Page images
PDF
EPUB

627

Longueville, poussé à la fois par sa mère, la duchesse douairière de Longueville, qui déjà, depuis quelque temps, s'était rendue à Angers, et par sa belle-mère, la comtesse de Soissons, avait pris avec sa femme le chemin de la Normandie 2, tandis que le duc de Vendôme, frère naturel du roi, le fils aîné de Gabrielle d'Estrée et de Henri IV, s'en allait à son château d'Anet, et de là gagnait Vendôme et Angers. Comme tous les bâtards de roi, César de Vendôme, quoique comblé dès sa naissance de biens et d'honneurs, n'était pas content de sa situation et s'agitait pour en sortir. Il avait pris part à toutes les révoltes des grands, et marchait déjà dans cette carrière d'aventures et de complots qu'il poursuivit sous Richelieu et sous Mazarin, aussi redoutable par son génie artificieux et audacieux que par l'éclat de son nom et l'importance du gouvernement de Bretagne qu'il tenait d'Henri IV et de son beau-père, Philibert-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur. A la fin de mai, Vendôme était à Angers, et prit d'abord un grand ascendant dans les conseils de la reine. Le 18 juin, un prince estimé, à moitié français, à moitié savoyard, qui servait d'intermédiaire entre Marie de Médicis et le prince de Piémont, Henri de Savoie, duc de Nemours, le fils d'un des plus habiles capitaines du xvi° siècle, et le père de ce duc de Nemours qui brilla un moment dans la Fronde à côté de Condé, s'enfuit de Paris pendant la nuit, ayant su que sa correspondance avec Victor-Amédée venait d'être interceptée". Sa femme, Anne de Lorraine, ne tarda pas à le suivre, et l'alla rejoindre à Angers. On apprit que la comtesse de Soissons et son fils se disposaient à en faire autant, et on délibéra si on ne les arrêterait point. Le roi y inclinait fort, mais Jeannin fit comprendre au Conseil que frapper un tel coup c'était porter à son comble l'irritation des partis et donner

5

[ocr errors]

'Ambassadeur vénitien, dépêche du 31 mars.- Mercure franç. 1620, p. 271; Mém. de Pontchartrain, Collection Petitot, t. XVII, p. 3o4.-Mercure françois et Pontchartrain, ibid. — Mercure françois et Pontchartrain, ibid. - Ambassadeur vénitien, dépêche du 2 juillet: «Causa di questa partenza è stata perche, sendo state intercette certe lettere che venivano ad esso duca scritte dal duca di Savoia, nelle quali si trattava di far levate di genti per la regina madre et altri particolari a ser■ vitio di lei, Nemours si sia absentato, per dobbio di non esser posto nella Bastiglia. Parmi les agents dont le duc de Savoie se servait auprès de la reine, l'ambassadeur vénitien nomme d'Urfé, l'auteur de l'Astrée, dépêche du 9 juin : « Si è scoperto che la regina madre ha strettissime intelligenze col duca di Lorena e di Savoia il quale pare ha spinto poco fù il marchese di Orfé a negotiar con lei, sotto pretesto che questo marchese vadi a portargli poesie sue particolari, essendo egli quello che ha fatto l'Astree, etc. Les poésies d'Urfé dont il est ici question sont vraisemblablement le Sireine, poëme pastoral imprimé à Paris en 1618, petit in-8°, et réimprimé à Lyon en 1619.

[ocr errors]

soi-même le signal de la guerre; qu'il valait mieux se laisser attaquer; qu'après tout les Soissons n'apporteraient à Angers que du bruit et de l'éclat sans grande force effective, au lieu qu'à Paris, en ménageant les apparences, ils soufflaient partout le mécontentement, et pouvaient, si le roi était forcé de s'éloigner, soulever contre lui le peuple et lui enlever ou lui disputer la capitale1. L'avis de Jeannin prévalut, et le 30 juin, pendant la nuit 2, la comtesse et son fils sortirent de Paris sans difficulté, se rendirent à Dreux, et s'acheminèrent vers Angers. Cette même nuit3 vit partir aussi le chevalier de Vendôme, grand prieur de France, obéissant à la fois aux ordres de son frère aîné, le duc César, et à l'influence de la comtesse de Soissons, qu'on pourrait appeler l'héroïne politique et galante de cette première Fronde. L'ambition et l'amour faisaient faire là au grand prieur une assez triste action, car il était comblé des bienfaits du roi, et il les devait à Luynes, qui, dès l'année 1617, n'avait pas peu contribué à le mettre en faveur auprès de Louis XIII, lorsqu'il avait songé à épouser mademoiselle de Vendôme*; il avait fait donner à son jeune frère la meilleure partie des dépouilles ecclésiastiques du maréchal d'Ancre, par exemple, la riche abbaye de Marmoutiers, en Touraine, avec le gouvernement du château et de la

