain, atteste que, dès le temps de Vasoubandhou, c'est-à-dire un siècle avant l'ère chrétienne, un grand nombre des dix-huit écoles du Petit Véhicule étaient déjà éteintes. Voir M. W. Wassilieff, Le bouddhisme, etc. page 85. Voir Eug. Burnouf, Introduction à l'histoire du bouddhisme indien, page 445. Csoma n'indique pas lui-même à quelles sources il a puisé ces détails curieux; mais il est à croire qu'ils les aura empruntés aux mêmes autorités que les deux lamas. D'ailleurs ces écoles se sont effacées avec la suite des temps, et elles ont été remplacées par quatre autres, qui vivent encore au Népal, comme nous l'apprend M. Hodgson, Asiatic Researches, tome XVI, page 423. Voir Eug. Burnouf, Introduction à l'histoire du bouddhisme indien, p. 563 et 564. Burnouf a fait grand usage de l'ouvrage de Yaçomitra, et il en a tiré une foule de renseignements précieux; ce serait certainement un grand profit pour les études bouddhiques de traduire ce volumineux commentaire de l'Abhidharmakoça. Parfois Yaçomitra, auteur de ce commentaire, est appelé Vasoumitra; et l'on voit que ces deux noms si rapprochés peuvent aisément se confondre; mais ce second

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un travail considérable; mais, tout en ouvrant quelques points de vue nouveaux, il est douteux qu'il ajoute beaucoup à la somme des connaissances que l'on possède déjà sur toutes ces matières. On doit convenir, d'ailleurs, qu'elles sont très-difficiles, et que c'est une entreprise bien ingrate que de donner, dès à présent, une idée abrégée et un peu claire de la métaphysique du bouddhisme. Cette métaphysique est tellement éloignée de notre manière habituelle de voir, qu'elle ne nous offre presque aucune prise, et qu'on se perd en vains efforts à vouloir embrasser ces nuages qui échappent toujours. Du moins, quand on est en face des monuments eux-mêmes, la lutte est possible et elle peut aboutir; mais, quand on n'en a qu'une analyse, quelque fidèle qu'elle soit d'ailleurs, on se sent sur un sol trop peu ferme, et l'on ne sait comment asseoir son jugement. Aussi croyons-nous que les autres ouvrages annoncés par M. W. Wassilieff auront une utilité que celui-ci ne pouvait pas avoir au même degré. Nous attachons surtout une grande importance au Mahavyoutpatti, dont nous avons parlé plus haut, et au commentaire qui doit l'accompagner et le faire comprendre. Le Mahavyoutpatti répondait, pour le temps et pour les lecteurs à qui il était destiné, à un besoin tout à fait analogue à celui que nous ressentons nous-mêmes. La doctrine primitivement exprimée en sanscrit s'était peu à peu obscurcie, et, en passant par plusieurs traductions successives de trois ou quatre langues, elle avait dû subir bien des altérations, ou, du moins, le sens s'en était bien effacé. C'était un excellent moyen de le faire revivre que d'établir une concordance entre les différents idiomes, et de suivre avec exactitude l'explication du mot sanscrit, soit en tibétain, soit en chinois, soit en mongol. Ces rapprochements, si nécessaires pour ceux qui les ont entrepris, ne le paraissent pas moins pour nous; et les commentaires dont les entourera la science de M. W. Wassilieff achèveront de les mettre tout à fait à notre portée et de les réduire à notre usage. Nous nous croyons d'autant plus autorisé à presser la publication de cette œuvre si utile, qu'elle paraît achevée; et c'est ainsi que M.W.Wassilieff a pu se citer lui-même à plusieurs reprises. L'Académie de Saint-Pétersbourg, qui a encouragé et soutenu ses premiers pas, ne manquera pas de lui continuer son appui, et c'est un vœu que nous nous permettons d'exprimer ici avec la juste espérance qu'il sera entendu. BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

Vasoumitra ne devrait pas s'identifier avec celui dont nous avons parlé plus haut, et dont M. W. Wassilieff a traduit le traité sur la division des écoles du Petit Véhicule.

DE LA PHILOSophie de Descartes.

TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

Spinoza était né à Amsterdam en 1632 et il est mort à la Haye en 1677. Ses parents 2 étaient des marchands à leur aise, membres d'une petite colonie de juifs portugais, qui avaient fui leur pays natal pour échapper à l'inquisition, et étaient venus chercher la liberté et le repos sous les lois protectrices de la nouvelle république, elle-même récemment affranchie du joug espagnol.

Spinoza ne put connaître personnellement Descartes, ayant à peine dix-huit ans lorsque celui-ci quitta la Hollande. Élevé avec un très-grand soin, et doué d'une rare pénétration, it fit promptement de grands progrès dans les lettres hébraïques et dans tout ce qui en dépendait. Puis, un peu plus tard, pour se perfectionner dans la langue latine, il prit des leçons d'un maître assez fameux d'Amsterdam, nommé Van den Ende, qui exerçait la profession de médecin en même temps qu'il tenait école. On prétend que Van den Ende enseignait à ses élèves autre chose que le latin, et qu'il déposait secrètement dans leur esprit les semences de l'athéisme. Cet homme remuant et audacieux quitta, quelques années après, la Hollande, pour se jeter en France dans des conspirations ténébreuses qui le menèrent sur l'échafaud du chevalier de Rohan'. Il avait une fille instruite et aimable, qui plut au jeune Spinoza; il la rechercha, mais il dut se retirer devant un rival plus riche3. Ce premier pas malheureux dans les voies ordinaires du monde fut aussi le dernier blessé dans sa première et unique affection, le cœur de Spinoza se replia sur lui-même et demeura solitaire. Pendant plusieurs années, la théologie hébraïque l'occupa tout entier, et il s'enfonça dans la Bible et dans le Talmud, sous la conduite d'un savant rabbin, nommé

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1 Voyez, pour le premier article, le cahier de décembre 1860, page 721, et, pour le deuxième article, le cahier de janvier 1861. Voyez la Vie de B. de Spinoza, tirée des écrits de ce fameux philosophe et du témoignage de plusieurs personnes qui l'ont connu particulièrement, par Jean Colerus, ministre de l'école luthérienne de la Haye, 1706. On peut lire encore, mais sans s'y fier toujours, l'article très-passionné de Bayle dans son Dictionnaire, ainsi que la Vie de Spinoza, par un de ses disciples (Hambourg, 1735), écrit attribué au médecin Lucas, de la Haye. Colerus, p. 7. Ibid. p. 11-13. (Voyez les Mémoires de Lafare.) Ibid. p. 8-10.- La Vie de Spinoza, par un de ses disciples, p. 4.

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Morteira. Mais peu à peu il conçut des doutes qui se développèrent rapidement; il les laissa paraître, et cessa de fréquenter la synagogue, ce qui ne pouvait manquer de scandaliser la petite communauté; on s'émut, et, comme Spinoza avait déjà une assez grande réputation de savoir, on le ménagea; et, pour le garder, on lui offrit une assez bonne pension sans lui demander autre chose que de venir de temps en temps à la synagogue1. C'est à peu près vers ce temps, après avoir abandonné la théologie pour la physique, et lorsqu'il cherchait un guide en cette nouvelle étude, que les œuvres de Descartes lui tombèrent entre les mains. Il les lut avec avidité; et, charmé de la maxime qu'on ne doit jamais rien recevoir pour véritable qui ne repose sur de bonnes et solides raisons, il en tira cette conséquence qu'il fallait rejeter la doctrine des rabbins, puisqu'ils prétendent, sans aucun fondement, que ce qu'ils enseignent vient de Dieu. Il repoussa donc la pension de mille florins que les rabbins lui offraient, en protestant que, lui eussent-ils offert dix fois autant, il ne l'accepterait point et ne fréquenterait pas leurs assemblées, parce qu'il n'était pas hypocrite et ne recherchait que la vérité 2. Descartes, à la place de Spinoza, eût assurément refusé aussi une pension, signe et récompense d'une foi qui n'eût pas été dans son cœur; mais, en même temps, une philosophie plus mûre et plus haute lui eût fait considérer comme une grande faute de blesser sans nécessité des croyances dignes de respect, et, sans zèle affecté comme sans dédain bien peu philosophique, il eût paru quelquefois à la synagogue et prié Dieu avec les frères que le sort lui avait donnés.

