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du Chi-king et du Chou-king, que nous trouvons littéralement reproduits dans les textes de ces deux ouvrages qui nous sont parvenus? Tout cela ne forme-t-il pas un ensemble de documents dont l'autorité générale ne peut être raisonnablement contestée?

J'avais écrit les lignes qui précèdent, en me laissant guider par les seules lumières que m'avaient données la lecture attentive de la traduction du Chi-king et les détails de moeurs que mon fils en a tirés. Mais, depuis, j'ai obtenu de M. Stanislas Julien l'expression de l'opinion personnelle qu'il s'est faite de cet ouvrage; et, comme les jugements de ce profond sinologue sur toutes les productions de l'ancienne littérature chinoise ont une autorité que personne ne pourrait contredire ou balancer, je vais rapporter ici textuellement la note qu'il a bien voulu m'écrire sur ce point important d'érudition.

« Le Chi-king, ou Livre des vers, est, après le Chou-king, le monument « le plus ancien de la littérature chinoise. C'est aussi celui qui a été le « mieux conservé, parce que les Chinois ayant été, dès les temps les plus « reculés, dans l'usage d'en apprendre par cœur les chansons et les « odes, l'incendie des livres n'a pu l'effacer de la mémoire des hommes. « C'est pourquoi, après la domination tyrannique de Thsin-chi-hoang-ti, « les empereurs des Han, qui employèrent tous leurs soins à la restau«ration des lettres, réussirent à recueillir trois cent cinq odes et chan<«<sons, sur trois cent onze que Confucius avait choisies, comme les plus <«< intéressantes et les plus belles, parmi trois mille environ qui existaient « encore de son temps.

<«<La première partie, appelée Koue-fong, ou mœurs des royaumes, « se compose de chansons populaires que les empercurs recueillaient «quand ils parcouraient leurs domaines pour connaître les mœurs de chaque royaume, le caractère des habitants, et les sentiments favo«<rables ou défavorables que leur inspiraient le gouvernement impérial <«< ou l'administration de leurs propres princes. Les reguli étaient tenus «de présenter à l'empereur, qui venait les visiter, les chansons qui « avaient cours dans leur royaume. L'empereur, après les avoir lues, « les confiait à l'intendant de la musique, qui était chargé de les exa« miner et de les conserver.

«La deuxième partie, appelée Siao-ya (ce qui est excellent en second <«< ordre), et la troisième partie, intitulée Ta-ya (ce qui est excellent en «premier ordre), sont des odes, toujours contemporaines des événements, <«< où l'on célèbre tantôt les louanges des empereurs, tantôt celles des « reguli ou des hommes les plus renommés. Il y a des odes qui se <«< chantaient dans des repas solennels, après les obsèques des princes

«ou des grands. Dans d'autres odes, on critique la conduite des empe<«reurs ou des ministres, on recommande les travaux agricoles, ou l'on «déplore les calamités publiques.

« La quatrième partie est appelée Song. C'étaient des hymnes, ou des « chants solennels, que chantaient les empereurs des Tcheou ou les rois « de Lou, quand ils offraient des sacrifices funèbres en l'honneur des « empereurs des Chang qu'ils reconnaissaient pour leurs aïeux. Il est un fait qui établit, de la manière la plus frappante, la haute antiquité « de ces compositions poétiques, c'est qu'elles ont été toutes écrites, à «l'époque même des événements qui les ont inspirées, tantôt dans la langue vulgaire des habitants des campagnes (quand ce sont des chan«sons recueillies dans les villages), tantôt dans le style noble et élevé, "propre aux personnages les plus éminents, quand ce sont des hymnes « où l'on célèbre les vertus, les hauts faits ou les victoires des Tcheou. «La partie la plus ancienne du Chi-king est, sans contredit, la section "appelée Chang-song (chants de la dynastie des Chang), qui contient les «odes funèbres que chantaient eux-mêmes les empereurs des Chang, « entre les années 1766-1154 avant J. C. (suivant le Kang-mou), et « entre les années 1558-1102 avant J. C. (suivant la chronique inti«tulée Tchou-chou)'.

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«Sans le secours des explications que la tradition a conservées, et qui sont parvenues jusqu'à nous, le style des différentes parties du Chi-king serait complétement inintelligible, non-seulement pour les "personnes qui comprennent les textes chinois de l'époque présente, "mais encore pour celles qui peuvent lire les écrits des auteurs qui ont «vécu quatre ou cinq siècles avant notre ère.

