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les Romains, Stratos faisait partie de l'Étolie. Notre auteur y a reconnu l'emplacement de l'ancienne agora, les vestiges d'un temple d'ordre dorique, et il n'a pas vú sans quelque étonnement les restes d'un théâtre au milieu de tout un appareil de constructions militaires. Probablement, d'après la remarque judicieuse de l'auteur, cet édifice ne date que du temps des successeurs d'Alexandre, alors « qu'un certain goût commun de culture intellectuelle » commença à se répandre indifféremment parmi toutes les tribus helléniques. La race de la Grèce méridionale et la race du nord, séparées encore au temps de Pisistrate, se confondirent par l'effet de leurs rapports continuels; les arts et les mœurs d'Athènes pénétrèrent jusqu'en Acarnanie, et, à la longue, s'y mêlèrent aux habitudes d'une vie simple, rude et guerrière.

Après avoir décrit, avec un soin scrupuleux, les villes antiques du Valtos, M. Heuzey, dans le cinquième chapitre (p. 346-370), fait connaître celles du Xéroméros. Ce sont Médéon (Medewv), Aëtos, cité florissante à l'époque byzantine, Phatia (Porteiα), Coronta (τà Kópovτα). La position de Médéon avait été déjà déterminée par le colonel Leake; mais, à quatre kilomètres plus loin, notre voyageur découvrit les restes d'une ville dont le nom ne nous est pas donné par l'histoire, et à laquelle l'éloignement où ses vestiges sont les uns des autres, assigne une étendue considérable. On y voit une espèce de portique dont la façade offre un développement de soixante et dix pas, avec une rangée de chambres ou de cellules, et une porte dont l'arcade est formée, comme à Limnæa, de deux pierres échancrées en quart de cercle. Notre voyageur est disposé à voir dans cet édifice singulier une sorte de dépôt public, peut-être un arsenal, où l'on tenait enfermées et rangées des armes et des munitions de guerre; c'était ce que les Grecs appelaient une λ.

La plus grande partie du Xéroméros manque de sources; ce nom même veut dire le pays sec. Le sol cependant n'est pas aride, mais il ne tient pas l'eau; celle qui y est versée par l'humidité de l'atmosphère, par les brouillards et les pluies, au lieu de donner naissance à des fontaines jaillissantes, pénètre dans la pierre sablonneuse, s'y perd profondément, et se réunit en courants souterrains qui ne paraissent à la surface de la terre que quand ils trouvent un bassin creux et un sol plus ferme. Ils forment alors une multitude de mares qui servent à abreuver les troupeaux; ils alimentent même deux lacs qui séparent la partie orientale du Xéroméros de ce que les écrivains grecs appellent

qu'on ne traduise super par au delà, car Stratos est assez loin du golfe dont il s'agit.

la mésogée de l'Acarnanic. L'un de ces lacs, connu aujourd'hui sous le nom du petit Ozéros, de forme arrondie, se trouve dans la plaine de l'est, à peu de distance de la rive droite de l'Achélous. L'autre, le grand Ozéros, resserré au fond d'une vallée longue et sinueuse, est comparé par notre auteur à une rivière belle et navigable «< qui aurait suspendu son cours, indécise si elle doit se jeter au nord dans le golfe d'Ambracie, ou couler au midi vers le fleuve. » On ne connaît pas le nom que portaient jadis ces deux nappes d'eau; il paraît même que les auteurs anciens qui nous sont parvenus en ignoraient l'existence. Xénophon, il est vrai, en rendant compte d'une expédition d'Agésilas contre les Acarnaniens, raconte que ceux-ci avaient réuni sur les bords d'un lac presque tous leurs troupeaux, qui devinrent la proie du roi spartiate. Mais M. Heuzey prouve (p. 357) que ce lac, qu'entourait un cercle de montagnes 1, ne peut être ni le grand Ozéros, ni, comme le supposait le colonel Leake, le marais que l'on rencontre au nord-est de Katouna; il ne peut pas être non plus le petit Ozéros, situé dans une plaine ouverte et versant ses eaux dans le grand fleuve voisin; c'est donc plutôt dans les montagnes entre Aétos et Komboti, où, selon notre auteur, il faudrait chercher le lac près duquel Agésilas s'empara des troupeaux des Acarnanicns. Dans les questions de géographie ancienne, où il faut souvent suppléer par des conjectures à la disette ou à l'imperfection des documents, toutes les personnes qui cultivent ce genre d'études conviendront que, si la sagacité judicieuse du critique ne parvient pas toujours à fixer avec une rigueur mathématique la véritable position des lieux ou à expliquer clairement les narrations des historiens, c'est que ces narrations et ces données sont elles-mêmes incomplètes et quelquefois contradictoires.

