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duisaient inévitablement une scène de désordre compromettante pour la majesté impériale. De telles erreurs, pourtant si faciles, mettaient les pauvres astronomes en danger de perdre leur charge, leurs biens, leur honneur, quelquefois leur vie1. Par suite d'une disgrâce pareille, arrivée en l'an 721 de notre ère, l'empereur Hiouen-tsong fit venir à sa cour un bonze chinois appelé Y-hang, renommé pour ses connaissances en astronomie. Après s'y être montré effectivement fort habile, il eut le malheur d'annoncer d'avance comme certaines deux éclipses de soleil, qu'on ordonna d'observer dans tout l'empire. Mais on ne vit, ces jours-là, nulle part, aucune trace d'éclipse, quoique le ciel se montrât presque partout serein. Pour se disculper, il publia un écrit dans lequel il prétendit que son calcul était juste, mais que le ciel avait changé les règles de ses mouvements, sans doute en considération des hautes vertus de l'empereur. Grâce à sa réputation, d'ailleurs méritée, peut-être aussi à sa flatterie, on lui pardonna3.

Les mêmes idées sur l'importance et la signification des éclipses de lune et de soleil, qui existaient chez les Chinois il y a plus de 4000 ans, y subsistent encore aujourd'hui, tout aussi fortes; et elles engendrent les mêmes exigences, devenues seulement moins périlleuses pour les astronomes, puisque ces phénomènes sont maintenant prévus plusieurs années d'avance avec une certitude mathématique dans les grandes éphémérides d'Europe et d'Amérique, qu'ils peuvent aisément se procurer. Pour savoir précisément où ils en sont à cet égard, j'ai eu recours encore à l'érudition inépuisable de M. Stanislas Julien, qui, en consultant un grand ouvrage de sa riche bibliothèque, intitulé Khing-ting-li-pon-tse-li, c'est-àdire Règlements du tribunal des rites, lequel a été publié par ordre impérial dans la 26' année du règne de l'empereur Tao-kouang (1846), y a trouvé, liv. CCII, la preuve indubitable que les cérémonies employées pour délivrer la lune et le soleil, au moment de leurs éclipses, se pratiquent encore de nos jours. Voici la traduction littérale de l'important passage qu'il en a extrait :

TEXTE.

Lorsque le soleil ou la lune sont éclipsés d'un fen ( de pouce) et «au-dessus, les règlements veulent qu'on les délivre (c'est-à-dire qu'on "pratique les cérémonies usitées pour les délivrer).

« Si l'éclipse est de moins d'un fen, ou si elle n'est pas visible, on ne

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3

Gaubil, Recueil de Souciet, partie II, p. 33. — Ibid. p. 73. — Ibid. p. 86.

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« doit rien faire pour délivrer l'astre. Lorsqu'il y a lieu d'observer les «fen et les divisions de fen de l'éclipse, de noter l'heure ou les minutes, de signaler la place et la position de l'astre, de dire si l'éclipse sera <«< visible, et n'atteindra pas un fen, ou bien si elle sera invisible, tout «< cela, d'après les règlements, est du devoir de l'astronome impérial, qui, cinq mois avant l'époque de l'éclipse, doit en faire un dessin et le pré<< senter avec son rapport à l'empereur. Alors, l'empereur rend un décret « où l'on annonce cet événement à tous les bureaux administratifs de la capitale, ensuite dans tout le département de Chun-thien-fou; enfin, on <«<en donne avis aux Pou-tching-sse (trésoriers de chaque province) des << 18 provinces de la Chine, au roi de Corée et au roi d'An-nam (Cochin<«< chine) qui tous, dans leurs localités respectives, doivent se conformer « au décret impérial. >>

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Remarque (à la suite du texte ci-dessus.) — Le 16 de la 4° lune de la 24° année de Tao-kouang (1844), il y eut une éclipse de lune. Le tribunal des rites, informé d'avance par le bureau impérial de l'astronomie, en avait fait son rapport à l'empereur, et, par ses soins, cet événement avait été annoncé dans toutes les provinces de l'empire.

Pour compléter les indications contenues dans le texte précédent, il restait à connaître le détail des cérémonies prescrites et pratiquées dans ces occasions. M. Stanislas Julien en a encore trouvé la description complète dans le Recueil des lois de la Chine, intitulé: Khing-ting-thai-thsinghoei-tien-sse-li, lequel, au liv. CCCLXXXIX, fol. 1, à la 2° année de l'empereur Chun-tch'i (1645), s'exprime ainsi :

«Toutes les fois qu'il arrive une éclipse du soleil, on attache des « pièces de soie à la porte du ministère des rites, appelée I-men; et, « dans la grande salle, on place une table pour brûler des parfums au << haut de la tour appelée Lou-thaï (la Tour de la Rosée). La garde impé«riale place 24 tambours des deux côtés, à l'intérieur de la porte I-men; «le Kiao-fang-sse place la musique ou les musiciens au bas de la tour « Lou-thai. Il place chaque magistrat au haut de la tour Lou-thai, à l'en<< droit où ils doivent s'incliner pour saluer. Tous sont tournés du côté ❝ du soleil. Quand le président de l'astronomie a annoncé que le soleil <«< commence à être entamé, tous les magistrats, en habit de cour, se << rangent et se tiennent debout. A un signal donné, ils se mettent à ge<<noux, et alors la musique commence à se faire entendre.

