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Ce maréchal d'Estrées était, parmi les agents de l'autorité, l'un des plus disposés à exagérer les mesures déjà si sévères de la révocation; le roi avait toujours besoin de réprimer son zèle punisseur. Le 12 septembre 1698, Louis XIV lui faisait écrire : «S. M. n'estime pas à propos << de faire tant d'emprisonnemens, de destituer des officiers de seigneuaries, et les employés dans les fermes; elle croit qu'il suffit de punir « en détail ceux qui se trouveront coupables. >>

Mais la punition en masse était bien plus commode, des innocents y pouvaient être compris, c'était un malheur qu'on ne se hâtait guère de réparer. Louis XIV fait réprimander sévèrement une telle négligence.

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Le président de Montesquieu, à Bordeaux, avait demandé à M. de Pontchartrain une instruction au sujet d'un arrêt qui présentait quelque embarras : « J'ay rendu compte au roy, lui répond Pontchartrain, des « difficultés que vous me proposez... je ne vois point ce qui a pu vous « empescher de signer l'arrêt, dès le moment que vous avez trouvé et la procédure irrégulière, et les accusés innocens. Nulle considération « n'a pu différer la signature d'un arrest qui n'a point dû avoir d'autres ༥ motifs que ceux de la justice et de la conscience... il n'est pas plus permis à un bon juge de surseoir l'exécution de ses jugemens dans le «< cas de l'absolution que dans celuy de la condamnation. Ainsy ne tardés « pas plus longtemps, etc. »>

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Revenu à ces sentiments de modération, Louis XIV ne pouvait manquer de condamner l'un des moyens les plus vexatoires employés alors pour violenter les consciences, le logement des gens de guerre1.

« Sa Majesté n'approuve pas, faisait-il écrire par Pontchartrain à l'in« tendant d'Ableiges, l'expédient que vous proposez de loger des troupes << chez les religionnaires, pour les obliger à aller à l'église. » (23 avril 1698.) Et au maréchal d'Estrées : « Le prétexte pour lequel vous avés fait esta« blir garnison dans la maison du sieur de Marmande a paru à S. M. un «peu léger; ainsy elle m'a ordonné de vous escrire de le faire lever... «n'ayant desjà que trop duré.» (31 janvier 1700.) Et, peu de temps après, Louis XIV ordonnait encore à Pontchartrain d'écrire au même maréchal : « On a dit au roy qu'on envoie des archers dans les métairies <«<et dans les maisons des paysans nouveaux catholiques pour les inti«mider, et les obliger à se réunir; que l'hyver dernier plusieurs de ces << archers, abusant d'un ordre de vous qu'ils avoient contrefait, tirèrent

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On avait espéré merveille de leur intervention, et ce n'était pas seulement la tourbe, mais le beau monde, qui avait foi en cette soldatesque : « Les dragons ont élé de très-bons missionnaires jusqu'ici, écrivait madame de Sévigné, peu de jours après la révocation. (Lettre au comte de Bussy, du 28 octobre 1685.)

<< beaucoup d'argent non-seulement des paysans et bourgeois, mais « mesmes de plusieurs gentilshommes, et que ce procédé, bien loin « d'avancer les conversions, ne faisoit qu'aigrir les esprits et produisoit beaucoup de désertions... Le roy m'ordonne de vous escrire que << vous devez bien prendre garde qu'on n'exerce point de ces sortes de <«< violences, qui sont plus capables de nuire que de produire de bons « effets pour la religion. » (25 janv. 1701.)

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Le maréchal d'Estrées, dans une visite faite au Bas-Poitou, avec l'évêque de la Rochelle, s'étant fait accompagner d'un nombreux cortége militaire, les habitants de plusieurs villages s'enfuirent dans les bois : «S. M. m'a ordonné de vous escrire, lui mande Pontchartrain, «qu'elle croit qu'il convient mieux à son service que, dans ces voyages,

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<< vous ne soyez point précédé des dragons ou autres troupes, affin de <«< moins intimider les nouveaux convertis, et que vous devez tascher << plustost de les disposer par des voies douces à faire ce que vous dési«rerez d'eux. »> (7 juin 1700.) Le roi ne lui permet l'usage de la force que si son autorité était ouvertement méprisée; et, dans ce cas encore, elle veut que le maréchal prenne ses ordres.

Enfin Louis XIV avait fini par avoir une intime conviction de l'inutilité, du danger même, de tous ces moyens de compression, aussi peu chrétiens aux yeux de la religion que peu sages dans l'ordre de la raison purement humaine.

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«On se plaint, écrivait Pontchartrain à d'Ableiges, que l'on con<«<traint, par toutes sortes de voyes, les nouveaux catholiques à fré<«<quenter les sacremens. Il faut, s'il vous plaist, que vous ayez une très<< grande attention pour empescher que les officiers que vous chargez de «l'exécution de vos ordres n'en abusent... Vous avez fait conduire << trois ou quatre femmes de la Chastaigneraye à l'Union chrestienne de « Fontenay, parce qu'elles refusoient d'aller aux instructions; S. M. m'or<<< donne de vous dire que vous ne devez jamais rien faire de semblable << sans avoir auparavant receu ses ordres. » (31 janv. 1701.)

