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<«<raine n'était pas un des partisans du duc du Maine; c'est elle enfin qui, << du fond de cette même retraite de Saint-Cyr, a fomenté sans relâche «<les partis et les conspirations contre le régent 1. »

On se figure difficilement que de pareilles imputations aient pu rencontrer autre chose que le mépris. Cependant la position de la princesse palatine à la cour de Louis XIV, et plus encore peut-être cette triste curiosité de la nature humaine, d'autant plus excitée que les révélations sont plus scandaleuses, ont donné crédit à la calomnie, et l'on a plus d'une fois invoqué le témoignage de la princesse palatine, sinon à raison de quelque fait particulier, au moins, ce qui est bien plus perfide et plus dangereux, pour justifier l'impression générale qu'on a voulu donner du caractère et de l'influence de madame de Maintenon.

Ce serait assurément peine perdue de prendre une à une toutes les accusations de la Palatine pour les réfuter; elle-même s'est chargée d'une réfutation plus éclatante et plus directe que tous les arguments qu'on pourrait imaginer. Voici, par exemple, ce qu'elle écrivait à cette personne digne de tant de haine et de mépris :

a

« Ce merdredy, 15 de juin 1701, à onse heure du matin.

«Si je n'avois eüe la fièvre et de grandes vapeurs, madame, du triste << employ que j'eust avant-hier, d'ouvrir les cassettes de Monsieur, touttes « parfumées des plus violentes senteurs, vous oriés eüe plustost de mes <«< nouvelles; mais je ne puis me tenir de vous marquer à quel point je << suis touchée des grâces que le roy a fait hier à mon fils, et de la <«< manière qu'il en eusse pour luy et pour moy: comme ce sont des «suittes de vos bons conseils, madame, trouvés bon que je vous en << marque ma sensibilité, et que je vous assure que je vous tienderés « très-inviolablement l'amitié que je vous ay promisse, et je vous prie «de me continuer vos conseils et advis et de ne jamais doutter de ma <«< reconoissance, qui ne peust finir qu'avec ma vie. »

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Dans une autre circonstance, la princesse palatine lui envoyait une lettre qu'elle avait reçue de la reine d'Espagne, et la priait de montrer cette missive au roi, ainsi que la réponse qu'elle y avait faite; elle finissait ainsi sa lettre :

'Histoire de madame de Maintenon, t. III, p. 291.

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«Ayés la bonté de me marquer la volonté du roy; je serés tousjours

<< ravie de les aprendre par vous, madame, pour qui je me sens asteure <<< une véritable amitié fondée sur une grande estime1. »

Et encore:

« Il faut aussy, madame, que je vous dise la joie que j'ay eue d'une « nouvelle bonté que le roy m'a tesmoignée, de trouver bon que je «<l'aie vu hier et avant-hier dans son cabinet après souper. Comme << touttes ses bontés me viennent de vous, en ce que vous m'avés rap«prochée du roy, je vous prie de croire que je n'en reçois aucune <«< marque que ma reconoissance pour vous n'augmente dans mon cœur, « et je vous assure que mon amitié pour vous va égaler bientost l'es<< time qui vous est due. »

Deux de ces lettres, provenant des archives de la maison de Noailles, sont conservées à la bibliothèque du Louvre 2; rien ne saurait être plus authentique. On peut ajouter foi également à ce que rapporte le mémorial de Saint-Cyr, cité par notre historien: «La princesse palatine « vint, en grand habit, visiter à Saint-Cyr madame de Maintenon après «la mort du roi, et dit: Je viens mêler mes larmes avec celles de la personne que le roi, que je regrette, a le plus aimée. Et elle ajoutait, disent «ces dames Madame de Maintenon est un ange par la manière dont elle « a usé de sa fortune, et celle dont elle a parlé au roi dans les derniers mo«ments, aussi bien que par son désintéressement. »

:

Maintenant que signifient, après de tels aveux, après des paroles publiquement prononcées, ces ténébreuses calomnies que chaque jour la belle-sœur de Louis XIV écrivait, dans le secret de son cabinet, à ses amies d'Allemagne, et qu'on a depuis imprimées et traduites? Que signifie le témoignage d'une femme qui, en même temps qu'elle proteste ainsi de son estime et de sa reconnaissance, continue, dans sa correspondance intime, ses odieuses diffamations; qui, au moment même de la mort de cette personne, dont elle se reconnaît l'obligée, exhale encore contre elle l'expression d'une haine non moins irréconciliable qu'injurieuse? Elle commence une lettre du 18 avril par je ne sais quel conte d'une dame de Ponikau, en Saxe, lequel conte finit par ces paroles de la dame de Ponikau : « Dieu merci, nous voilà sauvées <«< d'un grand embarras; la vieille g..... est morte.» — « Il en est de

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L'autographe est daté : « Ce samedy matin à 11 heure et demie. (Sans année.) - F. 328, grand in-4°, f 94 et 95. Nous conservons l'orthographe de la Palatine; ce n'est pas, selon nous, une recherche puérile que cette imitation fidèle; il nous semble que la pièce citée en reçoit un degré de certitude de plus et un air d'authenticité qui lui manquerait sans cela.