་་

Chaque magistrat fait trois prostrations et neuf révérences, après «<quoi la musique s'arrête. Quand les magistrats du tribunal des rites ont << fini d'offrir des parfums, tous les magistrats s'agenouillent. Le Kiao-sse<< kouan s'avance avec un tambour et la baguette du tambour; ensuite

«il frappe le tambour pour délivrer le soleil. Le président du ministère « des rites frappe trois coups de tambour, et alors on frappe tous les << tambours ensemble. Quand le président du bureau de l'astronomie a << annoncé que l'astre a recouvré sa forme arrondie, les tambours s'arrê« tent. Chaque magistrat s'agenouille trois fois, et frappe neuf fois la «terre de son front. La musique recommence; quand ces cérémonies << sont finies, la musique s'arrête. Puis tous les magistrats se retirent «< chacun de leur côté.

((

«Quand la lune est éclipsée, on se réunit dans le bureau du Thaï«<tch'ang (président des cérémonies), et l'on observe les mêmes rites « pour délivrer l'astre. »

Si j'ai insisté avec tant de détails sur ces pratiques superstitieuses que les Chinois conservent encore de nos jours, après que la cause purement physique des phénomènes célestes auxquels ils les appliquent, est connue de tous les peuples civilisés, et l'est probablement d'eux-mêmes, ce n'est pas pour me donner l'inutile plaisir de faire ressortir leur bizarrerie ou leur ignorance. En cela, comme dans l'observation des cérémonies relatives aux phases solaires, ce qu'il faut voir, c'est l'invariable persistance du gouvernement et de la nation chinoise dans les usages publics anciennement adoptés; persistance par suite de laquelle, à toutes les époques, et en toutes choses, pour eux, la gloire du présent a été de se montrer les stricts continuateurs du passé. Ce trait saillant et distinctif de leur caractère national nous a déjà servi, dans les pages précédentes, pour suivre, avec le fil d'une chronologie certaine, l'histoire de leur astronomie dans un intervalle de 30 siècles, depuis les dynasties actuelles jusqu'aux Tcheou. Ce même esprit de conservation va maintenant nous guider encore dans des temps plus reculés où nous le retrouvons le même; et, en le suivant, nous verrons se développer avec évidence les prescriptions mystérieuses de l'astronomie primitive contenue dans le Chou-king; prescriptions dont l'obscurité nous resterait impénétrable, si nous l'abordions sans nous y être préparés comme nous l'avons fait. Cela complétera et terminera l'exposé que je me suis proposé de faire de cette antique astronomie, qui, dans sa simplicité native, a suffi, pendant tant de siècles, aux besoins d'une société civile dont la population embrasse presque la moitié du genre humain.

(La fin à un prochain cahier.)

J. B. BIOT.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

L'Académie française a tenu, le jeudi 29 août, sa séance publique annuelle, sous la présidence de M. de Laprade, directeur.

Au début de la séance, M. Villemain, secrétaire perpétuel, a lu son rapport sur les concours, dont le résultat a été proclamé comme il suit :

PRIX DÉCERNÉS..

Prix de poésie. L'Académie avait proposé, pour sujet d'un prix de poésie à décerner en 1861, l'Isthme de Suez. Ce prix a été décerné à M. Henri de Bornier; une mention honorable a été obtenue par M. Ernest Boysse.

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Prix Montyon destinés aux actes de vertu. - L'Académie a décerné:

Un prix de 3,000 francs à M. l'abbé Soret, curé de Luzarches, Seine-et-Oise ; Un prix de 2,000 francs à Pierre Espagne, à Bordeaux;

