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Ce qui n'est pas douteux, c'est que le temple lui-même, le temple de Thésée, a dû être bâti sous l'administration de Cimon, fils de Miltiade, c'est-à-dire plus d'un grand quart de siècle avant la construction du Parthenon, lorsque Phidias était encore enfant. Or s'ensuit-il que toutes les sculptures de ce temple et notamment celles de la frise orientale soient de la même époque? Tout d'abord on le suppose, et, sur la foi des dessins qui nous retracent cette frise, l'idée ne vient pas d'en douter; mais la vue de ces plâtres change pour nous la question. Si c'est du temps de Cimon que ces figures ont été sculptées, pourquoi Phidias passe-t-il pour avoir affranchi la sculpture athénienne? Sa besogne était faite avant qu'il vînt au monde. Quoi de plus libre et de plus souple que ce long bas-relief! Tout mutilé qu'il est, on en peut parfaitement juger soit qu'on le considère dans son ensemble, au point de vue de la composition et de l'enlacement des figures, soit qu'on étudie, pièce à pièce, les détails de l'exécution, y trouve-t-on la moindre trace de roideur hiératique, le moindre souvenir d'archaïsme, le reflet le plus éloigné des préceptes éginétiques? Pour dire notre impression tout entière, ce qui nous a d'abord frappé, en voyant pour la première fois, à l'école des Beaux-Arts, les douze fragments juxtaposés dont se compose cette frise, c'est le caractère en quelque sorte académique de la sculpture. Nous n'entendons par là exprimer aucun blâme sur la valeur de l'œuvre, nous ne voulons qu'indiquer combien l'artiste est exempt d'archaïsme. Toute proportion gardée, il y a chez lui comme le prototype de nos grands prix de Rome. C'est dans ce goût, dans cet esprit, qu'on demande à nos élèves de traiter leurs compositions. Le sculpteur inconnu de qui nous vient ce bas-relief n'obéit pas encore aux canons scolastiques, aux procédés savamment usuels qui, pendant plusieurs siècles, ont maintenu la sculpture grecque dans un état de prospérité moyenne et stationnaire, à distance presque égale de la décadence et de l'inspiration primitive; il ne s'est pas encore soumis à ces pratiques d'atelier, mais déjà vous sentez que sa pente est de ce côté bien plutôt que du côté du vieux style.

Or, s'il eut travaillé par ordre de Cimon, en serait-il ainsi? Nous nous bornons à poser la question, elle est au moins embarrassante. Il faut ne tenir aucun compte de la chronologie de l'art, telle que l'ont établie les recherches les plus récentes et les plus fines observations des critiques les plus autorisés, ou il faut consentir à supposer que ces sculptures, n'importe par quel moyen, sont postérieures de cinquante ans peut-être à la construction du temple, et, par conséquent, plus récentes que les metopes et que la frise du Parthénon.

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Nous ne voulons pas, en ce moment, justifier par des comparaisons de détail l'opinion que nous émettons; ce qui nous importe plus que cette question particulière, c'est de constater, en général, l'extrême utilité des moulages pour l'avancement des études esthétiques et archéologiques. Sans une épreuve exacte, sans un fac-simile plastique, certaines appréciations sont impossibles en sculpture, et par exemple ici, la question que nous venons de poser, ces plâtres seuls, nous l'avons déjà dit, pouvaient la faire naître. Tout autre mode de reproduction, le crayon même le plus habile, l'appareil photographique même le plus parfait, ne donneraient qu'une idée trop approximative soit de l'élévation des reliefs, soit de la nature du travail, pour qu'on se hasardât à rien conjecturer. Parmi tant de disgrâces dont l'affligent nos modernes sociétés, la sculpture a ce rare privilége de pouvoir faire traduire et multiplier ses œuvres avec une exactitude et une facilité inconnues à tous les autres arts. Dans ce travail de propagande, il est juste de lui venir en aide et de favoriser par de nombreux moulages bien faits, bien dirigés, la connaissance et l'étude des chefs-d'œuvre de la sculpture antique.

Ceci nous conduirait à parler, comme nous en avons dessein, de cette autre collection de plâtres qui n'est encore qu'en germe, mais qui, conçue et surveillée par un de nos savants confrères, M. Ravaisson, a droit à l'attention la plus sérieuse. L'espace nous manquerait aujourd'hui pour expliquer le but et la destination de ces moulages, nous nous réservons donc d'en faire l'objet d'un prochain article.

