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Cet édit avait reçu l'approbation du parlement de Bordeaux et celle du parlement de Toulouse, en décembre de la même année 1; mais il n'en avait pas été ainsi en Béarn. Les protestants, sentant bien que l'édit nouveau ne leur laissait que la liberté et leur enlevait la domination, s'y opposèrent de toutes leurs forces, déclarant tout d'abord qu'il valait meux mourir que le recevoir2; et quand, en 1618, le commissaire du roi, le conseiller d'État Jacques Renard, seigneur de Bonchamps, envoyé pour procurer l'exécution de l'édit, se présenta au parlement de Pau, ce parlement, tout protestant et imbu des passions du pays, refusa de procéder à sa vérification3. Renard avait été insulté, forcé de quitter Pau et de se retirer à Dax. Sans demander l'autorisation du roi, les protestants s'étaient réunis à Orthez, le 25 mai 1618, et, l'ordre leur étant venu de se dissoudre, ils s'y refusèrent nettement; ils écrivirent de toutes parts pour demander que les autres Églises réformées de France leur envoyassent des députés; ils s'adressèrent aux grands seigneurs du parti pour réclamer leur concours, se mettant ainsi en révolte ouverte contre les lois fondamentales du royaume, et s'érigeant, de leur autorité privée, en états généraux du protestantisme. Le roi cassa cette assemblée, et adressa au parlement de Pau des lettres de jussion pour vérifier l'édit, et l'ordre formel à La Force, gouverneur de la province, de soutenir le commissaire royal. Mais La Force était protestant, et, en recevant l'ordre de la cour, il consulta, selon la mode du temps, non pas son devoir, mais son intérêt, et l'intérêt lui disait que le maintien de la domination protestante était le meilleur fondement de la sienne et de cette sorte de grand fief qu'il était parvenu à se faire dans le pays de Henri IV.

Jacques Nompar de Caumont, alors marquis, depuis duc de La Force, né au château de la Force, en Périgord, près de Bergerac, fut célèbre de bonne heure par le péril qu'il courut encore enfant dans le massacre de la Saint-Barthélemy, et auquel il n'échappa que par une présence d'esprit merveilleuse. Son père et son frère aîné venaient d'être égorgés sous ses yeux, tout couvert de leur sang, il se laissa tomber à côté d'eux en s'écriant: Je suis mort! Cet acte de prudence lui sauva la vie, et annonçait son caractère et toute sa carrière. Dévoué, comme on le pense bien, à la cause protestante, il se donna à Henri IV, le servit très-bien, partagea sa prospérité après avoir partagé ses mauvais jours, et devint successivement l'un des capitaines de ses gardes et gouver

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1 Mercure françois, pour l'année 1617, p. 330. —2 Ibid. p. 321. — 3 Ibid. année - Ibid. p. 219.

1618,

p. 214.

