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le modeste et sage Colbert, qui des trois filles de Marie Charon a fait les duchesses de Saint-Aignan, de Mortemart et de Chevreuse!

L'année 1620 fournit au nouveau duc de Luynes une éclatante occasion de justifier les faveurs dont le roi venait de le combler.

(La suite à un prochain cahier.)

V. COUSIN.

PRÉCIS DE L'histoire de l'astronomie chinoise1.

PREMIER ARTICLE.

Introduction.

Le sujet dont nous allons nous occuper n'a que peu d'importance, si on l'envisage à un point de vue exclusivement scientifique. Il nous fournit seulement quelques résultats d'observation très-anciens, qui confirment la justesse de nos théories astronomiques, comme eux-mêmes s'en trouvent réciproquement confirmés. Mais il acquiert un haut degré d'intérêt, quand on le considère comme offrant la matière d'une étude d'histoire et de mœurs. Sous ce double rapport, l'astronomie chinoise a des caractères propres, qu'on ne rencontre chez aucune autre nation de l'antiquité. Elle n'a pas été formée, comme celle des Grecs, par les méditations solitaires d'un petit nombre d'hommes de génie; s'appliquant d'abord à enchaîner les observations particulières dans des lois numériques qui embrassent leur ensemble, puis traduisant ces lois par des constructions géométriques, images fidèles des mouvements observés, d'où nous tirons ensuite des indices certains, pour découvrir la nature des forces mécaniques par lesquelles ces mouvements sont produits. L'astronomie des Chinois ne cherche pas le pourquoi des phénomènes. Elle n'a rien de théorique, rien même qui soit rationnellement démontré, ou que l'on suppose avoir besoin de l'être. C'est un assemblage de procédés d'observation d'une simplicité primitive, appliqués suivant des conventions invariablement fixes, pour en déduire des

1

1 Cet article, et ceux qui vont immédiatement le suivre, répondent à l'engagement que j'ai pris dans le dernier numéro de ce journal pour l'année 1860, p. 785.

résultats universellement acceptés. Tout cela, établi depuis les plus anciens temps de l'empire chinois, et transmis d'âge en âge à titre de rites, devant servir de règles non-seulement au peuple, mais aussi aux souverains, conservateurs suprêmes des lois du ciel, dont ils sont les représentants sur la terre. L'existence séculaire d'un état de choses si curieux, si étrange, ne peut être prouvée, même rendue croyable, que si on la trouve attestée par des documents historiques d'une incontestable authenticité, liés entre eux par une chronologie certaine. Personne ne s'est livré à cette recherche avec plus de succès et de persévérance que le P. Gaubil; et ses écrits, au besoin contrôlés, complétés, par les textes originaux dont l'intelligence nous est maintenant accessible, vont nous servir de guide dans l'étude que nous abordons. Mais, avant d'en faire un tel usage, il faut apprécier le degré de confiance que nous devons leur accorder.

Pour cela il devient nécessaire de se rappeler les circonstances spécialement favorables, dans lesquelles ce savant missionnaire les a composés; l'abondance des matériaux historiques, astronomiques, de toutes les époques, qu'elles mettaient dans ses mains; et les goûts, comme les qualités d'esprit, qui la rendaient éminemment propre à en extraire, avec une fidélité intelligente, les faits séculaires qui s'y trouvaient enfouis. Tout cela est exposé en détail, avec une parfaite exactitude, dans l'article de la biographie universelle qu'Abel Rémusat lui a consacré. Ici, les traits principaux de sa vie vont nous suffire. Entré à Paris dans la société des jésuites en 1704, à l'âge de quinze ans, il est envoyé en 1723 à la Chine, après avoir reçu l'éducation forte et variée, littéraire, mathématique, astronomique, dont cette célèbre compagnie armait ceux de ses membres qu'elle destinait aux missions de l'Orient. Il avait trentequatre ans alors. Arrivé à Pékin, il y résida sans aucune interruption jusqu'à sa mort, survenue en 1759. Pendant ces trente-six années de séjour, et d'études infatigables, il avait acquis une telle possession des langues chinoise et tartare, que la cour de Pékin le choisit pour interprète officiel dans sa correspondance diplomatique avec le gouvernement russe, correspondance à laquelle le latin servait d'intermédiaire. Cela exigeait que Gaubil se tînt toujours prêt à traduire couramment, d'une langue dans l'autre, les dépêches échangées; et cela sans préparation, en présence des ministres chinois, parfois de l'empereur lui-même, sans donner lieu à des malentendus entre les deux cours, tâche dont il s'acquitta constamment à leur mutuelle satisfaction, avec une aisance et une facilité surprenantes. Cette épreuve suffirait pour nous assurer qu'il a dû avoir une complète intelligence des documents historiques ou

