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et elle eût peut-être réussi et changé la face des affaires, si le plan que le duc de Rohan avait proposé à la reine eût été suivi, si une seule tête, un seul bras, un seul chef, hardi et capable, eût dirigé ce grand mouvement, imprimé de l'ordre et de l'unité à toute l'entreprise, et accru par là les forces de l'insurrection. Ce chef, désigné par Rohan et appelé par tous les militaires du parti, était le duc de Mayenne. Si la reine mère s'était rendue près de lui, comme elle le pouvait aisément par l'Angoumois et la Saintonge, elle se trouvait maîtresse de cinq ou six provinces riches et populeuses, coupées de grandes rivières, hérissées de places fortes; le parlement de Bordeaux, depuis longtemps travaillé, se serait déclaré pour elle, et, pendant qu'avec Richelieu elle eût établi un gouvernement solide, dirigé les affaires et les négociations, Mayenne, qui, dans la seule Guyenne, avait déjà rassemblé dix-huit mille hommes, en pouvait tirer autant des autres provinces, et, à la tête d'une telle armée, ou garder la défensive et opposer aux troupes du roi une résistance à peu près invincible, ou, ce qui, selon nous, eût été bien préférable, se porter sur la Loire, rallier d'Épernon et Rohan, et, formant une masse compacte, marcher sur Orléans et Paris. L'étoile de Luynes voulut que Marie de Médicis, pour ne pas blesser le duc d'Épernon, ne suivit pas le conseil du duc de Rohan. D'Épernon prétendait qu'abandonner Angers, c'était, pour la reine, avoir l'air de prendre la fuite et de désespérer de sa cause, qu'ainsi on encourageait soi-même la défection, et qu'on livrait la Loire et l'Anjou à l'ennemi. Son vrai motif, qu'il ne prenait guère la peine de dissimuler, était qu'il n'entendait pas avoir de supérieur et se soumettre à Mayenne. Il fallait alors lui déférer le commandement. D'Épernon était peut-être, après les princes de la maison royale, le personnage le plus important du royaume. Il possédait des biens immenses, et plusieurs résidences où il avait une cour, des gardes, une autorité presque souveraine. Il avait vieilli dans les plus grandes charges de deux règnes, un des favoris de Henri III et très-considéré de Henri IV. Il était colonel général de l'infanterie française. Il avait de l'expérience, de la prudence et de la hardiesse. Sa fierté naturelle le défendait de toute bassesse et du soupçon même d'une trahison. Il était capable d'une conduite forte et soutenue. S'il était moins homme de guerre que Mayenne, il était bien plus politique. Un de ses fils commandait à Metz, et un autre, l'archevêque de Toulouse, le futur cardinal de La Valette, était déjà un excellent officier, qui devint un des meilleurs généraux de Richelieu. Le dessein du duc d'Épernon était de rassembler toutes ses troupes de l'Angoumois et de la Saintonge, et de venir s'établir à Angers auprès de la reine, et de là de négocier avec

Luynes et d'en obtenir de justes satisfactions. Mais, comme d'Épernon ne voulait pas obéir à Mayenne, de même le duc César de Vendôme, fier de sa naissance, ne voulait obéir ni à l'un ni à l'autre, et il poussait la comtesse de Soissons et le jeune comte, en sa qualité de prince du sang, à réclamer le commandement, espérant bien l'exercer sous son nom. Ce n'était pas là le meilleur parti, mais le pire était de laisser flotter indécise la direction d'une entreprise aussi vaste, aussi compliquée. Comment Marie de Médicis a-t-elle pu commettre une pareille faute, si contraire à son caractère et à ses habitudes, elle qui volontiers remettait son pouvoir aux mains des serviteurs en qui elle avait confiance, et certes elle n'avait pas le moindre doute sur la fidélité de Mayenne et de Vendôme, encore moins sur celle du duc d'Épernon, qui, en 1619, s'était si fort compromis pour elle? Ici un cri unanime s'élève contre Richelieu : tous, protestants et catholiques, conspirateurs passionnés et témoins désintéressés et équitables, l'accusent d'avoir abusé de l'empire qu'il avait pris sur Marie de Médicis pour l'empêcher de donner un chef à cette grande affaire, surtout à l'armée. Évidemment il ne pouvait pas l'être, et il ne voulait pas qu'un autre le fût, sentant bien que, le lendemain de la victoire, ce chef-là lui serait un maître, mille fois plus incommode à son orgueil et à son ambition que le favori du roi; en sorte qu'après avoir précédemment retenu la reine à Angers, loin de son fils et de la cour, afin de la gouverner à son aise 1, il la retint encore cette fois à Angers de peur qu'ailleurs, avec Mayenne ou avec d'Épernon ou avec Vendôme, elle ne sortît de sa tutelle, prenant grand soin de l'endormir sur les périls qui allaient fondre sur elle. On va plus loin: on prétend que dès lors il entra en secrètes négociations avec Luynes et prépara l'accommodement dont nous aurons bientôt à rendre compte2.

