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clure que ces agents agissent incessamment, quoique très-lentement, pour enlever aux roches silicatées leurs bases, qui passent alors à l'état de carbonates de potasse, de soude, de chaux, de magnésie, et encore de carbonates de protoxyde de fer et de manganèse, si la réaction s'opère hors du contact de l'atmosphère; car, que celui-ci soit présent, son oxygène se portera, à l'exclusion de l'acide carbonique, sur les deux protoxydes. Mais, quoi qu'il en soit, le résultat est le même pour limiter le nombre des êtres vivants sur le globe, puisque l'oxygène atmosphérique est indispensable à la germination des graines et à la respiration des animaux; enfin Ebelmen admet que la décomposition des roches silicatées peut être accélérée par la nitrification et par la présence des matières organiques.

Les choses amenées à ce point, il conclut que, si la décomposition des roches fait disparaître de l'acide carbonique de l'atmosphère et des eaux, d'un autre côté, les volcans, les terrains volcaniques, les sources minérales, leur en restituent; et que, si l'oxygène atmosphérique est absorbé par des protoxydes de fer et de manganèse, ceux-ci, à leur tour, se trouvant en contact avec des matières organiques, le restituent au monde vivant, sous la forme d'eau et d'acide carbonique, deux aliments des végétaux. Enfin, il est encore d'autres réactions dont Ebelmen examine les résultats au point de vue du maintien de l'équilibre des éléments entre les trois règnes.

Si une mort prématurée fut cause qu'Ebelmen n'occupa pas en France une position scientifique que lui méritaient si bien ses grands travaux, il eut, dans la dernière année de sa vie, la satisfaction de recevoir un témoignage public de la haute estime que le physicien Michel Faraday, un des huit associés étrangers de l'Académie des sciences, avait conçue de ses découvertes.

Ebelmen était à Londres pour prendre part aux travaux du jury international, appelé à prononcer sur les récompenses à décerner aux industriels de toutes les nations qui avaient pris part à la première exposition universelle. Faraday allait clore ses leçons à l'Institution royale; il invite Ebelmen à y assister, et, la séance ouverte, après qu'il l'a eu placé à sa droite, il annonce à son auditoire, composé de ce que Londres compte d'amis des sciences dans l'élite de la société, que l'objet de sa leçon sera l'exposé des découvertes que vient d'accomplir le jeune savant français assis près de lui, M. Ebelmen, qui a été assez heureux pour reproduire, par la synthèse chimique, des minéraux que jusque-là la nature seule avait produits.

S'il n'y a pas de flatterie à louer un savant par l'exposé de ce qu'il a

fait, il y a un grand tact, un sentiment bien élevé et bien en harmonie avec la pensée qui avait conçu l'exposition universelle de l'industrie, dans cette présentation du jeune savant français à un auditoire de Londres par un savant anglais qui doit lui-même toute son illustration à ses propres œuvres.

E. CHEVREUL.

Etude sur la vie et les ouvrages de M. T. Varron, par Gaston Boissier, professeur de rhétorique au lycée Charlemagne; ouvrage auquel l'Académie des inscriptions et belles-lettres a décerné le prix Bordin au concours de 1859. Paris, imprimerie de Ch. Lahure, librairie de L. Hachette, 1861, in-8° de VIII386 pages.

DEUXIÈME ARTICLE1.

Cicéron, au début des Académiques 2, où il se met en scène avec Varron, le presse obligeamment de faire ce qu'on est en droit d'attendre de sa science, et ce qu'il fait lui-même, d'écrire en latin sur la philosophie. Varron, qui s'en défend par plus d'une raison, sans toutefois se refuser absolument au vœu de son ami, remarque qu'il y a déjà satisfait dans une certaine mesure; il allègue ses Satires Ménippées, ouvrage de forme enjouée, dans lequel il n'a pas laissé de toucher à certaines questions tirées du fond même de la philosophie; il allègue encore ses éloges, Laudationes, les préambules de ses Antiquités, le soin qu'il y a pris d'attirer par l'agrément, d'initier à ces questions, même les moins doctes. Cicéron ne se rend point; il ne voit là qu'un commencement; c'était assez, pense-t-il, pour exciter, pas assez pour instruire.