neur du Béarn et de la Navarre. Il était à côté du roi lorsque le poignard de Ravaillac le frappa, et il reçut dans ses bras son maître expirant. Depuis, sous la régence de Marie de Médicis, il avait vu décliner sa faveur, et les grands seigneurs catholiques des Pyrénées, les Grammont, les Montaut, les d'Albret, traverser son influence. En 1615, croyant, non sans raison, que les mariages espagnols inauguraient une politique nouvelle, contraire à l'intérêt protestant, et qui ne tarderait pas à lui enlever à lui-même ce pouvoir presque souverain auquel il était accoutumé, il s'unit au prince de Condé, et descendit de ses montagnes dans la basse Guyenne, où il possédait Bergerac et d'autres places importantes, afin de s'opposer au voyage de la cour et de barrer le chemin à l'armée royale qui accompagnait Louis XIII et la princesse Élisabeth. On dit même qu'il ne s'agissait pas moins que de s'emparer de la personne du jeune roi, d'abolir la régence de Marie de Médicis et d'y substituer celle du prince de Condé. Le coup ayant manqué, La Force avait été déclaré rebelle, et son gouvernement donné au chef de ses ennemis, le comte de Grammont, commandant de Bayonne. A cette nouvelle, La Force se hâte de quitter la Guyenne, il revient sur ses pas, bat et disperse les troupes de Grammont, se remet lui-même en possession de sa vieille autorité, et recommence à gouverner au nom du roi, comme si rien ne s'était passé. Cependant la cour avait envoyé sur les lieux le conseiller d'État Caumartin, avec l'ordre de faire reconnaître Grammont. La Force prend les devants, se pré. sente à Caumartin à l'entrée de la province, le fait monter dans sa voiture, le mène à son château, le comble de respects et d'hommages, mais ne le laisse parler à personne, lui faisant peur de l'esprit du pays, du parlement, du conseil, des états, et il finit par le renvoyer à Paris sans avoir pu remplir sa mission. Cette révolte, d'abord ouverte, puis habilement dissimulée, avait été couverte par le traité de Loudun en 1616. Mais La Force n'était pas changé, et, en 1618, il avait à peu près recommencé la même comédie : il avait eu l'air de travailler à faire agréer l'édit royal, bien entendu sans y réussir, et en mettant son apparente impuissance derrière les résolutions violentes du parlement de Pau; mais il s'était un peu démasqué en signant l'arrêt par lequel ce parlement se refusait à la vérification de l'édit. La Force était d'autant moins disposé à se compromettre aux yeux de ses coreligionnaires, en employant son crédit pour faire exécuter les ordres de la cour, qu'il n'avait guère à s'en louer, et qu'on venait de lui refuser le bâton de maréchal de France, qu'il prétendait lui avoir été promis. Il eût été sage d'en faire le prix de son obéissance, et peut-être l'ambition eût-elle

triomphé du calvinisme; mais Luynes ne crut pas pouvoir ou ne voulut pas, dans les circonstances présentes, donner un maréchal de plus aux protestants, qui déjà en avaient plusieurs, Lesdiguières, Sully et Bouillon de là l'humeur et le mécontentement de la Force, mal déguisés sous des démonstrations contraires1. Luynes et les vieux ministres de Henri IV le connaissaient et n'étaient pas dupes de ses manœuvres : ils lui adressèrent un de ses fils, Montpouillan, qui avait été élevé enfant d'honneur de Louis XIII, et que le roi aimait beaucoup2, en le chargeant de bien faire comprendre à son père que le roi voulait être obéi, et qu'il y allait de la disgrâce de toute leur maison.

Les choses en étaient là, lorsque, au commencement de 1619, arriva la fuite de la reine mère de Blois, bientôt suivie du traité d'Angoulême, et un peu après la demande que firent les protestants d'une assemblée

