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une seule pensée déployer la plus grande vigueur pour sauver l'honneur de la couronne et se sauver eux-mêmes. Intimement unis, et bien secondés par Du Vair et Schomberg, ils emportèrent toutes les délibérations, dictèrent toutes les résolutions, et, pendant les six mois qui vont suivre, ils surent inspirer à Louis XIII une conduite que les historiens n'ont point assez relevée.

Dans le grand conseil du 4 juillet 1620, la guerre fut résolue à l'unanimité; mais plusieurs membres du conseil, le vieux chancelier Brulart de Sillery à leur tête, étaient d'avis que le roi restât à Paris, au centre du gouvernement, et qu'il laissât ses généraux entrer en campagne. Ils ne manquaient point de raisons spécieuses. Ils représentaient que Paris était plein de brouillons et de factieux, qui jusqu'alors s'étaient contentés de semer partout des mauvais propos et des pamphlets, mais n'attendaient que le départ du roi pour éclater; que ces menées, colorées des faux semblants du bien public et accompagnées de promesses magnifiques, avaient produit quelque effet, et que le poison avait pénétré jusque dans les cours souveraines. Il pouvait survenir des agitations, des soulèvements même. Il suffirait d'une pointe audacieuse sur Paris, venue d'Angers ou de Metz, pour enlever une ville presque sans défense. Il n'était pas aisé de soumettre la Normandie couverte de places considérables: ici le château de Rouen, Dieppe et peut-être le Havre, là Caen avec une garnison solide et bien commandée; le moindre échec du roi lui serait fatal, ébranlerait les provinces fidèles, enhardirait les provinces révoltées. C'était toujours autour de Paris que s'étaient décidées les destinées de la France; il valait donc mieux pourvoir à la conservation de Paris qu'à celle de la Normandie, car, tant qu'on aurait Paris on pouvait aisément reconquérir la Normandie, tandis que Paris perdu, c'en était fait de tout le royaume. Luynes et Condé répondirent que la plus grande force de l'armée résidait dans le roi; qu'il fallait donc opposer le roi aux rebelles, les attaquer avant qu'ils eussent le temps de se reconnaître, et emporter d'abord quelque grand avantage qui affermît les provinces fidèles et jetât la terreur dans celles qui s'étaient laissé gagner par la révolte. Ils dirent que la Normandie était comme la basse-cour du Louvre, et que la vraie prudence commandait d'aller défendre le Louvre à Rouen et à Caen. Louis XIII coupa court à la délibération par cette déclaration généreuse : «Que, parmi tant de « hasards qui se présentoient, il falloit entrer aux plus grands et aux plus prochains, qui étoient en la Normandie, et que son avis étoit de «s'y en aller tout droit, et n'attendre pas à Paris de voir son royaume << en proie et ses fidèles serviteurs opprimés; qu'il avoit un grand espoir

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<< en l'innocence de ses armes, et de ce que la conscience ne lui sauroit reprocher aucun manque de piété à l'endroit de la reine sa mère, de «justice à son peuple et de bienfaits à tous les grands du royaume. » Tout le conseil applaudit à ces paroles: on décida qu'on entrerait sans retard en campagne, et qu'on marcherait sur la Normandie; et, à la fin de la séance, un loyal et zélé serviteur, troublé par son affection, Du Roulet, grand prévôt de Normandie, s'étant présenté au roi pour le supplier de ne pas hasarder sa personne dans une entreprise plus difficile qu'on ne lui avait dit, Louis lui fit cette réponse : « Vous n'êtes << pas de mon conseil ; j'en ai pris un plus généreux. Sachez que, quand «<les chemins de Normandie seroient tous pavés d'armes, je passerai sur « le ventre à tous mes ennemis, puisqu'ils n'ont nul sujet de se déclarer <«< contre moi, qui n'ai offensé personne. Vous aurez le plaisir de le voir. « Je sais que vous avez trop bien servi le feu roi mon père pour ne vous « en pas réjouir 1.

