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de l'Ermitage, sont dessinés avec une grande exactitude à la fin du volume de planches. L'or et les couleurs sont reproduits. Personne n'hésitera à admirer la beauté du travail, la richesse de la décoration, et à reconnaître que les Grecs, dans cette application de l'art, comme dans toutes les autres, ont été des maîtres incomparables. Le cercueil qui est copié à la planche LXXXI est remarquable, et par ses sculptures, et par sa délicate ornementation. Il figure un entableinent ionique avec des panneaux encadrés et sculptés comme les métopes d'une frise. Chaque panneau est bordé de rangs de perles, et contient alternativement ou une figure en bas-relief, ou des rinceaux et des palmettes arrangés de façon à faire un motif complet. Au-dessus de la frise, une corniche magnifique est formée de trois rangs successifs d'oves, de perles, et d'oves de proportion plus grande. Puis, comme pour imiter une toiture, trois étages de caissons verts et rouges sont superposés. Enfin, des palmettes et des denticules décorent la corniche supérieure; l'or et le rouge y sont encore visibles. Des dispositions aussi élégantes sont surpassées encore par la finesse d'exécution, et je ne saurais mieux comparer un tel travail qu'aux détails d'architecture du temple de Minerve Poliade à Athènes. De tous les panneaux à figures, deux seuls sont restés. Ils représentent Junon et Apollon tenant une branche de laurier. Quant à la métope ornée de rinceaux, elle a une ampleur, une magnificence, et tout à la fois une simplicité, que n'égale aucune des sculptures sur bois de la Renaissance. Une feuille d'or avait été appliquée au pinceau sur tous ces reliefs.

Au contraire, le cercueil qui enfermait le corps de la reine du KoulOba était resté lisse, et on l'avait couvert de peintures. Ces peintures, faites avec une certaine hâte et une grande aisance de main, sont en partie effacées, en partie entamées, parce que le bord des planches est rongé. Cependant on distingue encore des quadriges, des femmes et des jeunes gens qui courent, et les éditeurs des Antiquités du Bosphore ont eu peut-être raison de penser à l'enlèvement des filles de Leucippe par les Dioscures. D'autres cercueils trouvés dans des tombeaux moins riches offrent des sujets moins intéressants et d'un travail moins louable. Mais ce qui me semble surtout digne d'admiration, ce sont les débris d'une lyre en bois de buis, sur lequel sont gravées les compositions les plus nobles, du style attique le plus pur. Le bois n'a qu'une ligne d'épaisseur; sa forme un peu cintrée, des volutes qui pouvaient terminer chaque bras de l'instrument, ont fait supposer que ces fragments devaient provenir d'une lyre enterrée avec le mort. Les deux morceaux qui sont le mieux conservés représentent un jeune homme dans un quadrige, et

les trois déesses comparaissant devant Pâris. Le dessin est d'une grâce et d'une élégance exquise; il rappelle ces beaux lecythi d'Athènes, à fond blanc, sur lesquels des sujets plus simples encore sont tracés en traits divins. Mais, si pur que soit le style, il ne remonte pas plus haut que le siècle d'Alexandre, en allant jusqu'au début du siècle, quand Scopas et Praxitèle sont les chefs de l'école attique.

On voit par ce rapide résumé quels trésors contiennent les tombeaux de la Crimée. Le gouvernement russe a le droit d'être fier de ses découvertes, car elles sont le fruit d'une persévérance opiniâtre et de sacrifices qu'on ne saurait assez louer. Le luxe avec lequel toutes ces antiquités ont été publiées est un titre de plus à la reconnaissance du monde savant. Mais nous ne finirons point cette analyse sans payer un juste hommage à la mémoire de l'émigré français qui, le premier, a entrepris des fouilles à ses frais. Paul Dubrux, dès 1816, donnait au gouvernement russe un exemple dont il lui doit être tenu compte dans l'histoire de la science. Plus tard, lorsque des ressources plus considérables étaient mises à sa disposition, Dubrux rédigeait des rapports qui montrent qu'il ne cherchait pas seulement des bijoux et des matières précieuses, mais qu'il se proposait un but plus élevé. Ainsi le nom français sera associé à toutes les découvertes archéologiques de ce siècle, que ce soit en Égypte, en Afrique, en Grèce, en haute Asie, en Syrie ou en Crimée. La tâche des Russes n'est pas pour cela moins belle: ce qu'ils ont fait nous répond de ce qu'ils feront encore.

BEULÉ.

HISTOIRE DE MADAME DE MAINTENON ET DES PRINCIPAUX ÉVÉNEments du règnE DE LOUIS XIV, par M. le duc de Noailles. Paris, Comptoir des imprimeurs-unis, 4 vol. in-8°, 1848-1858.

QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

Le troisième et le quatrième volume de l'histoire de madame de Maintenon renferment un espace de douze années, de 1686 à 1697;

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Voyez, pour le premier article, le Journal des Savants, cahier d'août 1860, pour le deuxième et le troisième article, les cahiers de février et de mars 1861.

ce n'est plus le temps où la fortune n'avait pour Louis XIV que des faveurs, ce n'est pas encore celui de ses revers. Pour madame de Maintenon, c'est l'époque voisine encore de son avénement à cette royauté voilée que personne n'a vue, mais dont nul n'a douté; de cette royauté sans sceptre et sans couronne, mais environnée, sinon en public, au moins dans le sanctuaire de la demeure royale, de tous les respects qu'on doit au rang suprême, car, sans s'être jamais assise sur le trône de Louis XIV, elle participait à sa majesté et possédait auprès de lui et au sein de sa famille une place que personne, avant elle, n'avait occupée 1.

«Madame de Maintenon, dit M. de Noailles, était en pleine possession de sa destinée; elle avait conquis, ou plutôt la fortune avait conquis pour elle, cette élévation singulière, si enviée de ses contemporains et si souvent calomniée par la postérité. Son rôle acquit par la suite plus de poids encore et plus d'autorité; mais déjà, dans la période que nous racontons, elle y avait l'attitude et y portait le caractère qu'elle conservera toujours. »

Ce sont ces calomnies de la postérité, aussi bien que celles des contemporains, contre lesquelles l'historien va défendre madame de Maintenon en expliquant les faits, en invoquant les témoignages, en mettant la calomnie en présence d'elle-même et tirant de ses propres aveux des démentis qui la confondent.

Tous ceux qui ont lu les écrits publiés contre madame de Maintenon l'auront remarqué sans doute, c'est précisément dans cette même cour, où tant d'hommages et une espèce de culte de famille l'environnaient, qu'elle a rencontré les plus ardentes invectives; c'est de cette cour que sont parties les attaques dont elle a été le plus profondément blessée. L'historien trace le tableau de la famille de Louis XIV au moment où madame de Maintenon y vint prendre une place dont il est plus

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1 Sans jamais parler de sa position, madame de Maintenon ne laissait pas échapper les occasions de la marquer nettement. «C'est une loi que jamais personne ne peut être mis sur le lit de la reine que le roi, quand même il s'agiroit de la vie la plus précieuse et de tout ce qu'il y a de plus grand après le roi, comme vous allez voir. Madame la duchesse de Bourgogne se trouva très-mal chez madame de Main<< tenon, on n'avoit pas le temps de la porter chez elle; madame de Maintenon ar«rangea des carreaux sur un sofa pour qu'on ne la mît pas sur son lit, et elle ne a fut pas mise sur ce lit. » Cette anecdote est racontée, sous la date de 1697, par le marquis d'Argenson; il était encore enfant alors, mais il la tenait d'une dame de la cour de Louis XIV. (Manuscrits de d'Argenson, Biblioth. du Louvre. Voy. le tome I, p. 13, des Mémoires que publie M. Rathery pour la société de l'histoire de France.)

facile de sentir l'importance que de définir les conditions. Dans cette royale famille, l'un des personnages les plus considérables était Élisabeth-Charlotte de Bavière, fille de l'électeur palatin du Rhin et seconde femme de Monsieur.

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Cette princesse, que Saint-Simon représente « boudant souvent la compagnie, s'en faisant craindre par son humeur dure et farouche1, « était, dit-il ailleurs2, une princesse de l'ancien temps, attachée à l'hon«neur, à la vertu, au rang, à la grandeur, inexorable sur les bienséances... grossière, dangereuse à faire des sorties publiques, fort allemande dans << toutes ses mœurs..... elle aimait les chiens et les chevaux, passionné«ment la chasse et les spectacles, n'était jamais qu'en grand habit ou << en perruque d'homme et en habit de cheval. » Et ailleurs encore 3 : «Madame tenait en tout beaucoup plus de l'homme que de la femme; <«< elle était forte, courageuse, allemande au dernier point, franche, <<< droite, bonne et bienfaisante, noble et grande en toutes ses manières, << et petite au dernier point sur tout ce qui regardait ce qui lui était dû... << la figure et le rustre d'un Suisse; capable avec cela d'une amitié tendre «<et inviolable. >>

On comprend quel fâcheux effet dut produire cette sauvagerie allemande, cette rusticité de mauvais goût, cette humeur maussade et blessante, dans une cour où, depuis si longtemps, on était accoutumé aux grâces, à l'esprit, aux manières élégantes et polies, à la dignité des princesses italiennes ou espagnoles.