On peut s'étonner qu'il ne soit pas question ici d'ouvrages dont un bon nombre sans doute étaient composés et publiés à cette époque, et auxquels M. Boissier, dans le chapitre où il considère Varron comme philosophe, a donné une juste attention. Varron les avait appelés, assez singulièrement, Logistorici; il y faisait disserter sur divers sujets, non

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Voyez, pour le premier article, le cahier d'octobre, p. 589.

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sans rapport, pour la plupart, avec la philosophie, des personnages historiques, et, parmi eux, quelques contemporains illustres; il les désignait conséquemment par un double titre, comprenant, avec le nom du principal interlocuteur, l'énoncé du sujet de la discussion. Il y en a deux ou trois de cette sorte dans le recueil des œuvres de Cicéron: Lælius, De amicitia; Cato major, De senectute; Brutus, De claris oratoribus. Les œuvres de Varron, selon le compte de saint Jérôme, en comprenaient soixante et dix, dont seize seulement ont laissé quelque trace chez les auteurs. M. Boissier, qui les énumère1, insiste particulièrement, par un attrait naturel pour le sujet, et grâce aussi à des renseignements plus nombreux et plus précis, sur celui qui était intitulé Cato, De pueris educandis. Ce qu'il en dit l'amène à cette remarque curieuse que, comme Cicéron dans le De senectute, Varron, dans le De pueris educandis, avait adouci, amolli la rudesse du vieux Caton. C'était un anachronisme à peu près inévitable, et que pouvaient justifier les libertés du genre. Cicéron, envoyant à Varron ses Académiques, où tous deux ont un rôle, lui disait plaisamment :

Il vous arrivera peut-être, la lecture finie, d'admirer que nous nous soyons dit des choses que nous ne nous sommes jamais dites; mais vous connaissez les habitudes du dialogue.

Puto fore ut, quum legeris, mirere nos id locutos esse inter nos quod nunquam locuti sumus. Sed nosti morem dialogorum 2.

Il semble que Varron ait répondu à l'appel de Cicéron par ses traités De forma philosophia, De philosophia, dont la philosophie était le sujet spécial. Saint Jérôme et Charisius ont cité le premier de ces deux ouvrages; saint Augustin3 a donné du second une analyse que M. Boissier a dû mettre à profit. On y voit, entre autres choses dignes d'intérêt, que l'auteur du De philosophia, agitant à son tour la question du souverain bien, portait à deux cent quatre-vingt-huit le nombre des solutions qu'elle avait déjà reçues ou pouvait recevoir; puis, par plusieurs procédés d'élimination, le réduisait à douze, bientôt à six, comme a fait Cicéron ; enfin à trois, parmi lesquelles il choisissait. L'exactitude scrupuleuse jusqu'à la minutie, l'esprit méthodique et classificateur à l'excès

1 Cato, De liberis educandis; Marius, De fortuna; Messala, De valetudine; Tubero, De origine humana; Atticus, De numeris; Orestes, De insania; Curio, De cultu deorum; Gallus Fundanius, De admirandis; Scaurus, De scenicis originibus; Pius, De pace; Sisenna, De historia, etc. (Voy. p. 101 et 102.) — 2 Famil. IX, viii. .3 De Civit. Dei, XIX, 1, 11, 1. — De fin, V, vi.

de l'érudit philosophe paraît bien là. Quand, dans les Académiques1, Cicéron lui fait dire, au sujet de quelques méchants interprètes de la philosophie grecque: «... Chez eux nulle définition, nulle division... « ... Nil definiunt, nil partiuntur..., » c'est presque l'indication maligne d'un trait de caractère.

Un travers assez étrange de la science moderne c'est, quelquefois, de prétendre mieux savoir que les anciens ce qu'assurément ils n'ont pu ignorer. Il a convenu à Ottfried Müller2 de supposer que Cicéron, condisciple de Varron dans les écoles grecques, son ami de tous les temps, lié avec lui non-seulement par la communauté des sentiments et des situations politiques, mais par celle des goûts scientifiques et littéraires, ignorait cependant à quelle secte philosophique Varron appartenait; que c'est sans s'en informer, à l'étourdie, qu'il l'a chargé, dans ses Académiques, de représenter l'ancienne Académie, tandis que lui représenterait la nouvelle; qu'au fond, Varron était un pur stoïcien. Les traces d'opinions stoïciennes qui peuvent se rencontrer dans les ouvrages de Varron, et notamment dans celui qu'Ottfried Müller a doctement édité, peuvent être expliquées, et M. Boissier les explique de toute autre manière; par les emprunts mutuels que se faisaient, à force de se combattre, les systèmes entre lesquels se partageait la philosophie; par l'esprit éclectique des Romains, qui, bien qu'engagés nominalement sous des drapeaux différents, ne s'interdisaient pas de mêler les doctrines, selon la diversité des sujets, ou même les besoins de la pratique.