S'étant donc séparé avec éclat de la communauté juive d'Amsterdam, il ne faut pas trop s'étonner que Spinoza ait été excommunié ; il en prit aisément son parti, et, ses liens une fois rompus avec la communauté religieuse à laquelle il appartenait naturellement, il n'en reprit avec aucune des innombrables sectes qui abondaient alors en Hollande. Il vécut libre de tout engagement public et domestique, sans emploi, sans famille, n'ayant de commerce qu'avec un très-petit nombre d'amis d'un esprit aussi élevé que le sien, gagnant sa vie à l'aide d'un modeste métier dans lequel il excellait, celui de faiseur de verres de lunettes; pauvre, mais content, doux et fier, ne s'inquiétant guère de l'opinion des hommes, et profondément attaché à la doctrine qui de bonne heure s'était emparée de son esprit. On voit par sa correspondance avec Oldenburg, secrétaire de la Société royale de Londres, qu'il était en pleine possession de cette doctrine vers l'année 1660 et 1661, à peu près à l'âge

1 Colerus, p. 17 et 18.2 Ibid. p. 14.

de trente ans. Il paraît même qu'il avait déjà composé une ébauche de l'Éthique, car il en communique à Oldenburg les propositions fondamentales, entre autres la définition de la substance et de ses principaux caractères, à savoir qu'elle est nécessairement infinie, qu'elle n'a pu être créée, qu'elle est unique, etc.1 Bien loin de se donner pour un cartésien, il déclare à Oldenburg que Descartes s'est trompé sur trois points essentiels : la nature de la cause première, la nature de l'intelligence, la cause de l'erreur 2.

d'une

Gependant, en 1663, parut à Amsterdam son premier ouvrage, apparence fort cartésienne: Renati Descartes Principiorum philosophie pars I et II more geometrico demonstrate, per Benedictum de Spinoza Amstelodamensem. Accesserunt ejusdem cogitata metaphysica in quibus difficiliores, quæ tam in parte metaphysices generali quam speciali occurrunt, quæstiones breviter explicantur. Amstelodami, in-4°, 1663. Voici l'origine et l'explication de cet ouvrage. Enseignant la physique à un jeune homme d'Amsterdam, Spinoza avait pris pour texte de ses leçons les Principes de philosophie, qu'il mit, pour son élève, sous la forme de démonstrations géométriques, et il avait ainsi dicté quelques cahiers sur les deux premières parties des Principes. Les ayant montrés à un de ses amis, Louis Meyer, celui-ci le pressa de les lui laisser publier. Spinoza y consentit, mais sous l'expresse condition qu'on dirait nettement dans la préface que les opinions exposées n'étaient pas les siennes, et que, sur plusieurs points importants, il pensait le contraire de ce qu'il avait l'air de professer; il exigea même qu'on donnât plusieurs exemples de cette dissidence, qu'il tenait beaucoup à voir hautement établie3. En effet, Meyer,

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1 L'édition la plus accréditée de Spinoza est celle de Paulus, Benedicti de Spinoza opera quæ supersunt omnia, etc. 2 vol. Iéna, 1802 et 1803. Réponse de Spinoza à une lettre d'Oldenburg, d'août 1661, t. I, p. 451 : « De Deo incipiam breviter dicere, quem definio esse ens constans infinitis attributis quorum unumquodque « est infinitum, sive summe perfectum in suo genere... In rerum natura non pos« sunt existere duæ substantiæ..... Substantiam non posse produci... Omnis sub«stantia debet esse infinita. Quibus demonstratis, facile poteris videre quo tendam.» - Ibid. p. 452 et 453. C'est ce que Spinoza lui-même raconte à Oldenburg, ibid. p. 479: «Quidam me amici rogarunt ut sibi copiam facerem cujusdam trac«tatus secundam partem Principiorum Cartesii more geometrico demonstratam et «præcipua quæ in metaphysicis tractantur breviter continentis, quem ego cuidam juveni, quem meas opiniones aperte docere nolebam, ante hoc dictaveram. Deinde rogarunt ut quam primum possem primam etiam partem eadem methodo consignarem. Ego, ne amicis adversarer, statim me ad eam conficiendam accinxi, eamque intra duas hebdomadas confeci atque amicis tradidi, qui tandem me rogarunt ut sibi illa omnia edere liceret ; quod facile impetrare potuerunt, hac quidem lege ut eorum aliquis..... præfatiunculam adderet in qua lectores moneret

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