1

4

Voyez Bassompierre, Coll. Petitot, t. XVII, p. 466, et Pontchartrain, ibid. p. 307.-2 Pontchartrain, ibid. 3 Pontchartrain, ibid. — Il est certain qu'au lendemain de son élévation Luynes a pu faire les plus brillants mariages, et qu'il eut à choisir entre la fille du vidame d'Amiens, qu'il fit épouser depuis à son frère Cadenet, mademoiselle de Verneuil, fille naturelle d'Henri IV, et mademoiselle de Vendôme, qui devint la duchesse d'Elbeuf. Ce dernier mariage parut même un moment près de se conclure. Dépêche vénitienne du 23 mai 1617, pas même un mois après l'assassinat du maréchal d'Ancre: «Louines in tanto si va imposses«sando sempre più della grazia di S. M. che amandolo sopra tutti procura di « farlo grande per tutti i mezzi possibili. Il matrimonio di madamosella di Vendomo col detto Louines si avanza, perche il saper che il re lo vogli basta a fare che i prencipi interessati se ne contentino; anzi intendemo che Vendomo, « suo fratello, lo desideri per havere con questa via il sicuro favore d'un soggetto di tanta autorità, il quale, perche degnamente possi ricevere l'honore della figliuola del re Henrico in moglie, prima sarà, per quanto viene detto, fatto duca pari di Francia. Le sono anco proposte altre principesse e dame di gran qualità «e di estraordinarie richezze, fra le quali una figliuola del duca di Mombasone, « et una del vidama d'Amiens che sarà herede di più di trente mille ducati di ren« dita. Bentivoglio, dépêche du même jour, 23 mai: «Del matrimonio di Luines « con madamosella di Vendomo si sta in sospeso. Molti uomini gravi l'han consigliato a non alzarsi tanto si presto e sopra tutto a gettarsi in partiti, e particolar■mente nel partito di Vendomo che è ambiziosissimo e che non ha fede. E perche si è parlato ancora di madamosella di Vernul, è pur anche stato Louines disviato da « questo matrimonio e quasi per le medesime ragioni, poiche egli si getterà al par

a

"

D

ville de Caen, la place la plus forte de toute la Normandie 1. Quelques jours même avant sa fuite 2, le grand prieur avait reçu le brevet d'une autre abbaye de dix-huit mille livres de rente, vacante par la mort de l'êvêque de Chartres; il n'avait pas cru la pouvoir refuser, de peur, dit-il depuis pour s'excuser, de découvrir la conspiration; mais apparemment il pensa que ce qui était bon à prendre était bon aussi à gar. der, car, lorsqu'il fut en lieu de sûreté, il ne renvoya point le brevet, et ne songea qu'à faire bonne guerre à celui de qui il le tenait par son ordre, le 1 juillet 1620, était arrivé à Caen un de ses meilleurs officiers, chargé d'approvisionner la place et d'y tout préparer pour soutenir un siége.

A mesure que Marie de Médicis voyait grossir le nombre de ses partisans et l'élite de l'aristocratie française accourir à Angers, elle s'enveloppa moins de mystères et d'artifices, et changea peu à peu de langage. Quatre fois on lui avait envoyé le comte de Blainville, qui, ayant été autrefois un des amis du maréchal d'Ancre, lui pouvait agréer davantage 3. La reine mère et Richelieu l'avaient d'abord accueilli avec les meilleures paroles, et lui avaient prodigué de telles espérances d'accommodement qu'il s'y était laissé séduire et avait presque fait passer sa confiance dans l'esprit de Luynes, en dépit de tous les efforts de Condé. Mais ce n'était là qu'une manœuvre pour gagner du temps; successivement elle le prit de plus en plus haut avec Blainville, et, vers le milieu de juin, aux observations qu'il lui faisait sur ses liaisons avec les grands seigneurs mécontents, elle répondit nettement qu'il était faux qu'elle eût formé et