Et vers le même temps Pontchartrain mandait à l'évêque de Poitiers": « A l'égard de ce que vous dites qu'il seroit à propos que les juges eus<«<sent des listes de tous les enfans, et qu'ils allassent eux-mesmes, de << temps en temps aux cathéchismes pour voir ceux qui y manquent, <«< afin de pouvoir condamner les pères et mères à des amendes, S. M. « a trouvé cette proposition impraticable. » (19 avril 1701.)

Voilà le mot vrai de la situation et c'est le roi lui-même qui le dit. Les mesures prescrites pour l'exécution de l'édit de révocation étaient tellement impraticables, que le gouvernement de Louis XIV se voyait

réduit à se faire le complice de leur violation1. On a déjà pu le conclure de ce que nous avons exposé, en voici l'aveu formel.

Grand nombre de nouveaux convertis, et qui n'étaient catholiques que de nom, bien résolus à ne pas se marier selon les règles que prescrit l'Église, usaient de faux certificats de confession et d'autres pièces également fausses. Il se trouvait des gens connus pour ménager ces fraudes; on n'ignorait même pas «le nom de certains curez et autres « ecclésiastiques coupables de ce mauvais commerce,» ainsi que l'écrit le comte de Pontchartrain à l'archevêque de Paris (5 juin 1695); mais, ajoutait-il, «le roy a jugé à propos d'assoupir cette affaire. » Et, plus tard, il écrivait à l'intendant Sanson: «S. M. n'estime pas que les inten« dans doivent se mêler de réformer ces abus, cela regarde plus tost evesques; ainsy, à moins qu'il ne se passe des choses d'un scandale «<notoire, vous devez ignorer ces sortes de mariages 2. »

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C'est donc un fait hors de doute qu'en même temps qu'on maintient avec une fastueuse obstination l'édit de révocation, on en abandonne secrètement une à une les plus sévères dispositions; que presque aussitôt après la révocation, et dès qu'on a la certitude des résistances qu'elle provoquera, le gouvernement se condamne, en mainte occasion, à ne pas voir pour ne pas punir; on se résigne aux apparences toutes les fois qu'on ne peut obtenir davantage; non-seulement on abandonne la question de la foi, mais même celle des pratiques, et l'on se borne, presque toujours, à interdire l'exercice public du culte réformé, ou seulement le scandale notoire. N'y a-t-il pas là un sujet de réflexion digne qu'on s'y arrête, et ne peut-on pas se demander si c'était bien la peine de risquer de bouleverser la France pour un tel résultat ? Spectacle plein de tristesse, mais aussi d'enseignement ! Louis XIV occupé, durant les trente dernières années de son règne, à poursuivre ouvertement les conséquences d'une grande faute, en même temps qu'il s'épuise en efforts secrets pour les atténuer. Ces essais de réparation, aussi persévérants que timides, font honneur au jugement du roi, sans avoir fait grand bien à la France. Les volontés de Louis XIV, qui avaient

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C'est là ce qui fit qu'une législation cruelle dans son principe a souvent offert, dans l'application, un spectacle presque ridicule. On avait pris à la légère une des résolutions les plus périlleuses qu'aucun gouvernement peut-être eût encore osées; des résultats complétement imprévus troublèrent tout le monde. Les uns croyaient tout perdu si l'on n'allait aux extrêmes rigueurs, d'autres ne voyaient de salut que dans une entière indulgence. On essayait tout, on abandonnait tout. Jamais aucun acte de gouvernement n'a présenté une telle confusion. Notre historien, qui-a vu cette honte, ne nous semble pas en avoir assez nettement assigné la cause. 2 Bibl. imp. Reg. secr. Correspond. administrative, t. IV, p. 468.

été outre-passées, ou tout au moins exécutées avec un zèle passionné contre les protestants, n'étaient obéies qu'avec tiédeur, et restaient même sans accomplissement lorsqu'elles leur étaient moins rigoureuses; et, quoi qu'il ait fait, la révocation de l'édit pèsera éternellement sur sa mémoire; c'est qu'il est des fautes fatales, dont la punition est de ne pouvoir se réparer jamais.

Après avoir raconté les faits qui ont précédé et suivi la révocation de l'édit de Nantes, M. le duc de Noailles aborde la question, spéciale dans son sujet, de la part que madame de Maintenon peut avoir eue à

cet événement :

« Cet exposé, dit-il, pourrait nous dispenser de justifier madame de << Maintenon de l'accusation souvent répétée contre elle d'avoir été, en « quelque sorte, l'auteur de la révocation de l'édit de Nantes, par l'es«prit de bigotisme qu'elle inspira, dit-on, au roi, dans la vue de s'af« fermir de plus en plus par la dévotion. Qu'elle ait approuvé et encouragé une mesure à laquelle on applaudissait de toutes parts, rien « n'est plus vraisemblable, mais qu'elle ait inspiré et provoqué cette me«<sure et ses suites, rien n'est plus contraire à la vérité. » (T. II, p. 455.)