«< même ici aujourd'hui (ajoute la Palatine), la vieille g..... est crevée " à Saint-Cyr samedi passé 15 avril entre 4 et 5 h. du soir1. »

Saint-Simon, venu après la princesse palatine, et qui n'avait connu madame de Maintenon que dans sa vieillesse, ne pouvait avoir appris que par ouï-dire une grande partie des choses qu'il a racontées; mais enfin il était aussi de la cour, et cette circonstance, jointe à la séduction de son style, l'ont fait accepter longtemps comme un des témoins les plus dignes de confiance. On sait aujourd'hui avec quelle précaution il faut chercher la vérité parmi ses récits animés d'une verve inépuisable, et aussi de passions suspectes.

Comme la princesse palatine, il avait ses préventions contre madame de Maintenon, et elles l'ont souvent aveuglé, car nous ne voulons pas l'accuser d'avoir déguisé la vérité sciemment et de parti pris. En ce qui concerne cette dame, M. de Noailles le trouve sans cesse en faute, et sur les choses les plus indifférentes comme sur les plus graves. L'historien oppose victorieusement à la plupart des assertions de l'auteur des Mémoires les plus incontestables témoignages. Il lui arrive aussi d'opposer Saint-Simon à lui-même; car, soit que l'auteur des Mémoires s'oublie, soit qu'il obéisse forcément à l'impulsion de la vérité, il lui échappe parfois, au sujet de madame de Maintenon, certains passages compromettants pour sa méchanceté habituelle.

Le meilleur moyen de défendre madame de Maintenon contre les injures dont on l'a poursuivie, c'est de la montrer au milieu de cette cour, non pas seulement environnée des hommages extérieurs que les convenances exigeaient et que personne n'aurait osé refuser à celle qui touchait de si près au roi, mais dans ces relations particulières de confiance intime, que le roi ne pouvait pas prescrire, et qu'elle seule inspirait.

M. de Noailles s'est attaché à établir par les incidents qu'il raconte, par les lettres qu'il cite, que tous les princes et les princesses de la famille royale, à commencer par le grand Dauphin, s'adressaient à elle pour en obtenir des conseils, de bons offices dans leurs affaires, une intervention amie dans leurs différends, et rendaient ainsi un hommage libre et sincère autant à ses sentiments de bienveillance, je dirais presque de parenté, qu'à sa haute position.

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Et un peu après, le 6 mai: « Pour nous (dit la Palatine), il eût suffi qu'elle « eût crevé il y a vingt ans; mais, pour l'honneur du feu roi, cela eût dû arriver depuis trente-cinq ans, car elle a, je crois, épousé le roi deux ans après la mort « de la reine. On voit que la Palatine, malgré sa haine passionnée, ne met nullement en doute le mariage.

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Un événement qui n'arriva que plus tard, mais que nous notons ici parce qu'il s'y présente dans l'ordre des pensées qui nous occupent, et parce que, mieux que bien d'autres, il constate presque officiellement la position de madame de Maintenon au milieu de la famille royale, ce fut le mariage de sa nièce, mademoiselle d'Aubigné.

« A l'occasion de ce mariage, dit M. le duc de Noailles, l'existence « qu'avait madame de Maintenon se manifesta d'une manière très-mar«quée. Toute la famille royale, toute la cour accourut chez elle, et les << hommages publics rendus à sa personne furent une reconnaissance « tacite de la place qu'elle occupait. »

Ce fut, en effet, un mariage véritablement princier, et c'est à SaintSimon que M. de Noailles en emprunte le récit. Quelques traits suffiront pour en donner une idée :