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Ce même jour, on expédia de tous côtés des commissions de guerre. Le duc de Guise et Lesdiguières avaient déjà reçu leurs instructions. En Guyenne, le maréchal de Thémines fut chargé de tenir tête au duc de Mayenne, du mieux qu'il pourrait, avec le duc de Chevreuse, qui alla dans son gouvernement d'Auvergne lever des troupes pour les joindre à celles de Thémines. On envoya le duc de Nevers, qu'on soutint par le maréchal de Vitry, s'opposer en Champagne à l'entrée des Liégeois de Barbin et surveiller les mouvements de La Valette à Metz et de Bouillon à Sedan. Le maréchal de Brissac, à peine reçu duc et pair, eut l'ordre de se rendre sur-le-champ en Poitou pour retenir et rallier tout ce qui pouvait y rester au roi de serviteurs fidèles. Mais le plus pressé était d'empêcher l'insurrection de Normandie de gagner la Picardie. et, à cet effet, Cadenet, lieutenant général de Picardie sous son frère, et fait tout récemment duc et maréchal de Chaulnes, fut dépêché en toute hâte vers Amiens et Abbeville, afin de faire face aux dangers qui pourraient venir de Normandie. En même temps, Bassompierre, maréchal de camp et colonel général des Suisses, homme de plaisir et de cour, mais officier aussi intelligent que brave, se rendit en secret sur la frontière d'Allemagne, pour y prendre le commandement de l'armée qu'on avait commencé à y rassembler, et la conduire par des chemins sûrs dans les environs de Chartres, où le roi l'aurait sous sa main et pourrait l'employer selon les circonstances 2.

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Tous ces détails et discours sont fidèlement tirés du Mercure françois, p. 281285.- Mercure françois, p. 284, et Pontchartrain, ibid. p. 311, etc.

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Enfin, pour le remplacer pendant son absence, le roi forma un conseil, dont le chancelier devait être le président, sous l'autorité de la jeune reine, à laquelle, depuis plus d'une année, Luynes avait fait donner pour première dame d'honneur et surintendante sa propre femme, la belle, spirituelle et hardie Marie de Rohan, qui avait pris bientôt et garda longtemps sur l'esprit d'Anne d'Autriche le même empire que Luynes exerçait sur celui de Louis XIII. Anne avait déjà fait paraître de la discrétion, de la prudence, de la conduite, parmi les intrigues et les mouvements divers de la cour, et on n'avait pas à craindre qu'il lui vînt de la surintendante de sa maison des inspirations pusillanimes; d'ailleurs on fit revenir bien vite de son ambassade d'Angers le duc de Montbazon, gouverneur de l'Ile-de-France, pour assurer avec quelques troupes la tranquillité de Paris et y contenir l'esprit de faction 1.