a tito della marchesa di Vernul, donna ambiziosissima, sorella del conte d'Over«nia..... Luines mostra d'ascoltare volontieri e di stimar questi consigli. -Le Mercure françois, 1620, p. 272. - Pontchartrain, Coll. Petitot, t. XVII, p. 307: On s'étonna un peu du partement de M. le grand prieur, d'autant que l'on ne « voyoit point qu'il eût aucun sujet de mécontentement, et même, six ou sept jours a auparavant, le roi lui avoit envoié jusque chez lui le don d'une abbaye de la Valalasse, de dix-huit mille livres de revenu, qui étoit venue à vaquer par la mort de «l'évêque de Chartres.» Fontenay-Mareuil, ibid. p. 467: Le jour de devant que M. le comte partit, M. de Luynes envoya au grand prieur de Vendôme le brevet de deux bonnes abbaies qui avoient vaqué, pensant l'assurer par là au service du roi; mais, quoiqu'il le prit, il ne laissa pas de s'en aller, s'excusant sur ce qu'il n'eût pas pu le refuser sans découvrir son dessein, et ne le renvoya pas après être parti, ni depuis, quand il se vit en lieu de sûreté, ce qui fut condamné de tout le monde. » -3 Jean de Varinières ou Variguiez, seigneur de Blainville, conseiller d'État, lieutenant du roi au bailliage de Caen, et fait récemment maître de la garde-robe. — Bentivoglio, 20 mai: «Il signor di Blenvil fu poi molto ben ricevuto dalla regina « madre per quanto egli medesimo ha scritto quà. S. M. nel primo congresso gli parlò con ogni buon termine, e mostrò molta moderatione verso il duca di Luines.»

4

[ocr errors]

qu'elle entretînt une ligue contre le service du roi, mais qu'en effet, si on prétendait la pousser trop, elle ne manquerait pas de défenseurs. Elle déclara qu'elle ne pouvait en ce moment se rendre à la cour, qu'en attendant elle engageait le roi son fils à prendre garde à ses affaires et à ramener la paix dans le royaume en donnant de justes satisfactions au duc de Mayenne et à bien d'autres 1. Enfin, dans les derniers jours de juin, ayant appris de Mayenne que tous ses préparatifs étaient achevés, et reçu de divers côtés les mêmes nouvelles, elle avait fait écrire à la comtesse de Soissons de la venir trouver, et elle avait rompu avec Blainville 2.

Au bruit de ces nouvelles le prince de Condé revint du Berry en toute hâte, se rendit droit au Louvre, et se présenta au roi tout couvert de poussière et plein de courroux, se plaignant qu'on n'eût pas suivi ses conseils, et qu'à force de ménagements et de temporisations on eût laissé grandir à ce point le parti de la reine mère qu'en vérité il ne lui restait plus qu'à ôter la couronne au roi et la vie à Luynes; et il proposa de prendre sur-le-champ les mesures les plus énergiques3. Mais, parmi cette grande colère, Condé triomphait secrètement en son

a

'Ambassadeur vénitien, 23 juin : « La risposta portata da Blenville ritornato di " nuovo avant' ieri dalla regina madre è qual: lei esser alienissima da ogni pensiero « contro al servitio del regno, ne fomentare, come si va dubitando qui, a perniciose rissolutioni i prencipi mal contenti, ma ben essere vero che, se ella sara molestata, « non mancheranno di quelli che l'aiuteranno (Bentivoglio lui prête à peu près les mêmes paroles et plus fortes: «Havendo soggiunto apertamente che se se verrà molestata, ella procurerà d' aiutarsi per ogni via »); e che intorno al venir suo a Parigi pregava S. M. a non presserla, e contentarsi che ciò fossi con sua commo«dità, sendo sprovista di molte cose necessarie al viaggio, tanto più che in questo tempo ancora si potria procurare a dar qualche soddisfattione ad Umena ed ad altri, «e cosi unitamente riddursi in stato di quiete tutte le faccende, e che esortava il "re suo figliuolo ad applicarvi l'animo. Fontenay-Mareuil, Coll. Petitot, t. XVII, p. 467: « M. de Blainville, étant arrivé à Angers, y fut fort bien reçu de la reine et de M. de Luçon, et trouva, quand ce vint à parler d'affaires, toutes les « apparences si bonnes, qu'encore qu'on l'arrêtat souvent sur des difficultés affectées « et des prétextes recherchés, M. de Luçon ayant besoin de gagner temps, c'étoit avec a tant d'art, que M. de Blainville ne laissa pas de s'assurer que l'accomodement se

a

D

2

« feroit, et, ce qui étoit le pis, de le persuader à M. de Luynes... M. du Maine, sur qui la reine faisoit son principal fondement, ayant écrit qu'il étoit prêt à faire les

a

3

[ocr errors]