astronomiques qu'il nous a traduits. Mais, d'après la connaissance aujourd'hui acquise en France de la langue chinoise écrite, on peut ajouter que, parmi les citations qu'il en a faites, toutes celles que l'on a eu l'occasion de vérifier sur les textes originaux ont été trouvées, sans aucune exception, d'une fidélité scrupuleuse, ce qui nous assure des

autres.

Ceci reconnu, les ouvrages de Gaubil auxquels j'aurai spécialement recours, pour nous guider dans l'étude que nous allons faire, sont les

suivants :

1° Histoire abrégée de l'astronomie chinoise, et Traité de l'astronomie chinoise, insérés au recueil du P. Souciet, tomes II et III, Paris, 1729 et 1732, in-4°. Ce sont les deux premiers écrits de Gaubil sur l'astronomie des Chinois. Il les avait envoyés en manuscrit à Paris au P. Souciet, lequel les a fait imprimer avec beaucoup d'incorrections. D'après des renseignements tirés de la correspondance manuscrite du P. Gaubil, et qui m'ont été communiqués par M. l'abbé Tailhan, la date d'envoi remonte à l'année 1727, en sorte qu'il les avait composés pendant les quatre premières années de son séjour à Pékin, tant il s'était promptement familiarisé avec la langue et la littérature chinoises.

2° Histoire de l'astronomie chinoise, insérée d'abord au recueil des lettres édifiantes, tome XXVI, édition de 1783, et, postérieurement, au tome XIV du même recueil, imprimé à Lyon en 1819. C'est, en grande partie, la reproduction, plus régulièrement arrangée, des deux écrits mentionnés ci-dessus. Mais ces deux premiers contiennent plusieurs documents originaux d'un grand intérêt, qui manquent dans la nouvelle rédaction. Celle-ci nous offre le dernier travail d'ensemble que Gaubil ait fait sur l'astronomie chinoise proprement dite. L'envoi du manuscrit doit avoir été postérieur à l'année 1749. Car l'auteur y mentionne l'envoi de l'ouvrage suivant comme l'ayant précédé.

dié

3° Traité de la chronologie chinoise. Le manuscrit de cet ouvrage, le plus important de tous ceux que Gaubil a composés, avait été expépar lui de Pékin à Paris, le 23 septembre 1749. Pendant soixantecinq ans, il resta ignoré sous le sceau de plomb d'une déplorable indifférence. il ne fut tiré de l'oubli qu'en 1814, par Laplace, qui en découvrit une copie dans la bibliothèque du bureau des longitudes, parmi des papiers ayant appartenu à Fréret; et, sur ses vives instances, Silvestre de Sacy en effectua immédiatement la publication, avec l'assistance d'Abel Rémusat. Cet ouvrage est un trésor d'érudition et de critique. Il contient le dépouillement et l'analyse consciencieusement fidèle de tous les ouvrages, que, depuis l'avénement des Han, 206 ans avant

notre ère, les historiens officiels, les lettrés les plus savants, et les astronomes les plus habiles, ont successivement composés, sur l'histoire générale de la Chine et la chronologie de l'empire chinois. Aucune nation ancienne ou moderne n'a fait et ne possède autant de travaux relatifs à sa propre histoire. Gaubil ne se borne pas à exposer les systèmes chronologiques des différents auteurs. Il rapporte les documents écrits ou traditionnels sur lesquels ils se sont appuyés. Il les discute, les apprécie, fixe leur valeur; les confirme ou les infirme par des calculs d'éclipses qui fournissent des dates certaines; et, de tout cela, après vingt-six années d'études suivies avec une constance infatigable, il recompose une chronologie continue, embrassant tous les temps de l'empire chinois que l'on peut regarder comme historiques, laquelle, dans son indépendance, se trouve presque entièrement concorder avec la chronologie officiellement admise à la Chine, par suite des immenses travaux littéraires exécutés d'après les ordres et sous l'inspection immédiate du savant empereur Khang-hi. Je la suivrai donc, en toute assurance, dans les détails d'histoire que j'aurai à raconter; et, chemin faisant, je trouverai l'occasion de montrer comment elle peut s'étendre si loin.