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Pontchartrain, p. 312: A Paris, le roi laissa un conseil sous l'autorité de la «reine sa femme, auquel présidoit M. le chancelier, et avec cela on y fit revenir M. de Montbazon avec sa compagnie de gendarmes et quelques autres compagnies de cheval et de pied pour y contenir toutes choses.». Marie de Rohan avait été nommée surintendante de la maison de la reine en décembre 1618. Les grâces de sa personne et de son esprit plurent fort au jeune roi, qui se divertissait volontiers dans sa compagnie, jusqu'à exciter d'abord la jalousie d'Anne d'Autriche; mais la fidèle et tendre affection de Louis pour la reine dissipa bientôt ces ombrages, et les deux jeunes femmes s'aimèrent d'une amitié très-vive et très-forte. Luynes sans doute y trouvait son compte; mais il est bien ridicule que Richelieu ait pris ou essayé de faire prendre l'assiduité de la duchesse de Luynes auprès de la reine pour un espionnage et une oppression, quand la duchesse ne faisait qu'exercer les devoirs de sa charge de surintendante, et quand, plus tard, Richelieu fit tant d'efforts pour rompre le charme qui attachait Anne d'Autriche à sa fidèle et énergique amie. Qu'aurait-il dit, en 1626, en 1633, en 1637, en 1642, de ce passage de l'Histoire de la mère et du fils, (Mémoires de Richelieu,) t. II, p. 35: « Il n'y a âme si barbare qui put approuver le mal qu'ils (les Luynes) font à la reine régnante, divertissant le roi des « familiarités que le mariage apporte avec soi, au grand préjudice de cette couronne. « On vit avec tant d'audace avec elle, qu'il n'y a personne qui ne juge que le dessein de la femme de Luynes, qui étoit sa surintendante, est de l'être non-seu«lement de sa maison, mais de sa personne. Si elle reçoit une lettre, elle veut la « voir la première; si elle en écrit, elle veut en savoir le sujet, lui défend même d'é«< crire à son père sans y apporter des précautions. Quoi qu'elle veuille acheter, si madame ne le trouve bon, l'argent, qui se trouve en abondance pour elle, manque « à son dessein; si elle veut prendre l'air et que madame ne l'ait pas agréable, il « faut qu'elle demeure au logis par complaisance. Richelieu lui-même eût rougi de telles misères, et son savant éditeur, M. Petitot, ne se peut empêcher de les relever, et de rappeler qu'au contraire Marie de Rohan était la meilleure amie d'Anne d'Autriche; qu'elle favorisa toujours ses relations avec son père, et que les partisans de la reine mère cherchaient alors à brouiller les deux amies. Nous avons prouvé, article premier, mai, p. 272, que, loin d'éloigner Louis XIII de sa

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Toutes ces mesures arrêtées, le roi, avant de partir, voulut aller au parlement et y tenir un grand lit de justice. Il y porta la parole: il exposa l'état des affaires, tant de grands seigneurs s'éloignant de la cour sans sa permission, et levant de leur chef des soldats au mépris des lois, les provinces en feu, et la révolte commencée en Normandie; il dit qu'il avait tout fait pour ramener à lui la reine sa mère; qu'il venait de lui envoyer quatre éminents personnages, chargés de lui offrir toutes les satisfactions compatibles avec la dignité royale; qu'en attendant, il était forcé de mener son armée en Normandie pour y rétablir l'ordre; qu'il laissait à Paris la reine sa femme pour leur tenir lieu de lui-même; qu'il la mettait, ainsi que sa couronne, sous la garde de leur fidélité; qu'il partirait dans un jour ou deux, mais qu'il serait bientôt de retour, et leur donnait rendez-vous dans trois semaines. Ce langage simple, résolu, confiant, toucha l'assemblée et excita dans le peuple un grand enthousiasme '.

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femme, c'est Luynes qui les rapprocha, au grand avantage de la couronne, et voici quelques passages qui établissent l'innocence des familiarités du roi et de la duchesse de Luynes. Bentivoglio, 19 décembre 1617 Intendo da buona parte che la regina giovane è in gelosia del re, dubitando da qualche principio d'amore colla moglie di Luynes..... Può essere che il re l'accarezzi più per rispetto di marito che di lei stessa, crescendo ogni di più l'affetto del re verso Luines. » Dépêche du 31 janvier 1618: Intorno a quei sospetti d'amore del re con la moglie di Luines ne cesso ogni ombra, e mene ha assicurato il medesimo duca di Monte«leone.» Dépêche du 20 mai 1620, correspondante à l'époque où Richelieu écrivait les lignes précitées: «La regina regnante si strugge di gelosia per i favori che il re fa alla duchessa di Luines, sebbene la sua passione è piutosto invidia che gelosia... « Il padre Arnoldo (le confesseur du roi) m' ha ancora di nuovo assicurato della purità del re, e che per questo non si può temere che tra Maestà loro siano per nascere ⚫ disgusti. »Pontchartrain, p. 313: « Le 4 dudit mois de juillet, Sa Majesté entre en son parlement de Paris, y représente les pratiques et menées et soulèvemens qui se fesoient de tous côtés en son royaume contre son autorité, leur fait connoître «ses procédures et déportemens à l'endroit de la reine sa mère, et comme quoi elle s'étoit emportée en son endroit; les départemens des uns et des autres, l'état de ses provinces et de tout le royaume; la résolution qu'il avait prise de mettre des forces sur pied, et de dresser une forte et puissante armée pour la commander en personne: que, pour cet effet, il fesoit état de partir dans un jour ou deux de Paris; que cependant il leur recommande la justice et la manutention de son autorité. Ce qui fut grandement accueilli et agréé par le parlement et par tout le peuple. Ambassadeur vénitien, dépêche du 7 juillet: «Sabbato passato fù S. M. a dar conto nel parlamento di questa sua risolutione, con dire che era necessitata « di andarsene in Normandia per affari del regno, vedendo massime tanti soggetti partiti di corte senza sua licenza, che raccommendava ad esso parlamento il buon governo della città nella quale haveria lasciata la regina in suo luogo et il cancelliere, e che nel resto per li affari toccanti la regina sua madre era di quella buona