⚫ levées quand on voudroit, elle le manda à madame la Comtesse afin que M. le Comte ⚫ et elle la vinssent trouver, et elle rompit toute négociation avec M. de Blainville aussitôt qu'elle les sçut partis. Ambassadeur vénitien, 2 juillet : « Il prencipe « di Condé andato al suo governamento di Beri i di passati per dar ordine di levate, • s'aspetta di ritorno questa sera; all' arrivo di questo prencipe si farà qualche deliberatione a riparo di tanti mali che dal grosso partito della regina madre vengono « minacciati, etc. Bentivoglio, 10 juillet : « Il prencipe di Condé è tornato per la

[ocr errors]

cœur. Il voyait les événements accomplir toutes ses prophéties et marcher au gré de ses désirs. Le premier rôle dans l'État, ce rôle qu'il avait tant rêvé depuis la mort d'Henri IV, sous un nom ou sous un autre, la fortune le lui apportait naturellement et légitimement: grâce aux folles prétentions de la reine, grâce aussi à la faiblesse de Luynes, il était on il allait devenir le vengeur et le restaurateur de l'autorité royale; il allait comme disposer de la couronne. Toutes ces pensées confuses d'une grandeur extraordinaire qui avaient toujours été dans sa race et qui n'y périrent point avec lui, traversaient son esprit et l'enflammaient des plus orgueilleuses espérances 1. Déjà, depuis quelque temps, tout en ménageant Luynes et en affectant un grand zèle pour ses intérêts, il se piquait un peu moins de l'obséquieuse déférence qu'il lui avait d'abord témoignée, et sa légèreté, s'ajoutant à son arrogance naturelle, lui avait dicté plus d'une fois, en particulier et presque en public, des propos qui se ressentaient fort de la hauteur innée des Condé. Six mois après sa sortie de Vincennes le serviteur reconnaissant était insensiblement devenu un protecteur assez altier. A l'entendre2, c'était lui qui avait eu la

a

[ocr errors]

1

« posta, e cosi a cavallo è entrato nel Lovre, e tutto pieno di fango e di polvere è andato a trovar subito il re, vantandosi che egli solo aveva predetto il vero dei pericoli di S. M. e di Luines, e non avendo altro in bocca che fuoco e sanguine, ed ha dette «queste parole in particolare, che non mancava se non ammazzar Luines e levar la « corona al re. Egli farà il possibile per portar le cose alla guerra ed a tutte le estre• mità. Le pénétrant Bentivoglio reproche assez amèrement à la reine mère d'avoir, par son refus de s'accommoder avec Luynes, ranimé ces vieilles pensées dans Condé et de lui avoir fait une situation dangereuse pour la monarchie. Même dépêche du 10 juillet : « Ora Condé sarà trionfante et avrà assolutamente da questa parte il « tutto in man sua, e, quel ch'è peggio, l'istesso re e suo fratello; il che può dare « da temere, sapendosi dove Condé ha aspirato e che mala natura è la sua. La re« gina madre dovrebbe pur pensare a tutte queste cose, e di più che, se in questo tempo il re mancasse, Condé vorrebbe egli la regenza con l'armi che avrebbe in « man sua ed a sua discrezione, che dovrebbe succedere. Dio perdoni alla regina, etc. » —2 Voilà ce que nous apprend une dépêche de l'ambassadeur vénitien, du 23 juin, que, malgré son étendue, nous allons donner ici, du moins en partie, parce qu'elle fait entrer profondément dans l'esprit de Condé et dans le cœur même de la situation: «Ho havuta occasione questa settimana passata di esser due volte col prencipe « di Condé a cena ad un giardino qui vicino a Parigi et a un desinare ch' io gli diede « qui in casa, ove feci all' Eccellenza festino (lo chiamano quà). I discorsi che il «prencipe mi tenne in questi due congressi furono per lo più passionatissimi « contro la regina madre; professa egli in somma d'esserle acerrimo e palese inimico, e di portarsi co' i suoi consigli alla rovina di lei. Mi disse pero d'haver consigliato « che si fossero date buone parole all' ambasciator straordinario di Cesare et inten«tione anco d'aiuti effectivi per li affari di Germania, non già per essecutarli a ser« vitio del imperatore, ma solo per haver leggitimo apparente pretesto di metter insieme le troppe che hora sono in Ciampana, haverle pronte per voltarle poi a ridurre

« PreviousContinue »