D'après une note tracée sur l'enveloppe du manuscrit, une autre copie du même ouvrage, écrite de la main même de Gaubil, avait été adressée par lui au P. Berthier, qui n'en fit aucune mention, ni aucun usage. Depuis, elle était tombée, sans plus de fruit, entre les mains du P. Brotier; et de là, enfin, toujours ignorée du public, elle était allée s'ensevelir dans les cartons de la Bibliothèque royale destinés aux livres orientaux. Dès que le manuscrit découvert par Laplace fut publié, Langlès, le conservateur en titre de ces trésors littéraires, mû d'un zèle tardif, y chercha l'autre copie, la trouva, et y signala triomphalement d'assez nombreuses variantes qu'il transcrivit sur un des exemplaires imprimés, dont il fit don à la bibliothèque de l'Institut. Heureusement, ce sont, en général, de simples transpositions, qui modifient quelque peu l'arrangement, mais non pas la nature ou les époques absolues des faits exposés. Cela tient à ce que Gaubil, quand il envoyait ses ouvrages aux savants d'Europe, ne s'assujettissait pas à en faire des copies strictement identiques. Il modifiait volontiers, non pas le fond, mais la forme, selon les personnes auxquelles il s'adressait; ajoutant parfois de nouveaux détails, promettant d'en envoyer d'autres du même genre si on le désire, prenant enfin tous les moyens imaginables pour éveiller leur indifférence, et ne parvenant à attirer leur attention qu'autant qu'elle profitait à leur intérêt littéraire ou aux systèmes qu'ils s'étaient

formés. On lui a reproché, non sans cause, son habitude presque cons tante, de citer seulement par extrait, et non pas en original, les passages qu'il emprunte aux livres chinois, fort souvent même sans dire où il les a pris. Mais, en quoi des citations plus précises auraient-elles servi à des gens qui ne mettaient aucun intérêt à les vérifier, et qui se bornaient à les accepter, en simples curieux, pour ce qu'elles avaient d'étrange? La vie de l'âme manquait à ces rapports. Combien de fois n'ai-je pas entendu Laplace regretter qu'il ne se soit rencontré personne, à l'Académie des inscriptions ou des sciences, qui fût réellement capable de consulter Gaubil avec assez d'intelligence, et de zèle désintéressé, pour tirer de lui tant de documents précieux d'astronomie ancienne dont il indiquait seulement l'existence, et que nous serions aujourd'hui si heureux de posséder1!

On doit encore à Laplace la découverte d'un autre manuscrit de Gaubil intitulé: Recherches sur les constellations et les catalogues des étoiles fixes, sur le cycle des jours, sur les solstices et sur les ombres méridiennes du gnomon observées à la Chine. Gaubil avait envoyé cet écrit en 1734 à l'astronome français Delisle, qui résidait alors à Saint-Pétersbourg. Celui-ci le rapporta à Paris en 1747, avec d'autres papiers scientifiques qu'il avait recueillis pendant son séjour en Russie. Il n'en parla point et n'en donna connaissance à personne. Mais, le considérant apparemment comme sa propriété particulière, il le céda, ainsi que ses autres papiers, au dépôt de la marine en échange d'une pension de 3,000 francs. Toute cette collection ayant été transférée depuis à la bibliothèque de l'Observatoire, pendant nos troubles révolutionnaires, Laplace y découvrit le manuscrit de Gaubil, qui en était de beaucoup la pièce la plus précieuse. Sur sa demande, les observations astronomiques qui s'y trouvaient rapportées furent imprimées en entier dans les additions à la connaissance des temps pour les années 1809 et 1810. La partie uranographique, plus spécialement applicable à des recherches

'Je citerai comme exemples les traités d'astronomie intitulés San-tong et Ssefen, les premiers qui furent composés sous la dynastie des Han après l'incendie des livres, comme aussi les ouvrages du grand astronome chinois Ko-cheou-king, auquel l'empereur tartare Cobilay confia la présidence du tribunal des mathématiques, et qui, en 1280, observait les hauteurs méridiennes du soleil aux équinoxes et aux solstices par des procédés beaucoup plus précis que ceux dont Tycho fit usage trois siècles plus tard. Gaubil s'était procuré tous ses livres, et il en a donné des extraits; mais on ne lui témoigna de Paris aucun désir de les avoir en original; et depuis, malgré toutes les démarches que nous avons tentées, et toutes les promesses qu'on nous a faites, nous n'avons pas réussi à les obtenir.

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