Trois médailles de 1,000 francs : à Marie Grohan, à Paimbœuf, Loire-Inférieure ; à Louise et Hélène Frachon, à Lyon; à Anne Lahousse, à Mézidon, Calvados. Vingt médailles de 500 francs à Jeanne Charrion, à Lyon; à Marie Bellet, à Albi; à Marie-Anne Bonnin, aux Allouettes, Cher; à Édouard Coste, à Miquelon, Martinique; à Marguerite Darraba, à Montreuil-sous-Bois, Seine; à Marie-ThérèseDésirée Dubour, à Paris; à Françoise Estève, à Montpellier; à Pierrette-Denise Lavau, à Saint-Denis, Seine; à Marie Chalumeau, veuve Marchand, à Saint-Germain-desPrés, Maine-et-Loire; à Marie Lorant, à Chasseneuil, Charente; à Jenny Massol, à Saint-Projet, Tarn-et-Garonne; à Pierre-Léonore Morin, à Lisieux, Calvados; à Jean Perbet, au Puy, Haute-Loire; à Dorothée-Gertrude-Colette Pillet, à Bessan, Hérault; à Anne Pradier, à Billom, Puy-de-Dôme; à Marie-Thérèse-Victoire Ravaille, à Requista, Aveyron; à Pierre Sainton, à Buxeuil, Vienne; à Éloise-Brigitte Vinsot, à Cloyes, Eure-et-Loir; à Jean-Paul Teulé, trompette au 8 régiment de chasseurs à cheval, à Bou-Saada, Algérie; à Virginie Vacherand, à Thonon, Haute-Savoie.

L'Académie française a

Prix destinés aux ouvrages les plus utiles aux mœurs. décerné un prix de 3,000 francs à M. Lévêque, pour son ouvrage intitulé, La Science du Beau, étudiée dans ses principes, dans ses applications, dans son histoire, 2 vol. in-8°. Deux médailles de 2500 francs à M. Mézières, pour son ouvrage intitulé, Shakespeare, ses œuvres et ses critiques, 1 vol. in-8°; à M. Baudrillart, pour son ouvrage intitulé, Des rapports de la morale et de l'économie politique, 1 vol. in-8°.

:

L'Académie décerne une médaille de 2,000 francs au poëme de Mirèïo, en dialecte provençal, par M. Mistral.

Cinq médailles de 2,000 francs : à l'ouvrage de feu M. Tonnellé, intitulé, Fragments sur l'Art et la Philosophie, 1 vol. in-8°; à M. Xavier Marmier, pour son ouvrage intitulé, Gazida, 1 vol. in-12; à M. Maignen, pour son recueil de poésies intitulé, Rustiques, 1 vol. in-12; à M. Louis Ratisbonne, pour son ouvrage intitulé, La Comédie enfantine, 1 vol. in-8°; à M. Jules Lecomte, pour son ouvrage intitulé, La Charité à Paris, 1 vol. in-12.

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Prix extraordinaire provenant des libéralités de M. de Montyon. En 1859, l'Académie avait proposé un prix de 4,000 francs pour être appliqué à la meilleure traduction d'un ouvrage de philosophie morale appartenant à l'antiquité ou aux litlératures étrangères, laquelle aurait été publiée en grande partie ou complétée avant le 1" janvier 1861.

L'Académie décerne un prix de 3,000 francs à M. Bouillet, pour la traduction des Ennéades de Plotin, 3 vol. in-8°; et une médaille de 1,000 francs à M. Louis Judicis de Mirandol pour la traduction de la Consolation philosophique de Boëce, 1 vol. in-8°.

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Prix Gobert. L'Académie ayant, cette année, distingué deux ouvrages qui lui ont paru tous les deux également dignes du prix, a décidé que le grand prix de la fondation Gobert, pour l'année 1861, serait également partagé entre l'ouvrage de M. Dargaud, intitulé, Histoire de la liberté religieuse en France et de ses fondateurs, 4 vol. in-12, et l'ouvrage de M. Gérusez, intitulé, Histoire de la littérature française depuis ses origines jusqu'à la Révolution, 2 vol. in-8°.

L'Académie a décidé que le second prix de la fondation Gobert serait, cette année, décerné à l'ouvrage de M. Charles Mercier de Lacombe, intitulé: Henri IV et sa politique, 1 vol. in-8°.

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Prix Bordin. Le prix spécial de 3,000 francs, fondé par M. Bordin, pour encourager la haute littérature, est décerné, pour la présente année, à M. Sayous, pour son ouvrage intitulé, Histoire de la littérature française à l'étranger, pendant le XVIII siècle, 1 vol. in-8°.....

Prix Lambert. La récompense honorifique fondée par M. Lambert, pour rémunération de travaux littéraires, a été décernée, cette année, à M. Frédéric Godefroy, pour son ouvrage intitulé, Histoire de la littérature française, depuis le xvI' siècle jusqu'à nos jours, 2 vol. in-8°.

PRIX PROPOSÉS.

Prix d'éloquence. L'Académie avait proposé, pour sujet du prix d'éloquence à décerner en 1861, une « Étude littéraire sur le génie et les écrits du cardinal de

« Retz. »

Le prix n'ayant pas été décerné, le même sujet est remis au concours pour 1863. Le prix sera une médaille d'or de la valeur de 2,000 francs.

Les ouvrages envoyés à ce concours seront reçus jusqu'au 1a décembre 1862.

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