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Fontenay-Mareuil, Mémoires, ibid, p. 395. Rohan, Mémoires, édit. in-12, à la sphère, p. 103: « La Force promit de servir à faire exécuter l'édit moyennant une charge de maréchal de France qu'on lui promit; mais la difficulté qu'il y rencontra « et le dépit qu'il eut de ce qu'on se moquoit de lui à la cour fut cause qu'il se voulut « maintenir de tous côtés. » — Mémoires de Fontenay-Mareuil, ibid. : « Le roi aimait « mieux Montpouillan que tout autre, excepté Luynes.» (Voy. les Mémoires de La Force et de ses deux fils Montpouillan et Castelnaut, publiés par M. le marquis de la Grange, 4 vol. in-8°, 1843.) Les mémoires du père sont accompagnés de Correspondances authentiques très-précieuses, qui jettent beaucoup de jour sur l'époque de l'histoire de France que nous étudions. Il est à regretter que les mémoires de Montpouillan et de Castelnaut soient dépourvus de semblables pièces justificatives, et remplis d'assertions étranges qu'aucun document ne soutient, et qu'une saine critique ne peut admettre. Est-il, par exemple, le moins du monde vraisemblable que le jeune Montpouillan ait été le vrai favori de cœur de Louis XIII, et non pas Luynes; que ce ne soit pas Luynes, mais Montpouillan, qui joua le premier rôle dans la conspiration contre le maréchal d'Ancre; que l'affaire du Béarn ait eu pour objet principal la ruine de La Force, et que Luynes n'ait voulu perdre le père que pour éloigner le fils et se délivrer d'un rival que le roi lui préférait? Évidemment ce sont là des rêves de l'orgueil et de la haine. 1° Louis XIII a sans doute eu du goût pour le jeune Montpouillan, comme l'atteste le très-bien informé Fontenay, et Luynes a très-bien pu en être jaloux et saisir quelque prétexte pour l'éloigner; mais cette obscure compétition n'a jamais eu l'importance que les mémoires nouveaux lui attribuent, et ni Richelieu, qui déteste Luynes, ni Bentivoglio, ni l'ambassadeur vénitien, n'en font la moindre mention; 2° les récits les plus détaillés et les plus certains de la journée du 24 avril 1617, ni celui de Marillac, ni celui de d'Andilly, ne nomment pas même Montpouillan; 3° la vraie cause de l'affaire du Béarn est le dessein depuis longtemps arrêté de mettre un terme à la tyrannie protestante, et ce qui pensa perdre la maison de La Force, c'est une ambition mal entendue, ou, si on l'aime mieux, son obstination à mettre l'intérêt du parti calviniste au-dessus de celui de la France et de la royauté, comme elle l'avait fait en 1615 et comme elle le refit encore en 1652, dans la dernière Fronde, en Guyenne, sous un autre Condé. (Voyez MTM de Longueville pendant la Fronde, ch. 11, p. 94.)

générale. Le roi pressentait bien qu'elle serait très-orageuse; il l'autorisa pourtant, par une ordonnance du 23 mai, dans la ville de Loudun, en Poitou, une des places de sûreté des protestants, et l'assemblée s'ouvrit le 26 septembre.

Pour bien juger les actes de cette assemblée, il faut les mettre en regard de l'édit de Nantes.

L'édit de Nantes n'est point un monument de législation philosophique qui se puisse apprécier d'après nos idées modernes; c'est une œuvre politique, qui emprunte sa signification et sa valeur des circonstances d'où elle est sortie; c'est un traité de paix après des guerres longues et acharnées, une transaction compliquée et laborieuse entre deux partis également violents, qui, en posant les armes par lassitude et par nécessité, gardaient leurs ressentiments et leurs prétentions. Catholiques et protestants n'avaient aucune idée de la liberté religieuse, telle que nous l'entendons aujourd'hui, et l'esprit de secte étouffait en eux jusqu'au sentiment national, les ligueurs ayant songé à un roi espagnol, et une assemblée protestante ayant invoqué, même en 1598, la protection des Provinces-Unies et de l'Angleterre. Henri IV avait eu des peines infinies à leur faire accepter l'édit de pacification, et tous avaient fait de continuels efforts pour sortir des limites que l'édit opposait à leurs passions. Les protestants surtout, à force d'opiniâtreté et d'importunité, avaient arraché à Henri IV de nouvelles et importantes prérogatives. Loin d'autoriser des assemblées générales politiques, très-différentes des colloques et synodes particuliers, l'édit de Nantes les interdisait de la façon la plus formelle 2. Mais les protestants avaient réclamé le droit de faire

