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qu'un ver parasite fût destiné à passer une partie de sa vie dans un animal, et l'autre partie dans un autre; qu'il fallait même qu'il en fût ainsi pour que ce ver pût parcourir toutes les phases de son développement; qu'une de ces phases, celle de l'état foetal, devait se passer dans un animal herbivore, et l'autre phase, celle de l'état adulte, dans un animal carnivore.

C'est ce que M. Van Beneden vient de nous apprendre. Il nous fait voir que certains parasites passent d'un animal à un autre; qu'ils changent d'animal, comme d'hôtellerie (c'est un mot que je lui emprunte); et qu'enfin cette transmigration, ce passage d'un animal à un autre ne se fait pas d'une manière accidentelle, fortuite, mais régulièrement, et d'après des lois fixes.

Règle générale, tout animal a ses parasites; mais, indépendamment de leurs parasites propres, plusieurs animaux, particulièrement les herbivores (qui, se nourrissant de matières végétales, sont destinés à servir de pâture aux carnivores), logent et nourrissent des vers qui, à rigoureusement parler, ne sont pas à eux, et ne font que passer par eux pour arriver aux carnivores, auxquels ils appartiennent véritablement et définitivement.

Ces vers restent toujours imparfaits, ne deviennent jamais adultes dans l'animal herbivore; ils ne deviennent parfaits et adultes que dans l'animal carnivore. C'est ainsi que le lapin loge et nourrit transitoirement le cysticerque pisiforme, qui ne deviendra adulte que dans le chien; la souris, le cysticerque fasciolaris, qui ne deviendra adulte que dans le chat; le mouton, le cœnure, qui ne deviendra adulte que dans le loup, que dans le chien, etc.

Tout ver parasite, du groupe de ceux dont je parle ici, passe par trois phases. La première est celle de l'œuf : l'œuf, pondu dans l'intestin du carnivore, est expulsé, rejeté dehors avec les excréments. La seconde phase est celle de l'embryon : l'œuf, avalé par l'herbivore, qui le trouve sur l'herbe qu'il broute, éclot dans l'intérieur de l'herbivore, et l'embryon y prend son premier développement, son développement embryonnaire; c'est alors un cysticerque, un conure. La troisième phase est celle de l'adulte le cysticerque ou le conure, avalé par le carnivore qui dévore l'herbivore, prend, dans ce carnivore, son dernier et définitif développement, et c'est maintenant un ténia.

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Le même ver est donc successivement œuf pondu et rejeté à l'extérieur; cysticerque ou conure, dans l'animal herbivore; et ténia dans l'animal carnivore.

Le mouton avale l'œuf du ténia, qui a été rejeté par le chien sur l'herbe

que

le mouton broute; cet œuf, éclos dans l'intestin du mouton, s'y transforme en conure, qui, petit à petit, gagne le cerveau du mouton et lui donne le tournis. Là, si le mouton n'est pas dévoré par un carnivore, le cœnure reste cœnure et ne poursuit pas le cours de son développement. Mais, si le cerveau du mouton est dévoré par le chien ou par le loup, le cœnure de ce cerveau passe dans l'intestin du chien ou du loup, et s'y transforme en ténia, en ver solitaire.

« Le lapin, dit M. Van Beneden, trouve les œufs sur l'herbe qu'il « broute; un embryon à six crochets en sort et pénètre dans ses tissus; «< cet embryon est conformé pour fouir les organes comme la taupe <«< creuse le sol, et pour pénétrer par des galeries qui se forment et se « détruisent immédiatement. C'est une aiguille d'acupuncture qui passe. <«<Arrivé au viscère qui doit le nourrir, les crochets, devenus inutiles, << tombent, et on voit apparaître une vésicule plus ou moins grande qui engendre quelquefois plusieurs centaines ou milliers d'autres vési<«< cules qui compromettent souvent la vie de leur hôte par leur extrême développement. Cette vésicule ne peut se développer davantage dans <«<le lapin, et meurt avec lui, s'il n'est point dévoré. Au contraire, dès « que cette vésicule, qu'on appelle cysticerque, est introduite dans l'esto<«< mac du chien, une nouvelle activité se manifeste, le ver s'évagine, << passe de l'estomac dans l'intestin, s'attache à ses parois, pousse de << nombreux segments, qui sont autant de vers complets et adultes, et «l'ensemble présente cette forme rubanaire et segmentée qu'on désigne «< communément sous le nom de ver solitaire 1.