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1 Voyez article deuxième, juin, p. 346. — Richelieu, dans ses Mémoires, t. II, p. 64-84 et suiv., peint à merveille l'anarchie qui s'introduisit vite à la cour de la reine, et il en montre la source dans le désir que tous avaient de commander; il parle à peine du plan de Rohan et de Mayenne et de celui du duc d'Épernon, et il attribue la défaite du parti de la reine à tout le monde, sans en prendre la moindre part sur lui-même. Mais on le lui a bien rendu, et on a été jusqu'à l'accuser de trahison. Fontenai-Mareuil, honnête homme, ennemi de Luynes et grand admirateur de Richelieu, dit positivement, p. 479, que l'évêque de Luçon ne voulait pas que Mayenne et d'Épernon prissent du crédit sur la reine, craignant qu'à la fin ils ne s'accommodassent à ses dépens. » L'historien de d'Épernon (Histoire de la vie du duc d'Epernon, in-4°, 1730), Girard, archidiacre d'Angoulême, le confident, le secrétaire du duc, interprète de ses sentiments, et qui nous tient lieu de son maître, s'exprime ainsi, p. 345: Le duc de Mayenne, qui avoit fait un très-grand armement en <Guyenne, faisoit instance que la reine se retirât en son gouvernement, où il avoit

Mais n'anticipons pas sur les événements et suivons-en le progrès. Il est certain que, dans les premiers jours de juillet, les affaires de la reine présentaient l'aspect le plus favorable, et que celles du roi semblaient dans un assez triste état. Sans doute, ainsi que nous l'avons dit1, Luynes avait mêlé à ses perpétuelles négociations de grands préparatifs financiers et militaires. Le bruit courait que le roi pouvait disposer de plus de deux millions d'or, comme on disait alors 2, et qu'il s'en pouvait promettre encore un autre des derniers édits arrachés au parlement et de divers expédients auxquels on songeait. Depuis trois