Aussi bien nous avons encore deux mots à dire de quelques-uns des plâtres exposés à l'école des Beaux-Arts. Peut-être ces fragments de stèles funéraires sont-ils un peu nombreux : on y trouve çà et là de naïves et charmantes figures, mais ce genre de sculpture sent un peu la fabrique; ce sont de curieux échantillons d'un travail de manœuvres, dont, il est vrai, chez nous bien des maîtres pourraient s'enorgueillir. Une de ces stèles cependant mérite une mention particulière, soit par ses dimensions, soit par son style et par la nature du sujet : c'est celle qui représente l'ombre d'un père apparaissant à son fils qui le pleure. Il y a dans l'attitude et dans la figure du fils je ne sais quoi de rêveur et de tendre la statuaire antique a rarement exprimé avec un tel bonheur. Ce sont aussi deux morceaux d'un grand prix que ces deux petits fragments trouvés dans le déblayement de l'Acropole et représentant l'un, des danseuses du type le plus fin et le plus élancé, l'autre des athlètes se grattant avec le strigile. Nous signalons enfin comme curiosité cette statue à peine dégrossie, qu'une cause inconnue a fait abandonner par l'artiste; trouvée dans la carrière en cet état d'ébauche, elle a cela de re

que

marquable que le marbre, dans la partie inférieure, n'a pas la dimension nécessaire pour l'achèvement de la figure. Il y a donc lieu de croire que le sculpteur, procédant à la façon de Michel-Ange, avait attaqué le marbre du premier jet, sans modèle préalable et sans metteur au point. Du reste, il est douteux que la statue fût devenue un chefd'œuvre; elle doit appartenir à l'époque de la domination romaine. Ce n'en est pas moins un précieux témoignage pour l'histoire de la sculpture antique que cette statue ébauchée, et M. F. Lenormand a bien fait d'en rapporter l'empreinte. Ce qui nous semble digne d'éloges dans les choix qu'il a faits, c'est qu'il s'est préoccupé tout à la fois de l'art et de son histoire. Sans avoir enrichi la collection de l'école des BeauxArts de chefs-d'œuvre hors ligne et inconnus, il a bien rempli sa mission en fournissant d'amples sujets d'étude et aux artistes et aux archéologues.

L. VITET.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

SOCIÉTÉS SAVANTES.

Nous avons annoncé, dans le cahier de mars 1857, page 207, le prix de 300 livres sterling (7,500 francs), proposé par un ancien fonctionnaire civil de la compagnie des Indes sur la philosophie indienne. Le prix n'ayant pu être donné, il est remis au concours, et nous recevons un programme nouveau, que nous portons à la connaissance du public savant. En voici la traduction :

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« 1° L'époque fixée pour le dépôt des ouvrages des concurrents au prix de 300 liavres sterling offert, en janvier 1857, par la Société royale asiatique de Londres pour « la meilleure histoire et exposition, soit en allemand, soit en français, du système Vé« dânta considéré comme philosophie et comme religion, étant expirée le 1" avril « 1860, et aucun candidat ne s'étant présenté, la personne qui a proposé le prix croit devoir renouveler son offre, en la modifiant comme il suit ;

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"2° La somme de 300 livres sterling sera donnée en prix à la meilleure histoire « et exposition du système Védânta, écrite en anglais, en français ou en allemand,

1

« et embrassant les sujets suivants : A. Une esquisse historique de l'origine et des " premiers développements des doctrines du Védânta, tirée des hymnes védiques, des Brahmanas, des Oupanishads, ou de tout autre ancien ouvrage indien antérieur « aux Brahmasoûtras; B. Une dissertation sur la Çàrîrakamîmânsâ ou Brahmasoùtras, leur date, leur auteur, leur formation, leur but et leurs rapports polémiques « ou autres avec les soûtras ou doctrines telles qu'elles ont existé avant les soûtras « des cinq autres Darçanas et avec les écoles prétendues hérétiques de la philosophie indienne; C. Une traduction littérale dans une des trois langues indiquées ci-des« sus de la Çârîrakamîmânsâ ou Brahmasoûtras attribués à Badarayana, le texte ori«ginal de ces soûtras devant être donné soit en dévanagari, soit en lettres romaines Ou italiques, avec une traduction de tout le commentaire de Çankarâtchâryya, intitulé Çârîrakamîmânsâ Bhashya, et avec des notes explicatives du sens exact de ces « soùtras, aussi bien que du sens donné par Çankara dans son commentaire; D. Un exposé des principales variations de la doctrine introduite par les auteurs védantiques postérieurs à Çankarâtcharyya.