«La déclaration s'en fit, dit-il, le mardi 11 mars. Le lendemain, « madame de Maintenon se mit sur son lit au sortir de table, et les << portes furent ouvertes aux compliments de toute la cour. Madame la << duchesse de Bourgogne, tout habillée, y passa toute la journée, te<<nant mademoiselle d'Aubigné auprès d'elle, et faisant les honneurs, « comme une particulière chez une autre. On peut juger si personne « s'en dispensa, à commencer par Monseigneur. On y accourut de << Paris, et Monsieur, qui y étoit, vint exprès. Le mardi, dernier mars, ils « furent fiancés le soir à la chapelle, madame la duchesse de Bourgogne << et toute la cour aux tribunes, et la noce en bas. Tout ce qui en étoit <<< avoit vu le roi chez madame de Maintenon avant son souper..... « L'après-dîner du lendemain, madame de Maintenon, sur son lit, et la " comtesse d'Ayen sur un autre, dans une autre pièce joignante, re<< çurent encore toute la cour. On s'y portoit, tant la foule у étoit « grande, mais la foule du plus distingué..... Le roi donna la che<< mise au comte d'Ayen, et madame la duchesse de Bourgogne à la <«< mariée..... Le roi tira lui-même leur rideau1. >>

Qu'aurait-on fait de plus s'il se fût agi de la propre nièce de Louis XIV2?

1 Saint-Simon, t. II, P. 114. ⚫ Une circonstance qu'il est juste de ne pas laisser inaperçue, c'est qu'en mariant la nièce de madame de Maintenon, Louis XIV voulut qu'il fut consigné dans l'acte qu'il dotait la jeune épouse parce que le désintéressement de madame de Maintenon l'avait laissée dans une situation de fortune qui ne lui permettait pas de la doter convenablement elle-même : « Sa Majesté «voulant... suppléer, par ses libéralités en faveur de ladite damoiselle future épouse, à ce que ladite dame sa tante feroit elle-même, si le trop de désintéressement dont elle a toujours fait profession ne la mettait pas hors d'état, peu de biens, d'en faire à d'autres.» (Histoire de madame de Maintenon, t. IV, p. 611.)

par son

Avant même d'avoir raconté ces pompes nuptiales, M. de Noailles terminait ainsi son deuxième chapitre : La famille royale et madame de Maintenon1:

"

« Nous en avons dit assez pour que, sans entrer dans de nouveaux « détails, chacun se représente avec vérité madame de Maintenon ainsi << établie au milieu de cette famille royale, vivant modeste et retirée, << mais y ayant une importance qui ne fit que s'accroître; dévouée avant «< tout au roi et à ses convenances 2; beaucoup plus occupée de Saint<< Cyr que de la cour et de la politique; mais consultée et influente, « principalement en ce qui concernait les princes et princesses, leur éta«<blissement, le choix des personnes à placer auprès d'eux, et mêlée à «< tous leurs intérêts, à toutes leurs affaires, à leurs difficultés, leurs pré<< tentions, leurs désirs; se trouvant fréquemment par là leur intermé« diaire, donnant de sages avis, cherchant à faire régner la concorde, <«< la piété et la vertu; exerçant une sorte de droit de conseil et de sur«<veillance, dont elle usait avec un tact délicat qui ne passait jamais la «mesure; et, par tout cet ensemble, fort comptée et traitée avec une « déférence qu'inspiraient son âge, sa situation, le besoin qu'on avait « d'elle, et les services qu'elle pouvait rendre. On peut répéter plus «< que jamais ce que madame de Sévigné disait d'elle au commencement «de sa faveur: «La place de madame de Maintenon est admirable. Il n'y en a jamais eu, il n'y en aura jamais de pareille. »>

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Et pourtant sa position ne fit que s'accroître encore. Non moins considérable à l'étranger qu'à la cour de France, madame de Maintenon voyait les souverains la traiter presque d'égale, demander ses bonnes grâces et son amitié, solliciter sa bienveillante protection auprès du roi et son honorable appui. Ce sont les propres termes de plusieurs lettres que cite notre historien, et adressées à madame de Maintenon par le prince électeur de Cologne, par le duc de Lorraine, par la reine mère de ce duc: « Madame, écrivait cette dernière, le 22 novembre 1697, je ne «puis faire passer à Paris le comte de Couvonges, grand chambellan «de mon fils, sans le charger de l'estime toute particulière que j'ai pour << vous, et sans vous demander en même temps votre amitié pour ce «jeune prince. J'espère de votre honnêteté que vous voudrez bien la

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Chap. I du tome III, p. 474. M. de Noailles insiste et revient sur cette idée, qui caractérise très-bien le rôle de madame de Maintenon dans sa grande fortune. Il dit un peu plus loin : « Madame de Maintenon participait peu à cetle a vie active et tout extérieure; elle ne vivait pas pour la cour, mais pour le roi, qui la voyait surtout chez elle. Cependant cette réserve et cette vie retirée n'ôtaient rien à l'importance de sa situation. » (T. III, p. 515.)

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