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« avoit à la porte Cauchoise draps où estoient les armes de France et d'Angleterre... Et sur la seconde porte estoit ung drap qui couvroit depuis hault sur la tarrache jusques à la bée de la porte; et là estoient figurées deux grandes bestes nommées antelopes, et avoient deux <«< cornes, une couronne et une caine au col; et auprès d'eulx estoient <«< ou deux lions ou deux liepars, je ne soy le quel; et entre les piés << estoient les armes de la ville et autres armes que je ne cognois..... Et puis y avoit, à la porte Machaire, angres qui enchensoient; et à la << porte du Grand-Pont ung autre mistere, je ne soy le quel, car je ne «<le vy point pour la foulle des gens... Et avoit devant l'ensengne de l'estrief, à Saint-Pierre-l'Honnouré, ung chastel figuré, et avoit une se«raine qui peignoit ses cheveulx, et se miroit et getoit vin et lait, et « auprès d'elle deux petites seraines. Et estoit cela très-bien fait; et le <«< regarda le roi; et cousterent ces mirelifiques et fatras beaucoup d'ar"gent, et fu à despens de la ville. »

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Au temps où P. Cochon écrivait, c'est-à-dire à la fin du xiv° siècle et au commencement du xvo, la vieille langue d'oil était en décomposition, et, par conséquent, en décadence. Les formes anciennes et les formes nouvelles se confondaient, sans que celui qui s'en servait sût au juste quel était le bon emploi. Ainsi, dans un passage cité plus haut, P. Cochon se sert également de neige et de noix; neige, qui est le mot qui durera; noix, qui est le mot primitif, formé du latin nix, et qui va disparaître. Dans les textes de ces temps, on voit, pour donner un exemple qui résume tout, l'écrivain employer également li hom et l'homme, et ne plus savoir lequel vaut le mieux suivant la place et la syntaxe.

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P. Cochon se sert du verbe jupper pour dire faire un grand cri, un cri de tumulte, de résistance. « Si advint que aucuns qui presens estoient << en la dicte court, jupperent; car, à ce jour et à celle heure, estoient <«< en la dicte court, de gens de dehors plus de 300, qui tous s'assem<< bloient entour les dits sergens. » Jupper est encore usité dans le haut Maine on juppe quelqu'un pour le faire bourder, c'est-à-dire pour qu'il s'arrête. Et, à propos de ces deux mots, qui aujourd'hui sont du patois, et dont l'un au moins n'en était pas au xv° siècle, l'auteur du Vocabulaire du haut Maine rapporte cette plaisante anecdote: «Un jeune gentil<«< homme manceau, nommé depuis peu de temps page de la reine Marie<< Antoinette, accompagnait la voiture de S. M. Cette princesse le char«gea de galoper après un seigneur qui l'avait saluée en la croisant, et qui s'éloignait à toute bride. A son retour, le page essoufflé ne put « dire autre chose que : Madame, je l'ai juppé, je l'ai voalé, il n'a ja« mais voulu bourder. Que dit-il? demanda la reine. >>

Dans un vers que cite M. Vallet de Viriville, cette louange-ci est donnée au roi Charles V:

Mout par estoit sages et preulx (p. 360).

Une note explique ainsi ce vers: «par, paris, en français pair, sei«gneur: c'était un seigneur très-sage et très-vaillant. » La locution n'a pas été comprise. Par est la préposition latine per, qui, se joignant aux adjectifs, leur donnait un sens superlatif : permagnus, très-grand. La langue d'oïl en usait de la même façon, avec cette facilité de plus qu'elle pouvait séparer cette préposition, comme dans le vers cité plus haut, de son adjectif. Par se construisait de la même façon avec les verbes; et c'est une construction de ce genre qu'il faut voir dans ce passage: <«< Onques n'en veist on si malvese (année) de biens ne de fruitages, « nois, pommes, poires, prunes, cherises, et de tous autres choses, avec « les mutations des monnoies qui pardestricèt (sic) tout (p. 443). » Je pense qu'il y a ici une faute d'impression; mais, quoi qu'il en soit, il faut lire qui pardestruirent, c'est-à-dire détruisirent complétement.