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3° Quand un document de quelque importance sera tiré d'un manuscrit sanscrit encore inédit, ou d'un texte publié, mais d'un accès difficile pour les savants d'Europe, les passages cités devront toujours l'être soit en dévanagari, soit en lettres romaines ou italiques.

4° M. le professeur Christian Lassen, de Bonn; M. Adolphe Regnier, membre de l'Institut de France, et M. le professeur Goldstücker, du Collége de l'Univer«sité, à Londres, ont bien voulu consentir à examiner les ouvrages des concurrents « et à juger de leur mérite. En cas de dissentiment entre les trois examinateurs, les « points controversés sur la valeur des ouvrages présentés ou sur les moyens de résoudre la difficulté seront décidés par un sur-arbitre approuvé par le conseil de la Société royale asiatique.

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5° Les concurrents, dont les ouvrages devront être lisiblement écrits, et porteront une épigraphe avec une lettre cachetée contenant le nom de l'auteur et repro«duisant l'épigraphe, auront le soin de faire parvenir leurs manuscrits, sans frais, « à la Société royale asiatique, 5, New-Burlington street, Londres W, le 1" octobre 1864. Mais les examinateurs auront la faculté d'admettre, s'ils le jugent convenable, quelque ouvrage qui arriverait un peu après celle époque. Tout manuscrit trop peu « clairement et lisiblement écrit pourra être exclu du concours. Dans une fettre sépa« rée accompagnant l'envoi, les concurrents indiqueront particulièrement leur nom « et leur adresse au secrétaire de la Société royale asiatique, pour qu'on puisse leur « accuser réception de leurs envois, et faciliter, s'il en est besoin, l'exécution de «l'article 7 suivant.

6° Les examinateurs pourront n'accorder que le tiers, la moitié ou les deux tiers du prix, ou même n'accorder aucune partie du prix, à un des candidats, s'ils recon. "naissent que les traductions et dissertations envoyées au concours n'ont pas mérité <«<le prix entier dans le premier cas, ou une partie quelconque du prix dans le second

cas.

7° Un des ouvrages ou plusieurs ouvrages pourront être rendus à leurs auteurs "pour des rectifications ou des recherches complémentaires sur quelques points « spéciaux avant que le prix ne soit définitivement accordé, selon que les juges le

a trouveront convenable.

8° Le montant du prix qu'accorderont les juges sera remis par le conseil de la Société royale asiatique, d'après le rapport des examinateurs ou du sur-arbitre, et après l'ouverture de la lettre cachetée portant l'épigraphe de l'ouvrage reconnu le

« Signé : J. W. REDHOUSE.

«Secrétaire de la Société royale asiatique,

New-Burlington street, 5, Londres W..

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L'Esprit de la guerre, par N. Villiaumé. Paris, imprimerie de Bourdier, librairie
de Didier, 1861, in-8° de XII-407 pages. L'auteur de cet ouvrage déclare, dans sa
préface, que son but principal est d'établir les principes du « nouveau droit des
« gens »
» issu de la révolution et qui n'est encore que dans l'intuition ou dans les
aspirations des peuples et des gouvernements de bonne foi. » Les deux premiers
livres traitent des causes qui autorisent à entreprendre ou à soutenir la guerre, et
de ce qui est licite ou illicite entre ennemis. Le troisième livre est consacré à la
politique militaire, » le quatrième à la stratégie, le cinquième à la tactique, M. Vil-

liaumé expose dans le dernier livre les causes et la tactique des guerres civiles,

« avec les principaux moyens de les éviter. » On pourra consulter avec fruit ce tra-

vail plein de recherches, lors même qu'on n'en approuverait ni l'esprit général ni

les conclusions.

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