Louis XIV, pourtant, avec cette politesse qui lui était naturelle, avait tenté d'abord de l'apprivoiser, et s'était trouvé enfin obligé de cesser des avances que la princesse semblait prendre à tâche de décourager. La cour aussi finit par la laisser dans la solitude qu'elle cherchait. Alors, au lieu de mettre cet abandon sur le compte de son humeur et de ses procédés étranges, la Palatine l'imputa au mauvais vouloir de personnes dont elle se prétendait haïe, parce qu'elle les haïssait. Et madame de Maintenon, qu'elle nomme toujours la vieille ou la guenipe, quand il ne lui vient pas d'expression plus mortifiante et plus injurieuse, était au premier rang dans ses antipathies.

«On n'en finirait pas, dit M. le duc de Noailles, si on voulait énu<< mérer toutes les raisons graduelles et insensibles qui ont amené l'espèce « de déraison finale dont Madame est saisie toutes les fois qu'elle parle <« de madame de Maintenon, car il n'est pas de termes qu'elle n'emploie

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« à son égard; elle tombe même, à son sujet, dans tout ce que peuvent <«< imaginer, aux jours de folie, les plus grossières crédulités populaires. « Ainsi elle n'hésite pas à qualifier sa piété de pure hypocrisie, à l'accu<< ser d'avoir donné des maîtresses1 à M. le Dauphin, afin de le dominer << par elles; d'avoir fait tuer madame la Dauphine par son accoucheur; <«< d'avoir porté à la débauche la jeune duchesse de Bourgogne2, d'avoir «< caché au roi la famine de 1709 et d'avoir accaparé tout le blé par « spéculation pour s'enrichir; enfin de n'avoir jamais songé qu'à son ambition et à ses plaisirs. Quant aux affaires publiques, elle la représente <«< constamment comme l'unique cause de tout le mal qui s'est fait et de << tous les malheurs qui sont arrivés. Ainsi, c'est elle qui a empoisonné « Louvois, et même, sans qu'on devine pourquoi, l'architecte Mansart. « C'est elle qui, toute seule, avec le père de La Chaise, a été l'auteur « de la révocation de l'édit de Nantes et de la persécution des protes<«<tants; c'est elle qui fit mettre le feu au château de Lunéville, incendié <«<en 1719, alors que madame de Maintenon était retirée à Saint-Cyr, après la mort du roi, et cela uniquement parce que le duc de Lor

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'Et la princesse palatine les nomme : « d'abord la Rambures, puis La Force.» (Lettre de Madame, du 24 mars, éd. Busoni, p. 8o. Voy. la même édit. p. 52, 70, 75, etc.) - Le marquis d'Argenson, qui avait vingt-cinq ans lorsque mourut madame de Maintenon, et qui, par conséquent, vivait dans une société où se trouvaient grand nombre des personnes qui, pendant longtemps, avaient pu la connaître, a laissé dans le Journal que nous citions tout à l'heure une des plus calomnieuses et des plus absurdes accusations portées contre elle. « Ce sera quelque jour, dit-il, une grande question parmi les historiens minutistes de savoir si Louis XIV étoit amant aussi bien que mari de madame de Maintenon, ou si c'étoit simplement une «bonne amie qui cherchoit à lui complaire en tout et qui n'auroit établi la com«munauté de Saint-Cyr que dans la vue d'en faire un harem où le roi choisissoit, selon sa fantaisie, les plus jolies pensionnaires. Madame de *** m'a dit qu'elle «ne doutoit pas que cela se passât ainsi.» (Manuscrit du Louvre.) Le récent éditeur des Mémoires de d'Argenson fait observer avec une trop facile indulgence, selon nous, que cette manière de juger madame de Maintenon et son établissement de Saint-Cyr se sent un peu de la jeunesse de l'auteur; et il ajoute que, plus tard, d'Argenson s'est fait le défenseur de cette dame, dans ses Remarques en lisant, n° 2141 et 2482. Les lecteurs d'aujourd'hui, dit d'Argenson, trop portés au « scandale, ont cru y trouver une hypocrite; pour moi, je la trouve fort raisonnable « et religieuse. Elle retira le roi de l'état de scandale, et se joignit à lui par le mariage... Enfin nous composerions bien pour ne voir jamais à la cour d'autre reine, ni d'autre favorite que faites comme celle-ci.» (Manuscrits de la Bibliothèque du Louvre, tome 45.) D'Argenson ne rappelle ni ne rétracte une calomnieuse imputation dont peut-être il n'avait plus le souvenir; mais il est évident que c'est ici le résumé des a véritable opinion, de son opinion étudiée et mûrie sur la veuve de Louis XIV.

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