Nullius addictus jurare in verba magistri,

Quo me cumque rapit tempestas, deferor hospes,

disait fort bien Horace3; et l'épicurien Horace a bien souvent parlé en stoïcien.

Ici doit se placer dans notre analyse, comme dans l'Étude de M. Boissier, son opinion sur le recueil qui porte le nom de Sentences de Varron. Si ces sentences ne lui paraissent pas toujours répondre, soit pour le style, soit même pour la pensée, à ce qu'on doit attendre de Varron; s'il les trouve quelquefois peu d'accord avec ce que l'on sait de son caractère et de ses opinions, il ne va pas jusqu'à les lui retirer absolument, comme ont fait plusieurs critiques. Il aime mieux croire qu'extraites d'un premier résumé moral des œuvres de Varron, et souvent reproduites dans

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‚1 I, II. 2 Préface de son édition du De lingua latina. "Voyez dans le premier article, p. 590 de ce volume.

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des vanités si exigeantes, si peu endurantes; il y parvint par des négociations dont les Lettres à Atticus, les Lettres familières 2, permettent de suivre la trace. M. Le Clerc en a autrefois tiré, pour une des excellentes préfaces de son Cicéron, un récit curieux qu'a su renouveler M. Boissier.

Ces petites préoccupations de l'amour-propre, faiblesses passagères de grands esprits et de nobles cœurs, et, ce qui valait mieux, ces communications savantes, cette commune passion d'études théoriques, et même techniques, auxquelles, dans sonu niverselle ambition, César prenait part en écrivant ses livres De l'analogie, tout ce mouvement pacifique précédait de bien peu les temps de troubles et de crimes où allaient tomber sous le poignard et le dictateur et le grand orateur, où Varron, sauvant sa vie à grand'peine, sans échapper aux suites de la proscription, verrait envahir ses biens, piller ses maisons, disperser, détruire ses précieuses collections de livres, et avec elles ses ouvrages commencés. Dans le nombre faut-il compter le De lingua latina, comme l'a fait savamment, mais bien arbitrairement encore, Ottfried Müller'? Des négligences, des irrégularités de composition, remarquées par lui avec beaucoup de sagacité dans ce que nous possédons de cet ouvrage, l'ont porté à croire qu'en l'an de Rome 708, où Cicéron en souhaitait si passionnément la dédicace, ce n'était qu'une ébauche; que, même en 709, année de la mort de César, en 710, année des proscriptions, l'auteur n'y avait pas mis la dernière main; que, devenu, dans le pillage, le butin de quelque satellite d'Antoine, plus lettré que les autres, celui-ci le fit paraître dans l'état d'imperfection où il se trouvait et que le temps a fort aggravé. Il faut, comme M. Boissier, écarter ce roman ajouté à l'histoire par Ottfried Müller, et faire son profit des observations critiques qui l'ont conduit à l'imaginer.

Dans les attributions du grammairien les anciens comprenaient ce que nous appelons la critique, l'histoire littéraire. De là, pour Varron, qui tenait à être complet, l'occasion de bien des ouvrages 5 encore sur la poésie et les poëtes, sur le théâtre et sur les auteurs dramatiques, particulièrement sur Plaute, toujours en faveur, même après Cécilius, Térence, Afranius, et naturellement goûté de l'auteur des Satires Ménippées. Cicéron s'en est souvenu avec reconnaissance : « Plurimum poetis << nostris omninoque latinis et litteris luminis attulisti et verbis ; » et

1 1Ad Att. XIII. 2 Fam. IX. 3 Sueton. Cæs. LVI. A Préface de son édition du De lingua latina. - 5 De poematis; De compositione saturarum; Theatrales libri; De actionibus scenicis; De scenicis originibus; De actibus scenicis; De poetis; De comediis Plautinis; Quæstiones Plautine. Acad. I, III.

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