Les trois derniers chapitres de l'ouvrage sont consacrés à la description de l'Acarnanie occidentale, depuis le golfe ambracique jusqu'à l'embouchure de l'Achélous. Cette importante partie du travail de M. Heuzey nous fournira la matière d'un troisième et dernier article, où nous aurons de nouvelles occasions de rendre justice au zèle infatigable de l'auteur, à la variété de ses studieuses explorations, et surtout à la saine critique avec laquelle il a su examiner, comparer et apprécier les nombreuses ruines qu'il a décrites.

(La fin à un prochain cahier.)

HASE.

Xenoph. Hellen. IV, vi, § 8 : Καὶ ἦν μὲν ἡ ἔξοδος ἐκ τοῦ περὶ τὴν λίμνην λειμῶνός τε καὶ πεδίου στενὴ διὰ τὰ κύκλῳ περιέχοντα όρη.

ANTIQUITÉS DU BOSPHORE CIMMÉRIEN conservées au musée de l'Ermitage. 3 vol. in-fol. Saint-Pétersbourg, 1854.

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DEUXIÈME ET DERNIER ARTICLE 1.

S II. Inscriptions et monnaies.

Lorsqu'on veut s'éclairer sur l'âge et le style des objets d'art que l'on découvre dans les tombeaux, il est naturel d'attacher une importance particulière aux inscriptions et aux monnaies qui se retrouvent en même temps. Ce ne sont pas seulement des documents positifs, officiels, irrécusables, ce sont des documents qui portent avec eux leur date rien n'est par conséquent plus propre à guider les archéologues dans leurs inductions. Les monuments épigraphiques qu'on a recueillis à Kertch et dans les environs ne remontent pas au delà du siècle d'Alexandre et concordent, par leurs synchronismes, avec les témoignages de l'histoire, lorsque l'histoire fait mention du Bosphore cimmérien. Le plus ancien, par exemple, est un fragment du décret honorifique 2 par lequel les Arcadiens témoignaient leur reconnaissance à Leucon, qui régna de l'an 393 avant Jésus-Christ à l'an 353, mais sans porter le titre de roi. Une série de piédestaux qui portaient jadis des statues de Soos, d'Apollon, de Diane d'Ephèse, de Vénus céleste, avaient été érigés sous Pairisadès, fils de Leucon, qui régna de l'an 349 à l'an 310. Les inscriptions, qui attestent la consécration des statues, offrent ce détail curieux que Pairisadès y est désigné comme archonte du Bosphore et comme roi des peuples barbares qui entourent les cités grecques. Le nombre de ces peuples augmente sur chaque inscription, parce que, dans l'intervalle, le roi avait étendu son empire. Ainsi nous voyons d'abord une phrase générale où il est dit qu'il gouverna tout le pays entre les confins des Taures et le Caucase3. Ensuite il est archonte du Bosphore et de Théodosie, roi des Sindes et de tous les Maïtes. Bientôt il sera roi des Sindes, de tous les Maïtes et des Thates 5; plus tard, roi des Sindes, des Maïtes, des Thates et des Doskhes. Il n'est pas encore roi des Doskhes, quand la reine Comosarye, sa femme, élève un mo

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Voir, pour le premier article, le Journal des Savants, cahier d'octobre 1861. Böckh, C. I. G. n° 2103°. Ibid. 2104. — Ibid. 2118. — Ibid. 21.19. — Böhne, Revue archéologique, t. X, p. 501.

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nument au Dieu Sanergès et à Astara 1. On verra d'autres consécrations faites sous le règne de Spartocus, fils d'Eumèle 2, qui fut archonte et roi de 304 à 284, ou de Pairisades, fils de Spartocus3.

De Spartocus, les textes épigraphiques sautent à Cotys, le premier de ce nom, dont les monnaies datées sont de l'an 53 à l'an 69 de l'ère chrétienne. Le roi Sauromate, chef des prêtres Augustes, nous apprend à son tour qu'il a relevé les portiques écroulés qui environnaient le temple de Vénus Apatourias 5. Un autre Sauromate, le quatrième du nom, selon le système de Köhler, porte les prénoms de Tibère Jules ®, qui seront aussi ceux du roi Rhescuporis et du roi Teiranès, dont les monnaies sont datées de l'an 276, 277, 278 et 279 après JésusChrist. Je ne m'attache qu'aux inscriptions qui sont propres à fixer nos idées sur la valeur chronologique des monuments. Je ne puis m'arrêter aux particularités curieuses que souvent elles contiennent; toutefois, je signalerai en passant une inscription qui prouve que les Juifs étaient déjà établis à Kertch l'an 81 de l'ère chrétienne, et qu'ils étaient assez nombreux pour y fonder une synagogue. Quant aux textes, qui sont d'une époque plus rapprochée de nous et vont jusqu'à la domination byzantine, ils ne peuvent concerner l'histoire de l'art grec.