«On peut ajouter qu'il y a dans le Chi-king un bon nombre d'ex"pressions dont le sens est inconnu aujourd'hui, et une multitude de comparaisons qui avaient sans doute une grande valeur à l'époque où elles ont été employées, mais dont le sens et l'application ont échappé "même aux commentateurs qui, dès la dynastie des Han, se sont oc«cupés d'expliquer et de paraphraser le Chi-king.

«Les termes obscurs qu'on rencontre souvent dans le Chi-king, et qui, depuis plus de 2000 ans, s'emploient constamment avec leur significa«tion primitive, n'ont pas peu contribué à la difficulté du Kon-wen ou style antique, qui est propre à l'histoire et à toutes les compositions ❝d'un caractère noble et élevé. Les Chinois accordent une estime parti

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Pour l'appréciation de ces ouvrages et des autres documents sur lesquels s'appyie la chronologie chinoise, voyez le traité du P. Gaubil.

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<«< culière aux auteurs dont les écrits sont le plus nourris d'expressions antiques, comme celles qu'on emprunte au Chou-king et au Chi-king. Il « résulte de là que ces mêmes écrits ne peuvent, dans beaucoup d'en« droits, être compris à fond que lorsque l'on possède au plus haut de«< gré la connaissance matérielle des expressions sacramentelles du Chou« king et du Chi-king, et l'intelligence précise et complète des idées qu'on «y attachait dans la haute antiquité. »

Aux considérations que je viens de rassembler, j'ajouterai un dernier argument, qui me paraît avoir la force d'une démonstration mathématique. La masse de documents écrits, recueillis sous les Han, et réputés antérieurs à l'incendie des livres, est immense; et la diversité des sujets qui y sont traités embrasse tous les genres de connaissances que les Chinois pouvaient avoir accumulées pendant une longue suite de siècles. A mesure que ces écrits ont apparu, les lettrés et les astronomes des Han se sont appliqués à les mettre en ordre, à en éclaircir tous les détails par des commentaires minutieux, dans lesquels ils signalent les portions du texte ancien qu'ils reconnaissent pour authentiques et celles qu'ils avouent avoir été altérées, ou être irréparablement perdues; poussant le scrupule jusqu'à indiquer, par des carrés vides, les caractères que le temps a détruits, ou rendus inintelligibles, sans jamais se permettre de les remplacer arbitrairement; de sorte que, par leurs travaux réunis, quoique non concertés, tous ces précieux restes du passé ont été remis dans une pleine lumière. Maintenant, si l'on ne devait voir dans tout cela que des productions apocryphes, comme un célèbre indianiste vient de le prétendre, il faudrait supposer qu'après de si longs bouleversements et de si effroyables guerres, qui ont précédé l'avénement des Han, il aurait surgi, tout à coup, parmi les Chinois, une classe nombreuse de faussaires, capables de reconstruire spéculativement toute l'antiquité historique, philosophique, et littéraire de leur patrie, avec assez d'érudition, d'adresse, et d'apparence de vérité, non-seulement pour faire illusion à leurs contemporains et à la postérité, mais encore pour imposer désormais aux empereurs, et à la nation entière, des croyances, des préjugés, des cérémonies officielles, et des règlements d'administration publique, provenant de leur imagination! Que sera-ce, si, à tant d'invraisemblances, on ajoute d'anciennes éclipses de soleil, mentionnées comme ayant été vues dans des lieux et à des dates de jours, pour lesquelles nos calculs les confirment; d'anciennes positions. du solstice d'hiver, parmi les divisions équatoriales, que nous trouvons précisément convenir aux époques où on les présente comme observées; toutes choses que les astronomes des Han étaient hors d'état d'as

signer avec tant de justesse, pour des temps si éloignés d'eux, puisque cela aurait exigé des calculs rétrospectifs, dont ils n'avaient pas même les premiers éléments! Ici la fabrication a posteriori n'est pas seulement invraisemblable, elle est IMPOSSIBLE. J'admettrai donc, en toute assurance, que les documents réputés antérieurs à l'incendie des livres, qui ont été retrouvés sous les Han, sont irrécusablement authentiques dans leur ensemble. Et joignant aux matériaux que j'en ai déjà extraits, ceux que j'y pourrai puiser encore, je vais me servir des uns et des autres, pour reconstruire, aux yeux de mes lecteurs, l'ancien calendrier lunisolaire des Chinois, cette œuvre d'astronomie primitive, qui a précédé de bien loin les efforts de la science grecque pour en former un du même genre, beaucoup moins simple. Cela complétera le tableau d'histoire et de mœurs que j'ai voulu retracer.