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assemblé plus de dix-huit mille hommes effectifs; mais le duc d'Épernon, averti «que son dessein étoit de se rendre maître de la personne de cette princesse, pour faire, à ses dépens et des seigneurs de son parti, sa condition plus avantageuse, n'y pouvoit consentir. Quand il n'eût pas eu cette défiance, il considéroit que l'éloignement de la reine mère et son départ d'Angers passeroient pour une fuite, et que cette action décrieroit infiniment toutes ses affaires, qu'outre la perte de sa réputation elle perdroit toutes ses provinces d'entre les rivières de Loire et de Garonne, lesquelles étoient absolument à sa dévotion et pouvoient être longuement « contestées. Sur ces raisons, il jugeoit beaucoup plus utile et plus avantageux au « service de la reine de joindre les troupes qu'il avoit à celles du duc de Mayenne « pour aller tous deux ensemble à Angers renforcer celles de la reine, parce qu'étant « accrues de vingt-cinq mille hommes qu'ils lui pouvoient mener, Sa Majesté seroit « cn état de réduire le duc de Luynes à des conditions raisonnables..... Sans doute, ce dernier avis eût engagé l'armée du roi dans un pas difficile, s'il eût été suivi; mais l'évêque de Luçon, qui ne vouloit point auprès de la reine des per« sonnes de la condition et de la capacité du duc pour ne point décheoir du pouvoir qu'il avoit sur son esprit, ne put être d'opinion ni qu'elle partît d'Angers ni que « le duc d'Épernon s'approchât d'elle. La connaissance qu'il avoit de l'humeur libre • et désintéressée du duc lui faisoit appréhender qu'il apporteroit de la contrariété à ses avis, et qu'ainsi il ne demeurât pas si absolument maître qu'il l'étoit des conseils de la reine. Il laissa donc adroitement couler le temps... Aussi prit-on de cela sujet de dire qu'il étoit d'accord avec les ennemis de la reine, qu'il avoit empêché la « réunion de ses forces et détourné les personnes capables du commandement de la a venir servir, étant assuré d'obtenir les conditions qu'il désiroit sans se mettre en peine des autres serviteurs de la reine. Écoutons maintenant le duc de Rohan (Mémoires, p. 109): « L'évêque de Luçon, ne pouvant permettre que la reine mère passât où étoient les plus grandes forces, de peur qu'elle sortît de sa tutelle, la fait ré« soudre à une défense tremblante dans une ville qui ne vaut rien et qui lui est « contraire, afin de la forcer à un accommodement honteux, par le moyen duquel il pût faire sa paix, de façon que dès lors il eut des communications secrètes avec le parti du roi. Article quatrième, septembre, p. 540.- Bentivoglio, 15 juil» — let: Questi del re dicono d'aver in pronto più di due millioni d' oro, e che con qualche espediente si sia per cavarne presto anche un altro milione, sebbene questa "materia di denari sempre riesce più difficile che non si pensa; ma nondimeno, per farne maggior provisione, il re si è risoluto di metter in piede quel diritto « annuale chiamato la Poletta. »

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mois on armait de tous côtés, et, en même temps qu'on envoyait à Angers cette dernière grande ambassade composée de l'archevêque de Sens, du grand écuyer de Bellegarde, du duc de Montbazon et du président Jeannin, les ordres les plus pressants allaient partout hâter les armements1. Le duc de Guise, en Provence, et Lesdiguières, en Dauphiné, rassemblaient des troupes pour contenir l'un le duc de Montmorency, s'il remuait en Languedoc et faisait mine de seconder Mayenne, l'autre, le prince de Piémont, s'il était tenté de descendre des Alpes et de se mêler de nos affaires. Guise et Lesdiguières devaient correspondre et s'entr'aider à travers le Lyonnais, dont répondaient d'Alincourt et son fils Villeroi; au besoin même, tous avaient l'ordre de joindre leurs forces et d'en former une seule et imposante armée, capable de frapper un grand coup 2. On avait aussi commencé à réunir des soldats sur la frontière d'Allemagne pour donner du poids à notre intervention pacifique, et ce noyau d'armée, accru et développé, pouvait être d'une grande ressource. Au fond, c'étaient là les seules forces sur lesquelles pût compter le roi. Tout le reste était incertain et insuffisant. Le nouveau duc de Brissac, envoyé en Poitou, ne pouvait y tenir tête à Rohan, à la Trémouille, à Retz. Le comte, depuis duc de la Rochefoucauld, le père de l'auteur des Maximes, gouverneur de Poitiers, ne pouvait défendre longtemps cette ville contre toute la province. En Guyenne, le maréchal de Thémines était un militaire intrépide et expérimenté, bien digne de se mesurer avec Mayenne, mais il n'avait ni troupes ni places fortes, et lui-même ne savait trop de quel côté il se tournerait; car c'était lui qui, en 1616, par ordre de la reine mère, avait arrêté au Louvre le prince de Condé, et il redoutait l'inimitié et les vengeances de M. le Prince, devenu tout-puissant; son fils, le marquis de Thémines, avait embrassé le parti de la reine, et, si celle-ci avait pris plus de soin de ménager l'amour-propre et l'ambition du jeune et brave officier, si elle ne l'avait pas imprudemment sacrifié au frère de Richelieu, sans le triste duel qui s'ensuivit et força le vainqueur de s'éloigner