1 Donné à Nantes en 1598, enregistré au parlement en 1599, avec quelques modifications, composé de quatre-vingt-douze articles généraux et publics, de cinquante-six articles particuliers et secrets, et de trois brevets additionnels. On parle beaucoup de cet édit, on ne le connaît guère; il est bien différent de ce qu'on dit. (Voyez-le au t. Ier de l'Histoire de l'édit de Nantes (par Benoît), 4 vol. in-4°, Delft, 1693, ouvrage aussi passionné que médiocre, et dont l'auteur ne se pique pas de la moindre impartialité, mais où toutes les pièces officielles de quelque importance sont réunies à la fin de chaque volume.2 Art. 82 : « Ceux de ladite religion se départiront et désisteront dès à présent de toutes pratiques, négociations et intelligences, tant dedans que dehors <«< notre royaume; et lesdites assemblées et conseils établis dans les provinces se sépareront promptement, et seront toutes ligues et associations faites ou à faire, sous « quelque prétexte que ce soit, au préjudice de notre présent édit, cassées et annu«<lées comme nous les cassons et annulons, défendant très-expressément à tous nos sujets de faire dorénavant aucunes cotisations et levées de deniers sans notre pera mission, fortifications, enrôlemens d'hommes, congrégations et assemblées, autres « que celles qui leur sont permises par notre présent édit, et sans armes; ce que « nous leur prohibons et défendons sur peine d'être punis rigoureusement, et comme

entendre leurs observations sur l'exécution des divers articles de l'édit; et, comme le conseil n'aurait pu suffire à examiner toutes ces observations et à y répondre, Henri IV avait accordé qu'il y aurait deux personnages chargés de représenter le corps entier de leurs coreligionnaires et de suivre leurs intérêts auprès des différents ministres. Les protestants se seraient crus opprimés, si le roi eût choisi lui-même parmi eux ces deux importants personnages, en sorte que peu à peu il avait été convenu qu'il y aurait de temps en temps, et, en général, tous les trois ans, avec la permission et sous l'autorité du roi, des assemblées qui rédigeraient un cahier des griefs ou des voeux qu'elles auraient à exprimer, et éliraient six députés sur lesquels le roi en choisirait deux pour résider auprès de lui sous le titre d'agents ou députés généraux. C'était certes là une précieuse conquête; elle ne suffit pas aux protestants. Après la mort de Henri IV, qui les protégeait à la fois et les contenait, ils reprirent toutes leurs vieilles prétentions d'indépendance, et, dès 1611, à Saumur, une assemblée, composée de grands seigneurs ambitieux et de ministres fanatiques, non contente d'envoyer à la régente Marie de Médicis un cahier de griefs et de vœux exorbitants, osa dresser, en se séparant, comme son testament et comme l'idéal qu'il fallait poursuivre, un règlement, appelé Règlement général, qui renversait de fond en comble l'édit de Nantes, rétablissait l'union, interdite par l'édit, de toutes les Églises du royaume, instituait dans chaque province un conseil ayant le droit de s'entendre avec les conseils des provinces voisines, et de ces différents conseils, déjà si redoutables, tirait un conseil suprême, investi d'une vraie souveraineté1. Sous cette inspiration factieuse, on essaya, en 1612, de former à Paris même une sorte d'assemblée qui prétendait n'avoir pas besoin de l'autorisation royale, comme

« contempteurs et infracteurs de nos mandemens et ordonnances. » Il n'y avait point d'article auquel Henri IV tînt plus qu'à celui-là, qui interdisait aux Églises des diverses provinces de correspondre ensemble et de faire des ligues quelconques. Mémoires de la Force, t. I, Correspondances, p. 455, Henri IV à la Force, 26 avril 1607: «J'ai eu avis qu'entre les autres points qui ont été traités et arrêtés au der«rier synode tenu en ma ville de la Rochelle, celui d'associer et joindre les Églises de mon pays souverain de Béarn à celles de France en est l'un, et un autre de faire un fonds d'argent en ladite ville, ce que je trouve fort mauvais; de quoi je vous ai bien voulu avertir par celle-ci, afin que vous fassiez entendre à ceux de la «religion prétendue réformée de mondit pays que c'est chose que je leur défends « très-expressément. » — 1 Histoire de l'édit de Nantes, t. II, p. 58 et suiv. L'auteur trouve ce règlement excellent et capable de rendre les réformés invincibles; mais il est forcé d'avouer que ce règlement souleva les catholiques, et que ceux-ci, profitant de l'exemple qui leur était donné, menaçaient de recommencer la Ligue.

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