Ce que dit ici M. de Noailles nous semble parfaitement juste, et nous croyons que tout esprit impartial, qui aura étudié jusque dans ses moindres détails la question de la révocation, partagera l'opinion si judicieuse et si sagement exprimée de l'historien.

Madame de Maintenon, qui s'employa avec un zèle quelquefois excessif (c'est l'expression de M. de Noailles), à la conversion de ses parents1, ne nous semble pas avoir été animée de la même ardeur pour la conversion du peuple. Nous avons en vain cherché, soit dans sa conduite, soit dans ses écrits, quelques faits, quelque opinion qui puissent justifier les accusations qu'on ne lui a pas épargnées. Voltaire, qu'on ne

'Nous voyons très-rarement madame de Maintenon figurer dans les documents recueillis par M. Depping; nous y trouvons cependant ces lignes, adressées par M. de Seignelay à l'archevêque de Paris : « Ce billet est pour vous donner advis que j'envoye à M. de La Reynie les ordres du roy pour faire arrester madame d'Heucourt et la conduire à l'abbaye de Port-Royal. C'est madame de Maintenon qui l'a a demandé au roy. (P. 392.) La conduite de madame de Maintenon à l'égard de ses parents, les familles huguenotes de Villette et de Sainte-Hermine, nous semble inexcusable; les lettres de cachet, les supercheries les plus condamnables, sont, à ses yeux, des moyens dignes d'approbation. Elle écrivait à M. de Villette, irrité de ce qu'en son absence elle avait enlevé une de ses filles: Recevez avec tendresse la plus grande marque que je puisse donner de la mienne... Donnez-moi plutôt vos « autres enfans, je me chargerai volontiers de tout, et ne crois pas pouvoir rien faire qui marque plus la tendresse que j'avois pour ma tante, qu'en faisant à ses petits. enfans le traitement que j'ay reçu d'elle.» (24 août 1681.) « On ne voit que moi

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soupçonnera pas de prévention favorable dans une pareille question, a pensé que madame de Maintenon «ne pressa point la révocation de «l'édit de Nantes. » Et M. de Noailles ajoute : « Loin qu'elle poussât à « la persécution des réformés, il semble, au contraire, qu'on se défiait de << sa partialité à leur égard, car elle écrit à madame de Saint-Géran : Ruvigny est intraitable, il a dit au roi que j'étais née calviniste, et «que je l'avois été jusqu'à mon entrée à la cour; ceci m'engage à approuver des choses tout opposées à mes sentimens 1.» (P. 457.)

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Ses sentiments, quand elle les exprimait librement, étaient fort contraires aux violences et aux persécutions religieuses. Diverses lettres écrites, comme celle que nous venons de citer, quelque temps avant la révocation, en font foi; et, dans l'époque qui suivit, on ne la voit point changer de langage.

On s'est fait, en général, une fausse idée de l'influence de madame de Maintenon sur la dévotion du roi; les faits prouvent que, bien loin d'avoir cette influence au moment de la révocation, elle ne l'avait pas même dix ans après.

Fénelon, que madame de Maintenon avait contribué à faire placer auprès du jeune duc de Bourgogne, et dont elle demandait les conseils, lui écrivait, en 1690 et 1691, des lettres où l'on voit clairement que le roi était loin de chercher auprès de madame de Maintenon des inspirations religieuses. «Ne vous faites point de règle pour le roi, Madame, « lui mande Fénelon; quoique votre piété l'éloigne, ne l'éloignez jamais, « et ne lui cachez point les choses qu'il a vues en vous 2. » Remarquons encore ce témoignage que lui rend l'archevêque de Cambrai : «On dit « que vous vous mêlez trop peu des affaires » (tome V des lettres, p. 470); et il l'encourage à persévérer dans cette conduite: «Je persiste « à croire que vous ne devez jamais vous ingérer dans les affaires

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« d'État. » (P. 472.) Et encore : « Chacun vous trouve insensible à la gloire lui. » (P. 475.)

« de Dieu, si vous n'êtes autant échauffée que lui. »

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dans les églises, conduisant quelque huguenot, écrit-elle une autre fois à son frère, sur un ton de joie triomphante, à propos des mêmes conversions. (22 octobre 1681.) Il y a là une satisfaction de convertisseur si naïve, qu'elle invite à l'indulgence. M. de Noailles ne déguise aucun de ces actes portés à la charge de madame de Maintenon; il ajoute qu'elle se les crut permis dans une si sainte cause.. Une telle justification ne vaut qu'auprès des partisans de la doctrine que la fin justifie les moyens. Ce qu'il est juste toutefois de ne pas oublier, c'est que les pères des enfants que faisait ainsi convertir madame de Maintenon ont fini par se convertir eux-mêmes de leur plein gré. — ' C'était avant la révocation, car, à ce moment, Ruvigny quitta la France, où il était député général des réformés auprès du roi. — 2 Œuvres de Fénelon, t. VII des lettres.

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