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Mercure françois, 1620, p. 275: « Le roi se résolut, d'un côté, d'envoyer une dépu«lation à la reine sa mère...et, de l'autre côté, d'armer puissamment pour réduire

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la force ceux qui ne se voudroient ranger à la raison. » Ambassadeur vénitien, 7 juillet: « Oltre alla via del negozio hanno dati ordini anche alle provisioni dell' armi.. - Article quatrième, septembre, p. 540. Pontchartrain, p. 311; ambassadeur vénitien, 7 juillet : « Il duca di Ghisa tiene commissione di andare al suo governa«mento di Provenza far levata di quattro mila fanti e quivi opporsi a qualche ten«tativo di Momorensi nella Linguadocca che si stima del partito della regina madre. A Dighieres s'è scritto che allestia tre mila fanti nel Delfinato per dubbio che il prencipe di Piemont venghi con armata in favore della regina..

d'Angers, le fils aurait fort bien pu attirer le père à la cause de la reine et l'enlever à celle du roi1. Le duc de Guise, en s'unissant à Luynes, lui avait, il est vrai, donné ses deux frères, le cardinal de Lorraine et le duc de Chevreuse, qu'on nommait alors le prince de Joinville; mais le cardinal était sans foi et toujours prêt à trahir, et le duc de Chevreuse, avec une vaillante et fidèle épée, n'avait qu'une intelligence d'une trèsmédiocre portée. Le grand écuyer de Bellegarde était un homme de beaucoup d'esprit, mais ce n'était pas un homme de guerre 2. Il n'y avait avec le roi qu'un seul protestant de renom, Lesdiguières; le clergé était partagé, et, malgré tous les efforts et l'habileté de Luynes, l'aristocratie, avec ses chefs les plus illustres et les plus capables, était rangée sous le drapeau de la reine mère.

Au début de la guerre, le parti du roi était donc ou paraissait le plus faible; mais il avait un immense avantage : il n'avait qu'un chef, et ce chef s'appelait le Roi, nom populaire et révéré, qui, pour peu qu'il fût dignement porté, était sûr de rencontrer peu de résistance. Or on ne peut méconnaître que Louis XIII unissait d'assez grandes qualités à de très-grands défauts, et qu'il y avait en lui de belles parties de roi avec les plus étranges disparates. Il était brave, et, avec le temps et l'expérience, il devint sinon un général, du moins un militaire instruit. Naturellement judicieux, il était toujours, dans le conseil, pour les avis les meilleurs. Il était secret jusqu'à la dissimulation; il aimait l'État et le bien public, et mérita le beau nom de Louis le Juste; seulement il ne fallait pas lui demander une conduite bien soutenue; peu à peu l'inégalité de son humeur et de sa santé prenait le dessus, et il a toujours eu besoin d'une main ferme et adroite pour le guider sans trop paraître, sans éveiller les ombrages de cette nature soupçonneuse et jalouse. Il avait un très-haut sentiment de la dignité royale; il la croyait engagée dans la défense de celui qui possédait alors toute son affection et toute sa confiance, tandis qu'il aimait fort peu et sa mère et son frère, qu'il était indigné de la conduite des grands, et que sa vive piété l'animait contre les protestants. Par tous ces motifs il se portait volontiers à la guerre, et, dès le premier jour, il déclara qu'il commanderait l'armée. Autour de lui, Condé et Luynes n'avaient plus qu'un seul intérêt et

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1 Ambassadeur vénitien, 7 juillet : Del marescial di Temines si dubita possa dipender da quella parte, perche sebben è poco amico di Umena, deve pero temere più del prencipe di Conde, che è stato fatto priggione da lui, ingiurie che difficilmente si scordono da chi le riceve, meno da chi le fa. - ' Ambassadeur vénitien, ibid. : « Monsù il Grande non è uomo di guerra. » — 'C'est partout l'avis de l'ambassadeur vénitien, mais non pas celui du pénétrant Bentivoglio.

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