Α propos du dégel qui suivit un grand froid, le chroniqueur dit : «Et « fu enchu la vegille de la Candeleur que la glace fut demoni (p. 279). » Ce que M. Vallet de Viriville traduit par : « Et il arriva la veille de la << Chandeleur que la glace fondit. » Il n'est pas douteux que tel est le sens. Mais comment demoni peut-il signifier fondue? Je n'ai aucune explication à donner de ce mot, sans doute altéré dans le manuscrit, et je ne le cite ici que pour appeler l'attention de ceux qui, rencontrant, en des textes anciens, des descriptions de débâcles, trouveraient moyen de le restituer.

Le sire de Savoisy fut banni du royaume. «Il estoit riche, dit P. Co<«< chon, et prist sa finance et s'en alla à Marcellez (Marseille) au roy «Loys, et là en quarante jours fist faire deux gallées, et le roy Loys lui << bailla des gens de sa terre et ses clippe en mer. Et d'aventure trouve<<< rent navire de Sarrasins, si en ourent victoire, et guennerent très« grant avoir (p. 368). » Je ne rapporte ce passage que pour les mots : et ses clippe en mer. Ils sont mal lus, ou, pour mieux dire, mal coupés; il faut écrire et s'esclippe en mer. Escliper, avec le sens de mettre en mer, faire voile, est dans Du Cange, au mot esquipare, et n'est, d'ailleurs, qu'une forme altérée d'esquiper, qui, comme on sait, vient de ship, navire.

M. Vallet de Viriville a trouvé, sur un folio de ses manuscrits, une espèce de ballade en l'honneur de Du Guesclin, et il la cite à cause de

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la facture et des sentiments qui y respirent; et, pour le même motif, je la cite après lui:

L'escu d'azur à un esgle de sable

A deux testes et un rouge baston
Portoit le preux, le noble connestable
Qui de Bertran Guesclin portoit le nom.

A Brom fut né le chevalier breton
Courageux, hardiz et orguelliex comme une tor,
Qui tant servi de loyal cuer et bon
L'escu d'azur à trois fleurs de lis d'or.

Ore il est mort, Dieu li fache pardon;
Pleüst à Dieu qu'il vesquit encor
Pour aller venger vers le lieupart felon
L'escu d'azur à trois fleurs de lis d'or.

Les passages imprimés en caractères italiques ne peuvent rester tels qu'ils sont; car, évidemment, l'auteur de cette petite pièce savait versifier. Le second vers de la seconde stance doit être lu:

Preux et hardis, orguelliex comme un tor.

Preux n'est pas une conjecture certaine; mais c'est, en tout cas, quelque mot semblable qu'il faut ici. Quant à orguelliex comme un tor, la restitution n'est pas douteuse: orgueilleux comme un taureau, et non pas comme une tour. Dans le second vers de la troisième stance, il suffit de lire que il vesquit, pour avoir la mesure; enfin, on l'a aussi dans le troisième vers de cette même stance, si l'on substitue allant à pour aller.

En suivant M. Vallet de Viriville pas à pas, j'ai trouvé à mettre sous les yeux du lecteur des détails biographiques sur les deux Cousinot, des passages curieux touchant des choses du commencement du xv° siècle, et des remarques de langue. C'est qu'en effet sa publication est riche en documents; il nous y donne la Geste des nobles, inédite; la Chronique normande, inédite aussi, et le texte de la Chronique de la Pucelle, rendu conforme au plus ancien manuscrit que les bibliothèques en conservent. Publier des œuvres inédites et conformer les textes aux anciennes copies est un service dont on doit toujours être sincèrement reconnaissant.

É. LITTRÉ.

LE MONT OLYMPE et l'AcarnanIE; exploration de ces deux régions, avec l'étude de leurs antiquités, de leurs populations anciennes et modernes, de leur géographie et de leur histoire; ouvrage accompagné de planches, par L. Heuzey, ancien membre de l'École française d'Athènes, publié sous les auspices du ministère de l'instruction publique et du ministère d'Etat. Paris, librairie de Firmin Didot frères, imprimeurs de l'Institut. 1860, 1 volume in-8°, 495 pages.

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DEUXIÈME ARTICLE1.