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« Ce prétendu ver solitaire est donc une colonie composée d'une pre« mière sorte d'individus, la tête, qui s'est développée dans le lapin, et d'une seconde sorte, les cucumérins ou segments, qui réunissent les << deux sexes 2. »

Personne, avant M. Van Beneden, n'avait soupçonné ni ces métamorphoses, qui commencent dans un animal pour se compléter dans un autre, ni ces transmigrations obligées, sans lesquelles un ver ne pourrait passer de son état embryonnaire à son état adulte; ni cette loi générale, qui veut que tous les vers vésiculaires des herbivores deviennent des vers rabanaires dans les carnivores.

Avant M. Van Beneden, le cœnure du mouton et le ténia du chien

Le ver solitaire de l'homme (tenia solium) vient du cysticerque celluleux du cochon. C'est ce ver qui produit, sur le porc, la maladie dégoûtante qu'on nomme ladrerie; il pénètre jusque dans le cœur, dans les yeux, etc. L'homme a plusieurs autres ténius, mais on ne connaît encore l'origine que de celui-là. "De l'homme et de la perpétuation des espèces dans les rangs inférieurs, page 39 (1859).

(tenia canurus) étaient regardés comme deux vers distincts; c'est le méme ver sous deux formes, ou plutôt, à deux âges différents. Il faut en dire autant du cysticerque du lapin et du tænia serrata, en lequel il se transforme; on avait fait de ce cysticerque et de ce ténia deux espèces distinctes c'est la même espèce à deux âges divers. On avait fait, du cysticerque fasciolaris de la souris, et du tænia crassicollis, en lequel il se transforme dans le chat, deux espèces distinctes; ce ne sont que deux âges successifs de la même espèce, etc.

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Les tétrarhynques des auteurs ne sont que des embryons qui vivent dans les poissons osseux : le poisson osseux est dévoré par un poisson cartilagineux (un squale, par exemple); le tétrarhynque du poisson osseux passe ainsi dans le canal digestif du poisson cartilagineux, et s'y transforme en rhynchobothrius. Le rhynchobothrius est le tétrarhynque adulte. Encore deux âges dont on avait fait deux espèces.

Je m'arrête, et pourtant que de détails pleins d'intérêt il me resterait à indiquer encore ! J'en ai dit assez, si j'ai fait suffisamment sentir l'admirable sagacité de l'auteur et tout ce que des résultats si neufs nous en présagent d'autres plus inattendus encore, ou, du moins, relatifs à des phénomènes qui se passent dans des organismes plus cachés et restés jusqu'ici plus inaccessibles. Ce pas, que les Redi, les Swammerdam, les Malpighi, les Vallisneri, les Réaumur ont fait, dans les deux derniers siècles, touchant la génération des insectes; ce pas que M. Van Beneden vient de faire touchant la génération des vers parasites, il faut le faire actuellement dans l'étude des animaux infusoires. C'est là le dernier refuge des générations spontanées; il y va, qu'on me permette de parler un moment en naturaliste, il y va de l'honneur du siècle de ne pas le leur laisser.

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FLOURENS.

Il faut étudier ces détails dans le beau mémoire de M. Van Beneden, sur les vers intestinaux, mémoire qui a remporté le grand prix des sciences naturelles à notre Académie.

MÉTHODE pour déchiffrer et transcrire les noms sanscrits qui SE RENCONTRENT DANS LES LIVRES CHINOIS, à l'aide de règles, d'exercices et d'un répertoire de onze cents caractères chinois idéographiques employés alphabétiquement, inventée et démontrée par M. Stanislas Julien, membre de l'Institut, etc. Paris, 1861, imprimé par autorisation de l'Empereur à l'Imprimerie impériale, in-8°, VI-231 pages. Avec cette épigraphe : Eupna.

PREMIER ARTICLE.

M. Stanislas Julien a pris pour épigraphe de sa méthode de transcription le fameux mot d'Archimède, Epnxa; c'est justice, car il a fait une véritable découverte; et, dans le domaine des études bouddhiques, cette découverte est si féconde, que personne ne sera tenté de contester à l'auteur la louange indirecte qu'il se décerne lui-même. Nous ne savons pas quel est le problème de mathématiques dont Archimède cherchait la solution 1; mais nous connaissons fort bien le problème de philologie que M. Stanislas Julien vient de résoudre; et, sans vouloir forcer la comparaison entre des choses très-dissemblables, nous pouvons dire que lui aussi s'est acquis dans la science un nouveau titre de gloire qui ne périra pas.