J. B. BIOT.

(La suite à un prochain cahier.)

LE DUC ET CONNÉTABLE De Luynes.

TROISIÈME ARTICLE1.

Disons d'abord que la Navarre et le Béarn, héritage de Henri IV, avaient continué, sous son règne et après sa mort, de former un État souverain, qui reconnaissait bien en principe l'autorité de la couronne, mais en était réellement indépendant, avait son conseil, ses places fortes, ses troupes particulières; petit royaume à part, où les protestants faisaient la loi. Déjà, en décembre 1616, le ministère où Richelieu venait d'entrer avait trouvé fort extraordinaire un tel ordre de choses en France, et une déclaration royale, sous le nom modeste d'Avis 2, avait au moins rappelé les droits du roi et l'intérêt évident de l'État, dans une province

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les deux premiers articles, les cahiers de mai et juin 1861.- Mercure françois, pour l'année 1616, p. 313 et suiv.: Avis pour la réunion de la terre de

Voir, pour
Béarn à la couronne de France.

frontière, sans cesse exposée aux incursions des Espagnols et qui demandait plus qu'aucune autre un gouvernement concentré. Les catholiques avaient applaudi à cette déclaration, mais les protestants l'avaient1 très-vivement combattue, et elle était restée sans nul effet au milieu des troubles qui survinrent. Autrefois, au temps de la reine Jeanne, ces grands prédicateurs de la tolérance religieuse avaient supprimé tout exercice public de la religion catholique en Navarre et en Béarn, et interdit aux catholiques tout emploi; ils s'étaient emparés des cathédrales et de tous les édifices diocésains; ils avaient aboli les évêchés, et dépouillé de leurs biens tous les officiers ecclésiastiques, qui n'avaient plus de quoi soutenir leurs écoles et subvenir aux dépenses de leur culte, menacé de bientôt s'éteindre. Henri IV avait adouci cette oppression, sans l'ôter entièrement; il avait relevé les catholiques de l'interdiction d'occuper aucun emploi, rétabli sinon partout, du moins en plusieurs lieux, l'exercice public de leur culte, et même deux évêchés, Oleron et Lescar; mais, par un compromis bizarre, que la raison condamne aisément, mais que la politique absout dans les difficiles conjonctures où se trouvait Henri IV, au lieu de rendre les biens ecclésiastiques à leurs légitimes propriétaires, pour ne pas troubler les usurpateurs dans une possession déjà longue, il avait imaginé d'affecter à la religion catholique le revenu de ses propres domaines situés dans le pays. Les catholiques n'avaient cessé de réclamer contre une pareille mesure: ils ne voulaient pas que l'exercice de leur culte reposât sur le revenu de biens protestants; ils demandaient que chaque culte vécût de ses propres biens. Le bon roi leur avait toujours promis un meilleur avenir. Les états généraux de 1614, les trois ordres réunis, avaient énergiquement sollicité une réparation nécessaire. Louis XIII s'était senti assez fort pour être juste. Le 25 juin 16172, il rendit un édit qui rétablissait partout l'exercice de la religion catholique, restituait aux officiers ecclésiastiques les biens qui leur appartenaient, et, par un procédé inverse de celui de Henri IV, mais plus naturel et plus équitable, mettait au service de la religion protestante tous les domaines de son père et de sa famille en Béarn, et même, s'il était besoin, d'autres domaines royaux. L'administration de ces domaines était livrée aux protestants, et toutes les précautions étaient prises pour que le revenu jugé nécessaire aux dépenses du culte réformé fût assuré et maintenu tel qu'il devait être.

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Mercure françois, pour l'année 1617, p. 318: Arrêt de ceux de la religion prétendue réformée en Béarn, sous le nom d'états généraux extraordinairement assemblés (à Pau, février 1617), pour s'opposer à la réunion du Béarn à la France. — 2 Ibid. année 1617, p. 70.

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