Ce coup d'œil rapide sur l'ensemble des inscriptions découvertes en Crimée suffit pour constater qu'elles se rapportent à deux époques différentes, qui furent également prospères, l'une qui correspond aux règnes de Philippe, d'Alexandre et de ses successeurs, l'autre qui correspond à l'établissement de l'empire romain. Les empereurs furent favorables aux rois du Bosphore, et leur accordèrent des priviléges qui contribuèrent singulièrement au bonheur de ce pays. Il semble donc que l'art a dû trouver, surtout à ces deux époques, la richesse et les matières précieuses qui lui étaient nécessaires.

Si l'on examine à leur tour les médailles qui ont été recueillies dans les tombeaux et autour des tombeaux, on remarque que deux médailles seulement sont de la belle époque de l'art grec; l'une est même d'une merveilleuse rareté, car on croit qu'elle est unique. Elle représente, d'un côté, la tête du dieu Pan, couronné de lierre, de l'autre, un griffon sur un épi, tenant dans son bec un fer de lance. Un spécimen différent offre la tête de Pan vue de trois quarts, et rappelle aussi le style

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1 Köhler, Monument de la reine Komosarye. - Böckh, C. I. G. 2120.- 'Græfe, Bulletin historique philologique de l'Académie impériale des sciences, Saint-Pétersbourg, 1805, t. I, p. 91. Böckh, C. I. G. n°2108". — Id. ibid. 2125.- *Id. ibid. 2124. -' Id. Archäologische zeitung, 1847, n. 58. Id. ibid, p. 60.- Id. C. I. G.

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n° 2114.

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grec le plus pur. Mais, dès que l'on passe aux monnaies des siècles suivants, dès que l'on compare celles du roi Leucon ou du roi Eumèle, on est étonné de la négligence avec laquelle elles sont exécutées et de la médiocrité de leurs types. Combien nous sommes loin de ces beaux statères d'or si variés, si larges de style ou si finis, si dignes d'être recherchés par toutes les cités grecques, et que l'on frappait à Cyzique. Il semble que les artistes monétaires les plus habiles n'aient pas dépassé cette limite, tandis que des artistes d'un ordre inférieur consentaient plus facilement à se fixer chez les Barbares du Pont-Euxin. Dans le premier siècle qui suivit la fondation de Panticapée (4° année de la 59° olympiade) la colonie tenait à sa métropole, qui était Milet, par des liens qui se relâchèrent dans la suite. L'affaiblissement et la dépendance des villes de l'Ionie, les luttes acharnées d'Athènes et de Sparte, la conquête d'Alexandre, tout dut détacher peu à peu Panticapée de la société grecque à laquelle elle devait naissance; elle se transforma en ville mixte, où l'élément barbare s'unissait à l'élément hellénique. Le commerce y conduisait toujours de nombreux bâtiments; mais, de même qu'aujourd'hui Odessa, Panticapée était plutôt un riche entrepôt qu'un centre propre à attirer la civilisation et les arts. Les historiens nous disent que la population était composée de Scythes autant que de Grecs. Les inscriptions nous montrent en effet ce singulier exemple de souverains qui ne sont rois qu'aux yeux des indigènes et ne gouvernent les colons grecs qu'à titre d'archontes. Même après des siècles de fusion, on sera surpris, si l'on parcourt attentivement les inscriptions, du nombre de noms barbares que portent encore les citoyens de Panticapée, preuve de leur origine. De sorte que, s'il est vrai que Spartocus et les premiers Archianactides aient payé un tribu aux peuplades scythiques voisines, cela n'empêcha pas leurs successeurs d'attirer sous leur domination ces peuplades, ainsi que les inscriptions que je citais tout à l'heure en font foi. Ce n'est pas tout: les Scythes vinrent individuellement s'établir à Panticapée et y obtenir le droit de s'y mêler aux Grecs, c'est-à-dire le droit de cité. Sans supposer qu'Anacharsis ait été un modèle pour ses compatriotes, la garde scythe qui faisait la police d'Athènes nous atteste que les Barbares n'avaient aucune répugnance à se mêler aux Grecs et à se mettre à leur service. Si donc une population mixte se forma à Panticapée et dans d'autres colonies, si les Scythes subissaient volontiers l'influence de la civilisation grecque, il n'est pas sans vraisemblance que l'esprit et l'art grec ont dû ressentir à leur tour quelque contre-coup de cette assimilation barbare; surtout lorsqu'il est naturel de supposer les Grecs devaient être les plus riches de la ville et les maîtres du

que

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