Nous avons déjà eu l'occasion de parler de la méthode de notre illustre sinologue et d'en montrer la haute valeur 2. Mais, quand nous l'annoncions, il y a six ans passés, nous ne pouvions la juger que par les applications qui en avaient été faites et par les résultats qu'elle avait produits. A cette époque, l'auteur ne l'avait point exposée tout au long comme il le fait aujourd'hui; et, bien qu'il fût démontré que cette méthode était infaillible, on ne savait point précisément sur quelles bases elle reposait pour être si exacte et si décisive. A l'heure qu'il est, M. Stanislas Julien a développé tout son système, et il est permis au publie savant de se servir désormais de l'instrument qu'on lui met en mains, aussi sûrement que l'inventeur lui-même. C'est déjà beaucoup; mais, pour bien comprendre tout le mérite de cette méthode, il faut se rappeler quelles sont les données du problème, et nous essayerons de les

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Voir Plutarque, dans le traité Non posse suaviter vivi, etc. édition de Firmin Didot, p. 1338, ligne 36; et aussi Vie de Marcellus, p. 366, ligne 48.- Voir le Journal des Savants, cahier de mars 1855, p. 150 et suiv. et cahier de février 1859, p. 94

et 107.

indiquer aussi clairement que possible, afin que l'on voie d'où est parti M. Stanislas Julien, et où il est arrivé après des efforts aussi longs qu'heureux de patience et de sagacité.

On sait que, dans les premiers siècles de notre ère, c'est-à-dire voilà deux mille ans environ, la Chine avait eu avec l'Inde bouddhique des rapports assez fréquents pour que l'on traduisît dès lors les principaux ouvrages orthodoxes du sanscrit en chinois. Ces relations des deux pays devinrent d'autant plus nombreuses et d'autant plus étroites, que le bouddhisme faisait plus de prosélytes dans l'Empire du Milieu; et l'on peut voir par les voyages et les mémoires de Hiouen-thsang1 quelle immense quantité de matériaux les Chinois avaient recueillie sur le bouddhisme, dès le septième siècle de l'ère chrétienne. Ces documents ne firent que s'accumuler de plus en plus avec le progrès des temps; et, comme il n'y a pas de peuple au monde qui écrive plus que le peuple chinois, on peut se figurer quelle abondance de travaux il possède sur un sujet si vaste et si cher à sa foi religieuse. L'amour des lettres naturel à cette nation seconda l'ardeur des croyances, et les labeurs dont le bouddhisme a été l'objet pour la Chine égalent peut-être ceux que notre Occident a consacrés au christianisme lui-même. Aussi, quand les études bouddhiques se sont fondées parmi nous par suite de la découverte des originaux sanscrits du Népâl 2, on ne tarda pas à s'apercevoir quelles précieuses informations on pouvait obtenir des livres chinois, et ce fut M. Abel Rémusat qui, le premier, moutra l'exemple par la publication fameuse du Foe-Koue-Ki, il y a près de trente ans. Cette bonne fortune revenait de droit à celui qui avait inauguré l'enseignement de la langue chinoise parmi nous; mais, après lui, il restait infiniment à faire, et, dans des routes si neuves, il n'était pas étonnant qu'il y eût à redresser beaucoup d'erreurs et à combler bien des lacunes. Les premiers pas sont toujours incertains et insuffisants, mais ils sont les plus difficiles; et ce n'est pas un petit mérite pour ceux qui les tentent avant tous les autres que de s'aventurer avec courage sur un terrain peu connu et parfois dangereux.

1

2

Voir les articles sur les voyages et les mémoires de Hiouen-thsang dans le Journal des Savants, années 1855, 1856 et 1857. On ne saurait rappeler trop souvent que c'est à M. B. H. Hodgson, que cette découverte est due, et, sans lui, les études bouddhiques auraient pu languir bien longtemps encore, parce que les traductions chinoises, tibétaines et mongoles, tout exactes qu'elles étaient, ne pouvaient être un fondement suffisant. Tout restait douteux tant qu'on n'avait pas en sa possession les ouvrages originaux; et c'est M. B. H. Hodgson qui en a fait l'heureuse conquête.

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