Ce fut au mois de septembre 1856 que M. Heuzey partit d'Athènes pour aller explorer l'Acarnanie. Il traversa d'abord la Béotie dans toute sa longueur; ensuite, franchissant le Parnasse, il entra dans la partie la plus reculée et la plus inexplorée du royaume hellénique, distincte du reste de la Grèce autant par la nature du sol que par le caractère de ses habitants. Dans la plus grande partie du Péloponnèse et surtout en Attique, quand on est sorti des plantations d'oliviers et des bosquets de chevrefeuille (περικλύμενον, ἀγριόκλημα), on voit partout des rochers nus, embrasés plutôt qu'éclairés par un soleil ardent, encaissant dans les plis de leurs ravins d'étroites et rares lignes de verdure. Les plaines ne présentent qu'une berbe desséchée; dans le voisinage des torrents et de la mer, elles sont couvertes de cailloux roulés, et ce n'est que rarement que l'ombre d'un platane ou d'un cyprès tombe sur le sol brûlé des grèves. L'Acarnanie, au contraire, et l'Amphilochie, qui s'y rattache par sa position géographique, semblent encombrées par la puissante végétation du nord; d'épaisses forêts s'élèvent sur les vestiges des villes antiques et couvrent des plateaux étendus qui, peut-être, seront défrichés quelque jour, et qui l'ont été sans doute à une époque ancienne.

C'est ce pays, affaibli et dépeuplé déjà sous le règne d'Auguste2, que M. Heuzey décrit en détail, dans les huit chapitres ou sections qui composent la seconde partie de son livre. Dans le premier chapitre (p. 223240), il fait connaître l'aspect général de la contrée, ses divisions

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Voyez, pour le premier article, le cahier de septembre 1861, page 545. · Νυνὶ μὲν οὖν ἐκπεπόνηται καὶ ἀπηγόρευκεν ἐκ τῶν συνεχῶν πολέμων ἢ τ' Ακαρνα vía nai Aitwdía. (Strabon, X, p. 460.)

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administratives actuelles et les productions de son sol. Comme dans l'antiquité, la forme générale de l'Acarnanie est encore aujourd'hui celle d'un triangle irrégulier, dont la pointe, tournée vers le midi, touche la mer ionienne, non loin d'Ithaque et des îles Échinades; cette même mer baigne la côte occidentale du pays jusqu'au golfe ambracique, lequel, avec les monts Agréens, dessine la base du triangle; enfin la longue vallée où l'Achéloüs «roule ses flots argentés1» sert de frontière du côté de l'est. La contrée enfermée dans ces limites forme aujourd'hui deux départements (énαpxía), le Valtos (Baλtos2, le Marais) et le Xéroméros, le premier à l'est et au sud-est du golfe ambracique, le second s'étendant le long de la mer. Tous les deux renferment des restes considérables de villes qui jadis illustrèrent cette contrée, ruines qui n'ont pas été effacées à la longue par l'activité continue des générations successives; la végétation même, qui souvent hâte l'œuvre des siècles, a protégé ici les débris de l'antiquité en les rendant moins accessibles à de nouveaux habitants, et les vestiges de beaucoup de villes se présentent ici dans un état de conservation que n'offre aucune autre partie du royaume hellénique.

Des traits piquants, qui peignent les mœurs, le caractère, les penchants de la population actuelle de l'Acarnanie, ont été recueillis par M. Heuzey, quelquefois, à ce qu'il paraît, au milieu des privations et des dangers que le désir seul d'accomplir une tâche utile à la science a pu lui faire braver. Il a réuni ces traits dans le second chapitre (p. 241280). Tout le pays n'est habité que par des Grecs; nulle part on n'aperçoit de traces de ces tribus slaves, qui, au moyen âge, se sont avancées jusque sous les pins de l'Élide et sous les chênes de l'Arcadie; on y chercherait en vain ces colonies d'Albanais agriculteurs qui, dans une grande partie du royaume, ont pris possession du sol et remplacé l'ancienne population. En Acarnanie, la race grecque est restée plus pure que partout ailleurs; mais elle ne l'a pu qu'à la condition de se faire

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2 En grec vulgaire le mot éλos a été remplacé par celui de ẞáλtos, usité déjà depuis le Ix siècle de notre ère. Anne Comnène, très-attentive à la pureté du langage, se sert cependant trois fois du dérivé d'un mot qu'auraient certainement dédaigné les auteurs dont cette princesse s'efforce d'imiter le langage fleuri. (Alexiade, p. 180, A, ed. Venet. βαλτώδης ών· 310, C, ἑλώδη τινὰ τόπον καὶ βαλτώδη· 349, C, τὸ βαλτῶδες καὶ πυκνὸν τοῦ καλαμῶνος.)

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