Cependant, pour toute armée, le roi n'avait que les régiments d'infanterie de sa garde française et suisse, ses gendarmes et ses chevaulégers, et encore pas au complet1; mais il était impatient de quitter Paris, et il en sortit le 7 juillet au matin, emmenant avec lui son jeune frère le duc d'Anjou, pour ne pas laisser derrière lui un chef aux mécontents 2, le prince de Condé, Luynes, Ornano, gouverneur du petit duc, l'énergique et éloquent garde des sceaux, Du Vair, pour faire les discours et tenir au besoin la plume, Schomberg, encore plus militaire que financier, le maréchal de Praslin, Charles de Choiseul, alors comte, depuis duc de Praslin, le premier maréchal de ce nom, homme de guerre expérimenté, et le gendre de Lesdiguières, Créqui, encore simple maréchal de camp, mais qui avait la promesse du bâton de maréchal de France à la première occasion. Chacun était rempli d'ardeur et d'espérance, et le roi charmé d'aller faire une campagne plus sérieuse que celle de l'année précédente. Le 7 juillet au soir il arrivait à Pontoise, et le lendemain à Maguy.

Au bruit de la résolution prise par Louis XIII, de son discours au parlement et de sa marche sur la Normandie avec si peu de forces, la France entière reconnut avec joie un fils de Henri IV, et elle applaudit, comme elle le fera toujours, à celui qui montrait du courage et de la décision, car elle n'aime pas plus le vague et l'incertitude dans le gouvernement que dans tout le reste; les ennemis de Luynes virent clairement, pour la seconde fois, qu'ils n'avaient pas affaire au maréchal d'Ancre envoyant ses généraux contre les révoltés et demeurant dans son palais; les troubles et les divisions de la cour d'Angers redoublèrent, et Marie de Médicis et son conseiller Richelieu, au lieu de rassembler tout ce qu'ils avaient de troupes sous la main pour s'avancer vers Paris, contraindre le roi de revenir sur ses pas, donner du cœur à leurs partisans de Rouen, du Havre et de Caen, et leur montrer qu'ils ne seraient pas

« volontà che sempre havra havuta, cioè inclinatissima a darli ogni soddisfazione, e che a questo effetto mandava i quattro nominati personaggi in Angiers per tral«tar amicabilmente questo negozio e procurar la pace, la quale, se si havresse po« tuto havere con qual si sia conditione, salva pero l'autorità regia, non l'haveria mai « ricusata, anzi avidamente abbracciata. »Pontchartrain, p. 313, dit que le roi partit de Paris « n'ayant avec lui que les régimens de ses gardes françoises et suisses à pied, sa compagnie de gens d'armes, celle de ses chevau-légers, très-mal ar« més et incomplets, et les officiers domestiques et gardes du corps; car de seigneurs " et de noblesse il y en avoit fort peu. D Ambassadeur vénitien, dépêche du 7 juillet: «Il re si è partito questa mattina verso Roano, havendo condotto seco « Monsu, suo fratello, che con gran gelosia e custodia viene diligentemente guar

❝ dato. »

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